LYON
Deux tiers des artistes exposés à la Biennale vivent et travaillent en France.
Lyon (Rhône-Alpes). Comme toute manifestation culturelle, une biennale d’art contemporain résulte de choix esthétiques et thématiques, mais elle est aussi façonnée par des facteurs contingents. Cette 17e édition a ainsi dû composer avec quatre millions d’euros de moins que l’édition précédente – en 2022, le duo de commissaires invités, Sam Bardaouil et Till Fellrath, avait mobilisé la diaspora libanaise pour abonder le budget ; il a fallu cette fois faire sans ces généreux contributeurs. Les subventions de la Région, réduites de 350 000 euros depuis cette même édition 2022, n’ont pas été revues à la hausse. Avec l’inflation galopante des coûts, ce statu quo compte comme une baisse. Pour compléter les aides publiques (allouées également par l’État, la Métropole et la Ville), il a fallu chercher de nouveaux partenaires privés, certains participant en nature, comme la Compagnie française du conteneur (CFC), Cireme Échafaudages ou Ikea. Laurent Bayle, le président de la Biennale, a d’ailleurs rappelé que Sabine Longin, nommée à la direction générale de la Biennale d’art et de danse de Lyon en mai dernier, avait pour mission de développer les partenariats et le rayonnement à l’international.
La visibilité des artistes hors des frontières est un enjeu de soft power auquel s’emploient les instituts culturels étrangers ; la Biennale de Lyon en bénéficie grâce à l’aide à la production de ministères étrangers – plusieurs œuvres ont par exemple été produites avec le soutien du ministère autrichien de la culture, telle la sculpture monumentale de Hans Schabus aux Grandes Locos (Monument for people on the move), ou l’étonnante installation de Robert Gabris, artiste rom et queer, qui occupe une salle du Musée d’art contemporain (MAC Lyon). Cette installation vidéo théâtrale met en scène les liens noués par des créatures moitié-humaines moitié-animales, tout en interrogeant notre façon de créer du « nous » (Asylum -A Poem of Unrest).
En invitant comme commissaire Alexia Fabre, Isabelle Bertolotti savait que la directrice de l’École des beaux-arts de Paris mettrait en avant les artistes issus de la scène française – au sens large, privilégiant de la sorte une forme de proximité : environ deux tiers des 78 artistes invités vivent et travaillent en France. La Collection Société Générale a prêté quelques œuvres d’artistes basés à l’étranger comme Luo Dan ou Otobong Nkanga. Neuf plasticiens (telle la sculptrice et performeuse Alix Boillot) ont co-produit leurs œuvres, avec des volontaires, sur le territoire de la métropole et de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Gözde Ilkin, basée à Istanbul, a pour sa part été invitée en résidence à La Mulatière afin de produire sa pièce textile (The Majority of accent, 2018-2024).
Quant à la thématique, très ouverte, des relations humaines, elle s’avère à l’usage extrêmement extensible. Au risque peut-être d’un effet de juxtaposition. C’est ce que l’on ressent au MAC Lyon, dont les trois étages sont occupés par les œuvres de 27 artistes, toutes générations confondues, des dessins d’Annette Messager à ceux de Tirdad Hashemi & Soufia Erfanian, que l’on avait pu voir en partie à la galerie gb agency en 2023. L’accrochage rend aussi hommage à trois disparus : Chantal Akerman, Christian Boltanski et Sylvie Fanchon, dont l’ultime série de peintures, aux prises, de façon subtilement comique, avec l’intelligence artificielle, avait été présentée en 2018-2019 au Frac Franche-Comté et à l’Espace de l’art concret à Mouans-Sartoux.
Afin sans doute de ménager une respiration, le troisième niveau du musée est entièrement dévolu à la Blue Room de Grace Ndiritu (voir ill.) : la directrice artistique et la commissaire ont découvert son projet, « Healing the museum », au Musée municipal d’art contemporain (SMAK) à Gand, en Belgique. Davantage qu’une installation, sa proposition in situ est une scénographie photogénique d’œuvres, la plupart anonymes, provenant de différentes collections locales – MAC Lyon, Musée des beau-arts, Musée des tissus … – associées à des pièces textiles de l’artiste elle-même. C’est l’une des découvertes que la Biennale met en avant.
Parmi les autres talents à suivre, c’est à la Cité internationale de la gastronomie – associée au parcours pour la première fois – que l’on peut admirer les sculptures organiques immaculées de Hajar Satari, hybridant les formes humaines et végétales. Quant aux spectaculaires « machines à guérir » de Guadalupe Maravilla évoquant la violence subie par les migrants et les rituels dévotionnels, elles se déploient sous les coupoles de l’ancien hôpital du Grand Hôtel-Dieu.
On apprécie, dans cette édition, la volonté manifeste d’accorder de la place aux artistes, non seulement en présentant des pièces de grand format aux Grandes Locos, mais aussi en montrant des ensembles d’œuvres significatifs, comme c’est par exemple le cas pour les peintures figuratives de la jeune Ludivine Gonthier, portraits d’une génération exposés au MAC Lyon. C’est également ce parti pris qui prévaut à l’Institut d’art contemporain (IAC), à Villeurbanne, où se tient Jeune Création internationale, qui réunit dix artistes émergents, moitié issue de la scène régionale et moitié de la scène internationale. On y remarque notamment les sculptures domestiques et l’univers clinique de Matthias Odin, qui racontent sa précarité de sans domicile fixe hébergé ici et là, ou dans un registre opposé, la Maison en bois de lune au mobilier de cuir, de métal et de bois brûlé du duo Jennetta Petch et Szymon Kula, entre folklore et survivalisme.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°640 du 4 octobre 2024, avec le titre suivant : Une Biennale de Lyon très française