Fondée par le grand-duc Gediminas, la capitale de la Lituanie, ville la plus peuplée du pays, réussit à mélanger un riche patrimoine culturel, classé à l’Unesco, avec un développement économique et architectural sans équivalent en Europe de l’Est.
Chaque musée Guggenheim est un événement architectural et celui de Vilnius, qui devait ouvrir au printemps 2011, n’aurait pas échappé à la règle, conçu comme un « mystérieux objet flottant semblant défier la gravité » par son architecte, Zaha Hadid. Malheureusement, la crise est passée par là et le chantier du vaisseau de métal satiné a été reporté.
Le Centre d’art contemporain, 2 600 m2 de béton blanc, de verre et de fer, de l’époque soviétique, en cœur de ville, a vu lui aussi son budget réduit. Outre une salle permanente consacrée à Fluxus, avec des œuvres de Jurgis Maciunas ou de Jonas Mekas, des événements temporaires de qualité consacrés aux mouvements artistiques américains et européens nés à partir des années 1960 restent néanmoins programmés régulièrement.
Située sur les rives des mondes latin et byzantin, Vilnius mêle des influences variées. L’esprit médiéval imprègne ses ruelles, son centre baroque est l’un des mieux sauvegardés d’Europe centrale et orientale, ce qui n’a pas échappé à l’Unesco. Pour dominer la cité balte, rien de tel que de grimper en haut de la tour de Gediminas : on y surplombe la vieille ville, la cathédrale néoclassique avec ses colonnes doriques et les élégants bâtiments de Gedimino prospektas, l’artère principale. Le grand-duc Gediminas a bâti sur cette colline au confluent de la Néris et de la Vilnia son château fort. Vilnius devint entre le xive et le xvie siècle la capitale d’un État allant de la Baltique à la mer Noire. L’édifice octogonal est désormais l’un des symboles de l’indépendance de la Lituanie : le drapeau jaune, vert et rouge y a été hissé le 7 octobre 1988. Sur la place de la cathédrale se trouve la dalle « magique » à partir de laquelle se forma en 1989 cette chaîne humaine de 595 kilomètres de long réclamant à l’URSS son indépendance.
À l’époque soviétique, un musée de peinture occupait la cathédrale, qui fut la première église reconsacrée, en février 1989. Dans sa crypte, une fresque réalisée à la fin du xive siècle serait la plus ancienne peinture du pays. Toutes les églises lituaniennes ont ainsi connu de multiples affectations durant l’occupation russe puis soviétique, transformées en dépôts de grain, en galeries et même en musées de l’athéisme !
L’autre panorama insolite sur Vilnius se découvre à partir du café Tores, au cœur d’Uzupis, comparé au Paris montmartrois ou à la Christiana de Copenhague. Les jeunes y échangent des bières en contemplant la quarantaine de clochers de la métropole, un défilé de mode improvisé ou les performances d’un artiste. Les artistes y vivent de façon bohème voire précaire. « Il n’y a pas de marché pour les créateurs ici, le pays est trop petit. Et même si elle a pris fin il y a vingt ans, l’occupation soviétique a tué l’initiative individuelle ; le pays a du mal à sortir des difficultés économiques et certains artistes émigrent vers l’Angleterre ou l’Irlande. Moi je suis très attaché à mon pays et je me dis qu’il faut tenir deux ans environ », avoue l’un d’eux, Damis Laumenis.
Une université riche de cinq millions de manuscrits anciens
Vilnius abrite aussi la plus ancienne université d’Europe orientale, fondée en 1579, l’un des centres majeurs de la Contre-Réforme. Ses idées progressistes attirent alors les lettrés du continent. Pendant deux siècles, le collège des Jésuites symbolise les lumières du savoir. Le régime tsariste le fait fermer au xixe. Mais dès la première moitié du xxe siècle, la vie culturelle tourne de nouveau autour de l’université. Le prix Nobel de littérature Czeslaw Milosz, l’artiste Vytautas Kairiukstis – l’un des initiateurs du constructivisme polonais et du modernisme lituanien –, l’historien d’art Vladas Dréma ont commencé leur carrière là. L’université recèle cinq millions d’éditions et de manuscrits anciens que sont venus admirer le prince de Galles, Jean-Paul II ou le dalaï-lama. La bibliothèque abrite toujours des incunables, des cartes, des gravures, des atlas rares.
Les facultés occupent un tiers de la vieille ville, laquelle s’articule autour de la rue Pilies ou rue du Château. Cet axe majeur relie la cathédrale à la porte de l’Aurore où sourit la madone de Vilnius, icône vénérée des pénitents. À l’extrémité nord, la rue Bernardin mène à Sainte-Anne, exemple d’art gothique lituanien qui fascina Napoléon. Entre l’église baroque Saint-Casimir et les très orthodoxes Saint-Nicolas et Saint-Esprit, aux nefs embrumées d’encens et hantées de popes, la rue du Château ne manque pas de haltes spirituelles. Mais elle déborde aussi de tentations païennes, avec ses marchands des rues proposant colliers d’ambre, nappes en lin et jouets en bois. Sans oublier son Café de Paris au coin de la rue Didzioji, où l’officier Henri Beyle, futur Stendhal, séjourna lors de la retraite de Russie de la Grande Armée. Dans les ruelles adjacentes à la rue Pilies, ainsi que dans les cours intérieures, se cachent antiquaires, cafés, bars en sous-sol, galeries d’art.
Les traces d’un passé difficile : le nazisme et l’idéologie soviétique
Baptisée « Jérusalem du Nord » au XIXe siècle, Vilnius a accueilli entre les deux guerres l’Institut scientifique yiddish ainsi que de nombreux établissements culturels. Le quartier juif a constitué jusqu’à la moitié de la population de la ville. Mais la Grande Synagogue et le Centre traditionnel de la culture juive qui révéla Soutine ont souffert pendant la Seconde Guerre mondiale, de même que les quatre-vingt-seize synagogues, rasées. Le musée Vilna Gaon et le musée de l’Holocauste évoquent cette page d’histoire. Ce n’est pas la seule période difficile vécue par ce petit pays balte. À 25 kilomètres de Vilnius, un bunker témoigne encore de l’idéologie soviétique. À présent, la Lituanie met en avant de nouvelles valeurs au parc de l’Europe, où sont exposées quatre-vingt-dix œuvres d’artistes de vingt-neuf pays, dont Magdalena Abakanowicz, Sol LeWitt, Dennis Oppenheim. Un renouveau intellectuel et culturel se manifeste dans l’impertinence qui imprègne le spectacle vivant comme les arts plastiques, et dans l’émergence de squats alternatifs comme le Group 27, implanté avenue Gedimino, fédérant deux cents plasticiens, photographes, cinéastes, acteurs. C’est maintenant qu’il faut visiter la Lituanie pour savourer cette liberté retrouvée.
Le musée national de Lituanie
Le musée national de Lituanie constitue un rendez-vous incontournable, car il évoque les diverses facettes du patrimoine culturel. L’archéologie et les arts appliqués (céramiques, bijoux d’ambre, costumes, icônes…) sont réunis dans le vieil arsenal, tandis que les collections ethnographiques occupent le nouvel arsenal gardé par la statue de Mindaugas, premier roi de Lituanie. L’art païen et religieux mérite le détour, en particulier les croix sculptées. Bien avant d’être chrétiens, les Lituaniens élevaient des symboles en chêne comme offrandes aux dieux. L’art populaire a produit de splendides christs penseurs ainsi que des croix en bois, en pierre et en métal, inscrites au patrimoine de l’humanité, que l’on peut aussi admirer au musée du Fer forgé de Klaipeda. www.lnm.lt/en/
La galerie-musée Gintaro
Pour découvrir l’or lituanien, on ira en priorité à la galerie-musée Gintaro, sur Mykolo Gatvé. Mais de l’ambre, il y en a partout en Lituanie. Dans les musées du pays, dont le plus fameux est celui de Palanga, dans les galeries d’art, sur les étals de rue, sur les rives de la Baltique. À l’état brut, apportée par les marées, la résine de pin préhistorique fossilisée il y a quarante millions d’années se distingue à peine des autres pierres et galets éparpillés sur la grève. Pourtant elle vaut une fortune depuis l’Antiquité, en particulier lorsque des végétaux ou des insectes s’y trouvent pris au piège (inclusions). www.ambergallery.lt
Le musée des Beaux-Arts de Lituanie
Le musée des Beaux-Arts de Lituanie est tentaculaire. Il regroupe un ensemble de musées nationaux d’art d’un grand intérêt, essaimant aux quatre coins du pays : parmi ceux-ci, la galerie de Peinture, le musée des Arts appliqués, le palais Renaissance des Radziwill (l’une des plus influentes familles lituaniennes), la galerie nationale des Beaux-Arts récemment rénovée et retraçant l’histoire de l’art lituanien du xxe siècle, tous situés à Vilnius. Hors de la capitale, la galerie du peintre expressionniste Pranas Domsaitis à Klaipeda, le musée de l’Ambre de Palanga et celui des Miniatures à Juodkranté lui sont aussi rattachés. www.ldm.lt
Le musée de Kazys Varnelis
Choc culturel garanti dans cet étonnant lieu, à la fois maison de Kazys Varnelis (1949-1989) et musée consacré à ce peintre de la diaspora lituanienne émigré aux États-Unis, également grand collectionneur. Dans l’ancienne guilde des marchands, sont réparties dans trente-trois pièces ses œuvres d’art moderne (minimalisme, art optique, matérialisme, pop art…) et les multiples joyaux de sa collection personnelle (peintures italiennes du XVIIe, mobilier Renaissance, art oriental, céramiques…). Attention, les visiteurs sont accueillis sur réservation.
Uzupis, Montmartre lituanien
Cette république des artistes est indépendante depuis le 1er avril 2000, avec son hymne, son drapeau, sa constitution, son président, son évêque, ses églises, son cimetière, son saint patron : un ange de bronze sculpté par Romas Vilciauskas. La rue principale est bariolée de fresques murales. Dans le passé, Uzupis était le quartier des moulins, puis celui des maisons closes. Il a été abandonné à la période soviétique, mais les artistes, venus de l’Académie des beaux-arts voisine, y ont trouvé refuge. Ils y sont restés et organisent festivals, concerts, expos, lectures de poésie… Sur les rambardes du pont qui enjambe la Vilnia pour accéder à Uzupis, les amoureux ont accroché des milliers de cadenas où ils ont gravé leurs noms… avant de jeter les clés dans l’eau.
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Vilnius - La Jérusalem du Nord exhale un parfum de liberté retrouvée
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°628 du 1 octobre 2010, avec le titre suivant : Vilnius - La Jérusalem du Nord exhale un parfum de liberté retrouvée