PARIS
Sur fond de guerre en Ukraine, la saison culturelle donne à voir une Lituanie tournée vers l’Europe et attentive à sa mémoire politique.
Lituanie. Combien de Français savent placer la Lituanie sur une carte ? Probablement une minorité. Les quelque deux cents projets de la Saison de la Lituanie entendent faire connaître ce pays balte devenu indépendant en 1990. Pilotée par l’Institut français, cette Saison renoue avec la tradition des saisons culturelles interrompue par la crise du Covid (à l’exception de la saison Africa 2020 en 2021). Cette année, le contexte international lui donne une tonalité politique : impossible d’occulter la guerre en Ukraine et ses répercussions puisque la Lituanie est frontalière de la Russie par l’enclave de Kaliningrad.
Pour autant, les créations sélectionnées n’abordent pas frontalement cette guerre, comme le précise Eva Nguyen Binh, présidente de l’Institut français : « Le contexte géopolitique n’a pas spécifiquement influencé la construction de la Saison et, si l’Ukraine est présente dans la programmation, elle ne l’est pas de façon prédominante. » La commissaire générale de la Saison Virginija Vitkienè rappelle que si cette Saison a été évoquée en 2021 entre les deux présidents, la confirmation officielle est venue « début 2022, quelques jours avant l’invasion de l’Ukraine ». La prolongation de la guerre a amené les organisateurs à se demander « quelle image de la Lituanie présenter en France dans ce contexte ». La guerre réveille en effet des traumatismes liés à la période soviétique en Lituanie, marquée par « des déportations massives ». Au vu de la programmation, il apparaît que les organisateurs ont choisi de montrer la Lituanie comme un pays européen qui regarde son histoire avec attention. Au-delà du thème de l’Autre qui sert de fil directeur, cette Saison définit la Lituanie comme européenne : les documents distribués à la presse rappellent que la Lituanie est membre de l’Union européenne, de l’espace Schengen, de l’OCDE, et que sa monnaie est l’euro. L’éditorial du président lituanien Gitanas Nausèda cite plusieurs fois l’identité « européenne » de la Lituanie et mentionne la guerre en Ukraine dans le contexte européen : « Nous préparons la Saison de la Lituanie en France pendant que les Ukrainiens défendent héroïquement nos choix communs de civilisation. » On note enfin parmi les débats et conférences des thèmes comme « la politique de la mémoire », « les valeurs européennes », et « Face à la guerre, dialogues européens ».
Mais définir la Lituanie comme essentiellement européenne reviendrait à nier l’empreinte laissée par l’occupation soviétique, et avant elle par les conquêtes des tsars russes. Selon Virginija Vitkienè, il est important de parler de ce passé traumatique car « les Français ne connaissent pas bien la Lituanie et l’assimilent à un ensemble mal défini de pays post-soviétiques ». Certaines pièces de théâtre s’attachent à ces événements du passé, comme l’œuvre de Karolis Kaupinis sur les années 1989-1990, période de transition vers l’indépendance. Étant donné l’emprise de la censure soviétique sur la création, les organisateurs de la Saison ont aussi tenu à montrer des œuvres cachées ou peu exposées : Virginija Vitkienè mentionne à ce sujet l’obligation du « réalisme socialiste » qui bridait les artistes et encadrait toute leur pratique. L’exposition « Art contemporain en Lituanie de 1960 à nos jours » bénéficie ainsi de donations du MO Museum de Vilnius au Centre Pompidou, issues d’une collection d’œuvres interdites sous le joug soviétique et « jamais abordées dans les livres d’histoire de l’art auparavant » selon la commissaire.
Outre les arts et spectacles et les arts plastiques, la photographie lituanienne est aussi présente dans la sélection, en particulier au festival Les Photaumnales dans les Hauts-de-France. Le commissaire Mindaugas Kavaliauskas a choisi plusieurs travaux qui traitent de la vie en Lituanie avant 1990, des images parfois jamais exposées : pour lui « la censure en Lituanie remonte au temps des tsars, et elle s’est poursuivie avec l’URSS. C’est un vol de la mémoire collective ». La série de Gintaras Cesonis scrute les façades de bâtiments à Kaunas, marquées par l’esthétique soviétique moderniste, là où celle de Rimantas Dichavicius explore les campagnes des années 1960, où le soviétisme a détruit le tissu social. Selon le commissaire, « la photographie est utilisée pour préserver une identité que l’on pensait destinée à disparaître ». Plusieurs des photographes exposés ont ainsi travaillé en secret. D’autres séries centrées sur la période contemporaine montrent la Lituanie des années 1990-2000 où la société s’ouvrait à la culture populaire des États-Unis et d’Europe (Donatas Stankevicius). Cette Saison transforme donc un contexte régional inquiétant en affirmation de l’identité lituanienne, avec une forme « d’optimisme » face à un avenir européen commun.
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La Saison de la Lituanie en France explore l’identité lituanienne
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°640 du 4 octobre 2024, avec le titre suivant : La Saison de la Lituanie en France explore l’identité lituanienne