Sur fond de crise économique, le centre névralgique de la Lituanie célèbre son titre de capitale européenne sans affronter ses vieux démons.
À Vilnius, le passage à l’année 2009 avait des allures particulièrement festives. La ville célébrait tout autant le nouvel an que l’ouverture du programme concocté pour honorer son titre de Capitale européenne de la culture. L’occasion pour la capitale de cet État indépendant depuis moins de vingt ans et membre de l’Union européenne depuis 2004, d’affirmer son identité et mettre en lumière son potentiel touristique. La ville de 600 000 habitants espère ainsi attirer quelque trois millions de visiteurs malgré la crise économique qui a déjà grevé les budgets. Dès la fin 2008, l’État avait réduit ses subventions de 40 à 25 millions de litas (de 11,6 millions à 7,2 millions d’euros). La mesure avait eu pour conséquence immédiate l’annulation d’une quinzaine de manifestations. Toujours dans l’attente de 12 millions de litas (3,4 millions d’euros) qu’ils réclament à la Ville et à l’État, les organisateurs de Vilnius 2009 ont de quoi s’inquiéter. L’exposition prévue du 19 juin au 23 août à la Galerie nationale des beaux-arts autour du compositeur et peintre lituanien Mikalojus Konstantinas Ciurlionis (1875-1911) est pour l’heure compromise suite à la faillite de la compagnie aérienne nationale FlyLAL. Celle-ci devait acheminer les œuvres de l’artiste – actuellement exposées à Kiev – et s’était engagée, de manière générale, à soutenir l’ensemble des manifestations. La Galerie nationale des beaux-arts a également prévu, du 5 octobre au 14 décembre, une exposition déjà présentée à Londres et consacrée au « Modernisme de la Guerre froide » ou « L’art et le design dans un monde éclaté : 1945-1975 » avec des œuvres signées Zadkine, Picasso, Le Corbusier, Bacon, Isamu Noguchi, Richard Hamilton, et des créateurs originaires des pays d’Europe de l’Est. Le parcours présentera aussi des objets d’ingénierie comme le modèle du premier satellite Spoutnik, les scaphandres des astronautes américains et cosmonautes soviétiques. Les musées des beaux-arts et des arts appliqués doivent, quant à eux, consacrer leurs espaces aux paysages européens, entre le XVIe et le début du XXe siècle (du 12 mars au 30 mai).
Dans sa programmation, la capitale culturelle affiche une nette volonté d’ouverture à la création contemporaine. Du 8 au 12 juillet, la première édition de la foire Art Vilnius réunira, au Centre des expositions, des galeries d’art lituaniennes, de la région balte, mais aussi de toute l’Union européenne et d’Europe orientale. Des conférences, tables rondes, soirées et performances y sont également prévues. Parallèlement, la 2e Quadriennale d’art contemporain, organisée par l’Union des artistes de Lituanie, se déroulera à la gare ferroviaire, à l’aéroport et à la gare routière de Vilnius sur le thème « Nouveau visage de la ville ». Ce projet pluridisciplinaire veut renouveler le regard sur l’architecture moderne de Vilnius, un concept commun au projet baptisé « Portes parlantes ». Ces installations interactives d’art sonore envahiront Vilnius, ses espaces publics, points de rencontre, musées, universités ou bâtiments. Les passants pourront jouer avec des enregistrements conçus par des ingénieurs du son et compositeurs de musique électronique. La 10e Triennale balte internationale d’art se tiendra, elle, du 4 septembre au 8 novembre, au Centre d’art contemporain de Vilnius. Organisée en partenariat avec le Centre d’art contemporain de Linz (lire p.16) et la Halle d’art de Lund (Suède), la Triennale a invité des artistes à prendre possession des quartiers périphériques de Vilnius. Auparavant, du 4 au 31 juillet, la Galerie Arka et d’autres galeries de la ville présenteront leurs œuvres sur la thématique « Abstraction et expressionnisme : deux traditions de la peinture de Vilnius ». Festival de musique sacrée, concerts de jazz européen, représentations de la Comédie française, spectacles itinérants, projections de nombreux films : la ville a prévu pléthore d’événements. Mais elle a aussi oublié de mentionner un pan essentiel de son histoire (lire l’encadré), celle de sa population juive, qui, avant d’être exterminée à 80 % par les nazis aidés de leurs collaborateurs lituaniens, avait fait de Vilnius un grand centre culturel.
Pour en savoir plus : www.culturelive.lt/fr
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Vilnius en deçà de son titre
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Abonnez-vous dès 1 €N’était-il pas prématuré d’élire Vilnius capitale européenne de la Culture ? On peut sérieusement se poser la question au regard de manques évidents dans la programmation. Exceptés un requiem aux victimes de l’Holocauste, organisé par la communauté juive de Lituanie le 23 août, et la vague promesse de programmes éducatifs pour les élèves, rares sont les manifestations faisant écho à l’histoire de la population juive de Vilnius, ancien grand centre de la Culture yiddish. À l’inverse de Linz, qui, d’emblée, a choisi d’évoquer son passé nazi et ses liens étroits avec le Fürher (lire p. 16), Vilnius donne l’image angoissante d’une ville amnésique. Pourtant, Vilnius fut un temps surnommée la « Jérusalem du Nord ». Avant la Seconde Guerre mondiale, 40 % de sa population était juive. La ville abritait une grande synagogue, des écoles religieuses, des bibliothèques, des maisons d’éditions de la communauté yiddish. De ce passé, il ne reste quasiment rien, et les promesses de réhabiliter le quartier juif sont toujours à l’état de projet, tandis que les manifestations publiques antisémites se multiplient. Le titre de Capitale européenne de la culture avait offert à Vilnius l’occasion idéale d’affronter ses vieux démons et d’enfin honorer son devoir de mémoire. Elle ne l’a pas saisi. « Kaddish (Requiem) aux victimes de l’Holocauste » et programme éducatif, 23 août, organisateurs : Association « Festival St Christophe », Communauté juive de Lituanie, www.litjews.org ; www.kristupofestivaliai.lt.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°296 du 6 février 2009, avec le titre suivant : Vilnius en deçà de son titre