Suisse - Art moderne

XXE SIÈCLE

À Lausanne, le Surréalisme sort le grand jeu

Le Musée des beaux-arts aborde le mouvement par des artistes moins connus, rassemblés autour de la thématique du jeu.

Lausanne (Suisse). C’est un joueur d’échecs qui ouvre la première partie de l’exposition « Surréalisme. Le Grand Jeu » au Musée cantonal des beaux-arts (MCBA) de Lausanne, et non des moindres. Marcel Duchamp fut non seulement l’artiste emblématique du premier XXe siècle, mais aussi un joueur d’échecs chevronné, le plus expérimenté du milieu surréaliste qu’il côtoyait alors, au point d’annoncer mettre un point final à son activité artistique en 1923 pour embrasser une carrière de joueur professionnel. Le prototype du jeu de poche d’échecs qu’il conçoit en 1943 est l’une des nombreuses pièces étonnantes que l’exposition de Lausanne met en scène.

« Lausanne est passée à côté du surréalisme », analyse cependant Pierre-Henri Foulon, conservateur au MCBA et co-commissaire de l’exposition. Car il a fallu attendre 1987 et une première exposition, « La femme et le surréalisme » pour voir des œuvres du mouvement s’installer sur les cimaises du musée cantonal et susciter l’intérêt de la capitale vaudoise.

Des stratégies créatives parfois ésotériques

En 2024, les temps ont changé et le surréalisme est à la fête sur les bords du lac Léman, comme dans de nombreux lieux en Europe avec une « saison surréaliste » dans l’ensemble des institutions du quartier des musées lausannois, Plateforme 10. Au MCBA, c’est par la thématique du jeu que l’esprit surréaliste est retracé. Jeu récréatif, poétique ou subversif, les stratégies créatrices surréalistes prennent la forme de l’écriture automatique ou du cadavre exquis, s’appuient sur les jeux de hasard comme le jeu de dés ou voguent dans les sphères plus ésotériques en s’inspirant du jeu de tarot, de l’astrologie et de l’alchimie.

En prenant à rebours la contrainte de la disponibilité des œuvres historiques déjà prévues pour de nombreuses expositions en France et en Belgique, le MCBA a conçu une exposition qui met en valeur des œuvres des artistes peut-être moins connus du grand public, parfois venues de collections privées, évitant ainsi l’écueil de la répétition. Avec un titre emprunté à la revue du mouvement dissident du surréalisme de Reims mené par René Daumal et Roger Vailland (Le Grand Jeu entre 1928-1930), ce sont des chemins de traverse qui sont ainsi proposés aux visiteurs.

Des œuvres inédites

Les grandes salles ont ainsi été réorganisées en petits espaces, des volumes plus appropriés à la présentation d’œuvres de format souvent modeste, de films, de livres et revues qui ponctuent le parcours. Si on voit à Lausanne, comme ailleurs, des œuvres de figures majeures du mouvement surréaliste – de Max Ernst, à Salvador Dali en passant par René Magritte et une belle série de Victor Brauner conservée au Musée de Saint-Étienne –, c’est la présentation d’œuvres plus inédites qui fait l’originalité de l’exposition. Ainsi en est-il de la peintre belge Rachel Baes qui illustre dans ses tableaux des jeux d’enfants au caractère cruel et inquiétant, ou des poèmes de Gisèle Prassinos créés à l’âge de 14 ans selon le procédé de l’écriture automatique – cette « enfant prodige » n’hésitera pas, plus tard, à témoigner s’être vue « traitée un peu comme un objet » par les surréalistes.

L’exposition instille une touche d’helvétisme dans l’ensemble du parcours. Si on connaît le travail associé au surréalisme de Meret Oppenheim, celui de la Bâloise Irène Zurkinden, moins connue, qui fréquenta le milieu surréaliste à Paris en 1929, est ici bien représenté avec une série de scènes d’intérieur silencieuses de petit format qui frappent par l’étrangeté et l’érotisme rampant des situations. Ayant rejoint le mouvement surréaliste à Paris dès 1934, le Bâlois Kurt Seligmann montrait un intérêt prononcé pour les sciences occultes, la magie et l’alchimie. Il puisait dans le vocabulaire symbolique de sa ville natale, notamment le carnaval de Bâle, mais aussi dans la culture amérindienne pour livrer des tableaux au symbolisme énigmatique dont quelques exemples sont ici exposés. Même inspiration amérindienne pour l’artiste originaire de Lucerne, Sonja Sekula, dont le travail est accroché dans l’exposition en résonance avec celui de l’Allemande Unica Zürn : les deux artistes ont en commun l’expérience de la maladie mentale et leur œuvre peint et dessiné, complexe et tourmenté, est apparenté aux recherches surréalistes, cercles qu’elles fréquentent à Paris pour l’une et à New York pour l’autre.

Loin de se focaliser sur les artistes femmes comme la précédente exposition de 1987, on note néanmoins une présence remarquable de quelques représentantes du mouvement : de belles cimaises sont réservées aux Britanniques Leonora Carrington et Ithell Colquhoun ou à l’Argentine Leonor Fini.

Surréalisme. Le grand jeu,
jusqu’au 25 août, Plateforme 10, Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne, 16, place de la Gare, Lausanne, Suisse.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°634 du 24 mai 2024, avec le titre suivant : À Lausanne, le Surréalisme sort le grand jeu

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