Biennale

BIENNALE D’ART CONTEMPORAIN

La Biennale de Lyon entre en gare

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 3 octobre 2024 - 1014 mots

LYON

La 17e Biennale d’art contemporain de Lyon, pilotée par Alexia Fabre, inaugure son nouveau point d’ancrage, un ancien bâtiment de la SNCF.

Vue de la 17e Biennale d'art contemporain de Lyon aux Grande Locos. © Jair Lanes
Vue de la 17e Biennale d'art contemporain de Lyon aux Grande Locos.
© Jair Lanes

Lyon (Rhône-Alpes). Intitulée « Les voix des fleuves - Crossing the water », la 17e édition de la Biennale de Lyon suit les cours du Rhône et de la Saône en proposant un parcours en neuf étapes dans la métropole, du Musée d’art contemporain, au nord, jusqu’au Musée gallo-romain de Saint-Romain-en-Gal – et au-delà sur tout le territoire, à travers le programme « Résonnance ». Pour la première fois, le métro lyonnais fait, dès l’arrivée en gare, la publicité de la manifestation : le réseau de transport en commun Systral Mobilités, l’un des nombreux partenaires de la Biennale, a en effet inauguré trois vitrines de la station Part-Dieu avec des sculptures et des peintures d’Edi Dubien, connu pour ses portraits sériels d’adolescents diaphanes, dont on retrouve les toiles aux Grandes Locos.

Avec le Musée d’art contemporain de Lyon (MAC Lyon) et la Cité internationale de la gastronomie, les Grandes Locos comptent parmi les trois sites principaux. Appelé à devenir un vaste spot culturel, le lieu ouvre cette année ses portes au public et son gigantisme est en soi un objet de curiosité. Dans le quartier de La Mulatière, cet ancien « technicentre » de la SNCF, regroupe un ensemble de bâtiments industriels : les travaux de réhabilitation des 500 000 mètres carrés de halles et d’espaces extérieurs se poursuivront jusqu’en 2028, et la Biennale d’art contemporain en essuie les plâtres. Avec bonheur. Car la démesure de ces espaces est parfaitement maîtrisée par la scénographie fluide et limpide d’Alexia Fabre (directrice de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris), commissaire invitée de cette édition, qui a évité l’écueil du remplissage. Une quarantaine d’œuvres seulement sont réparties aux Grandes Locos. Sur l’une des façades extérieures se déploie ainsi une fresque en noir et blanc de Chourouk Hriech, dont les utopies urbaines à l’encre de Chine se nichent également dans la première halle, sous un dôme accueillant. Un immense néon de Nathan Coley, proclamant There will be no miracles here – référence cryptique à un épisode de l’histoire de France – pourra passer pour un avertissement lucide ou pour une interdiction à transgresser. Même ambivalence dans l’œuvre de Myriam Mihindou, placée dans l’entrée : fichée sur des fers à béton apparents, une forêt de bras aux index levés se dresse comme pour demander une permission ou contester un ordre établi (Lève le doigt quand tu parles, 2023-2024). On peut y voir une allusion aux luttes syndicales ouvrières ayant pris place dans ce lieu, dont l’installation lumineuse de Michel de Broin vient magnifier les traces d’usure demeurées dans les voûtes, inscrivant, à même l’architecture, l’écriture incandescente et indéchiffrable du temps.

Alexia Fabre a souhaité que le visiteur soit physiquement impliqué dans l’expérience des œuvres : on arpente le long podium de Feda Wardak, intrigué par ses colonnes en lévitation – elles font référence aux infrastructures d’irrigation afghanes détruites par les attaques américaines (Les sols ont vibré, 2024). On traverse aussi Le Corridor textile de Liesl Raff ou encore le long tunnel en bois d’Hans Schabus, véritable piège à selfies, posé sur quatre tortues (Monument for people on the move, 2024).

On note, dans cette édition, la présence de plusieurs œuvres sonores, à l’instar de l’installation d’Hélène Delprat, Vous êtes en train de m’enregistrer ?, qui fait entendre la voix du comédien Jean-Louis Trintignant, ou du live de Pavel Büchler, judicieusement diffusé dans la salle toute en longueur des anciens lavabos collectifs, que l’on parcourt sous les rafales d’applaudissements issus de différents enregistrements de concerts à travers le monde.

L’œuvre phare : The Cave

Il faut attendre de pénétrer dans la seconde halle pour rencontrer l’œuvre phare de la Biennale. The Cave d’Oliver Beer était précédée dès les premières heures d’ouverture par un bouche-à-oreille enthousiaste. L’artiste britannique et francophile avait déjà pris part à la 12e Biennale de Lyon, en 2013, où il avait notamment présenté le linoleum prélevé dans la cuisine de sa grand-mère pour conserver l’empreinte de son aïeule disparue. Aussitôt après, Oliver Beer avait intégré la galerie Thaddeus Ropac (il est désormais également représenté par la galerie Almine Rech). Compositeur de formation, ce diplômé de la Ruskin School of Art de l’université d’Oxford a étudié la théorie cinématographique à la Sorbonne, à Paris. Les interactions entre l’espace architectural et la voix humaine sont au cœur de son travail, et en particulier, depuis 2007, avec « Resonance Project » (« Le projet résonance »). The Cave était ainsi en gestation depuis plusieurs années : l’artiste voulait « faire chanter » les grottes préhistoriques décorées de peintures pariétales, persuadé que leur acoustique recèle une qualité particulière, qui nous relie, à travers les millénaires, à l’histoire de nos ancêtres. En 2021, c’est grâce au soutien du programme « Mondes nouveaux » qu’il lance la production de l’œuvre. « La pièce était terminée, j’attendais le bon endroit pour la montrer », explique-t-il. On ne pouvait rêver meilleur emplacement pour découvrir cette installation monumentale sur deux niveaux. Au premier niveau, huit écrans forment une spirale gigantesque au milieu de laquelle on est invité à déambuler. Chaque écran suit la descente dans la grotte paléolithique de Font-de-Gaume, de huit chanteurs, de leur passage, un par un, du jour à la nuit, jusqu’aux entrailles de la Terre. C’est là, devant les parois ornées de peintures rupestres, à la lueur d’une lampe de poche, que la voix de chacun s’élève en réponse à la demande de l’artiste : quelle est la chanson qui a bercé votre enfance ? On frissonne en écoutant l’auteur-compositeur Rufus Wainwright interpréter a capella À la claire fontaine. Peu à peu, les voix se mêlent d’un écran à l’autre, s’unissent au diapason vibratoire du site. Placé au cœur de ce vortex musical, ce que l’on ressent relève de l’émotion viscérale pure. C’est une des réussites de la Biennale d’avoir accordé une telle place à une œuvre sensorielle (dont le second volet, accessible au sous-sol, réunit un ensemble de Resonance Paintings ainsi que les vidéos des entretiens menés avec chaque chanteur). C’est aussi l’expression d’un choix pour un art qui rassemble et crée du lien.

Les voix des fleuves - Crossing the water, 17e édition de la Biennale de Lyon
jusqu’au 5 janvier 2005, 69000 Lyon : Les Grandes Locos, 10, rue Gabriel-Péri, La Mulatière ; le MAC Lyon, 81, quai Charles-de-Gaulle ; et la Cité internationale de la gastronomie, 4, Grand Cloître du Grand-Hôtel.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°640 du 4 octobre 2024, avec le titre suivant : La Biennale de Lyon entre en gare

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