Réunis en couple, des créateurs ont parfois œuvré ensemble, d’autres fois développé chacun une pratique personnelle, toujours se sont nourris mutuellement de leurs inventions. Ces échanges féconds sont retracés au Centre Pompidou-Metz.
Metz. Frida Kahlo et Diego Rivera, les Delaunay, Dora Maar et Picasso, Claude Cahun et Marcel Moore, tous ces artistes ont en commun d’avoir vécu en couple, sur une durée plus ou moins longue. Ces « unions artistiques » – ou plus, si affinités –, loin d’être semblables, offrent chacune un caractère singulier. La fascinante exposition du Centre Pompidou-Metz présente une quarantaine de ces couples, en se limitant à la première partie du XXe siècle. Heureusement, car, même sur cette période relativement courte, les commissaires ont dû choisir parmi deux cent cinquante « unions libres ». Unions libres plutôt que couples formels, puisque l’on y trouve des « assemblages » à géométrie variable, s’étendant parfois jusqu’au trio ou au quatuor. D’autres fois, c’est le cas avec le Bloomsbury Group, la célèbre « communauté artistique » britannique, il est bien compliqué de suivre les différentes combinaisons internes qui varient sans cesse. Situation somme toute logique : difficile, en effet, de rompre ses liens avec les normes artistiques tout en restant prisonniers des structures sociales traditionnelles.
Révolution des mœurs ou non, ce sont les hommes – Max Ernst, Diego Rivera ou Raoul Hausmann – qui semblent s’accommoder le mieux de cette nouvelle mobilité amoureuse. L’« Amour réinventé » – titre d’une section – n’échappe pas totalement aux stéréotypes. Une constante : c’est le composant féminin du couple qui pâtit de la notoriété de son compagnon masculin, sauf pour Maria Helena Vieira da Silva dont la production picturale fait oublier l’œuvre de son mari, Arpad Szenes. Ainsi, il a fallu du temps pour reconnaître que les travaux sur tissu, une activité attribuée aux femmes, travaux de Sonia Delaunay ou d’Anni Albers, n’ont rien à envier aux toiles de leur époux. Le début du siècle avec son lot d’avant-gardes voit néanmoins l’arrivée d’une quantité importante d’artistes femmes. Ce n’est pas un hasard si leur apparition la plus notable a eu lieu en Russie dans le contexte de la Révolution. À Metz, on croise Varvara Stepanova et Natalia Gontcharova. La première forme un couple avec l’un des pionniers du constructivisme et du productivisme, Alexander Rodtchenko, et la seconde avec Mikhaïl Larionov. Si l’œuvre de Stepanova ne possède pas la même envergure que celle de son compagnon, Gontcharova développe avec Larionov une forme particulière d’abstraction, le rayonnisme. On regrette au passage l’absence au musée de sa peinture primitiviste, d’une puissance exceptionnelle.
Cependant, le propos d’Emma Lavigne, commissaire de l’exposition, n’est pas la « redécouverte » de certaines créatrices féminines restées dans l’ombre, mais la mise en évidence de l’interaction qui s’établit entre des protagonistes dont les œuvres se nourrissent mutuellement et évoluent en parallèle de façon harmonieuse. Une des collaborations les plus cohérentes réunit Hans Arp et Sophie Taeuber-Arp. « Chacun pour soi ou en commun, nous brodions, tissions, peignions, réalisions des collages, des tableaux géométriques et statiques », écrit Hans (dans le catalogue). Et, de fait, dans certaines œuvres comme Symétrie pathétique (1916-1917), réalisée à quatre mains, il y a « tissage » entre l’abstraction géométrique de Sophie et le biomorphisme de Hans. Un des mérites de l’exposition est de souligner la participation, longtemps oubliée, de la créatrice à l’architecture constructiviste majeure des salons de L’Aubette à Strasbourg.
Plus loin, les sculptures de Barbara Hepworth forment un merveilleux dialogue avec les travaux de Ben Nicholson. Les formes géométriques abstraites de Hepworth inspirent les reliefs d’une élégance sobre, presque ascétique, de Nicholson, un artiste peu montré en France.
Ailleurs, Kandinsky et Gabriele Münter, Alexej Jawlensky et Marianne von Werefkin travaillent ensemble durant plusieurs étés (1909-1911) à Murnau, un village près de Munich. Dans ces périodes de créativité intense, les échanges entre les quatre artistes contribuent à la remise en cause de la figuration. Toutefois, Werefkin, dans une attitude typique de l’époque, cessera plus tard de peindre pour se consacrer exclusivement à l’œuvre de Jawlensky.
La partie la plus importante du parcours, qui bénéficie aussi d’une remarquable scénographie, est consacrée à Dada et surtout au surréalisme. Raoul Hausmann et Hannah Höch, Max Ernst et, successivement, Leonora Carrington et Dorothea Tanning, André Breton avec Valentine Hugo et Jacqueline Lamba ou encore Nancy Cunard et Henry Crowder sont quelques-uns des acteurs de la modernité ici exposés. S’il s’agit de partisans de l’amour libre, leur vision de la femme, mise sur un piédestal, idéalisée, telle une muse ravissante, demeure ambiguë. Certes, la femme est l’avenir de l’homme, dixit Aragon. L’avenir, peut-être.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°503 du 8 juin 2018, avec le titre suivant : Les couples modernes s’exposent à Metz