PARIS
Il est question de sexe dans le nouvel accrochage du Mnam. Pas du sexe dans l’art, sujet de l’expo « Féminin-Masculin » en 1995, mais du sexe des artistes, puisque Beaubourg écarte la testostérone pour ne se consacrer qu’aux femmes… Au risque de créer la polémique.
Culot notable que celui d’une institution qui, plutôt que de montrer ses muscles, aligne coup sur coup, deux manifestations procédant par négativité et soustraction drastique : après la série de « Vides » exposés en février dernier, Beaubourg défalque les hommes de son musée. Accrochage ter. Pas encore démarré qu’il était déjà discuté. Après « Big Bang » en 2005 et le brillant « Mouvement des images » en 2006, voici donc un troisième accrochage thématique que signe le Mnam à Beaubourg.
Camille Morineau, la commissaire, et, avec elle, l’institution parisienne font cette fois le pari d’une histoire de l’art du xxe siècle audible et pertinente par la seule présentation d’artistes femmes. L’entreprise, affichant ses enjeux politiques et militants, pose évidemment question, avant même que les œuvres et leur exposition n’aient eu leur mot à dire. Exit les héros. Tous les héros. Et place aux héroïnes. Quelle valeur scientifique accorder alors à une telle histoire ? Est-ce une histoire parallèle que l’on écrit ? La même ? Une sous-histoire ? Une contre-histoire ? Exit Picasso, Malevitch, Calder, Duchamp, Lavier, Rothko, Kosuth, Beuys, Buren, place à Louise Bourgeois, Tatiana Trouvé, Natacha Nisic, Gina Pane, Suzanne Valadon, Tamara de Lempicka, Yoko Ono, Annette Messager ou Marina Abramovic.
Une histoire culturelle et une histoire des collections
Ce que montre l’accrochage, c’est évidemment la richesse créatrice de ces femmes artistes mais c’est aussi une histoire en creux. À plus d’un titre, puisque ce que l’on expose, ce sont aussi les héros absents en mettant en lumière celles qui furent si longtemps absentes faute de visibilité, de statut et de moyens de production. Autrement dit, ce qui est exposé ce sont aussi des trous – béants dans la première moitié du siècle – des manquements, des accélérations combatives dans les années 1970, des rattrapages – notamment l’achat in extremis de pièces d’Orlan pour compléter un trop maigre ensemble.
C’est une histoire culturelle et sociale et c’est aussi une histoire de la collection. Au fond, ce que dit l’accrochage c’est, écrit la commissaire : « La représentation de la représentation des femmes dans la collection ».
L’accrochage en question s’effectue donc à partir d’un demi-millier d’œuvres, sur deux plateaux et en sept chapitres, cédant tout un niveau aux modernes, à celles qui innovèrent, aux pionnières, aux Delaunay, Arbus, Goncharova, Eileen Gray et autres Charlotte Perriand, pour une époustouflante première moitié du xxe siècle. À l’étage inférieur, les femmes artistes seront notamment des corps slogans avec une des fameuses robes de viande fraîche cousue par Jana Sterbak en regard des reliques de performances époque Orlan-Corps (1977), alors que l’artiste prenait la mesure de l’espace à partir de son propre corps étalon allongé sur le sol.
Elles seront encore historiques – pour ne pas dire féministes – excentriques, domestiques (avec Sophie Calle), narratives (avec Dominique Gonzalez-Foerster) ou immatérielles obéissant à une thématisation qui tâche d’éviter les poncifs du « genre », rappelant que le fil suivi est davantage historique qu’anthropologique et culturel.
La femme artiste, un thème comme un autre ?
Question alors : si la sélection ne se limite pas – à juste titre – aux artistes dont la stratégie passe par l’identité sexuelle ou par le genre, si l’exposition laisse autant de place à Tacita Dean et Rachel Whiteread qu’à Valie Export ou aux dénonciations comptables des Guerilla Girls, si le propos ne marche pas sur les plates-bandes des grandes manifestations historiques comme « Wack ! Art and the Feminist Revolution », passée par Los Angeles et Vancouver cette année, alors comment comprendre l’accrochage ?
S’il s’agissait d’un pur geste politique, alors peut-être, comme le suggéraient malicieusement l’artiste Raphaël Zarka et les signataires de la pétition, aurait-il suffi (!) de décrocher pour quelques jours les œuvres masculines des collections permanentes. La démonstration eût été aussi irrésistible qu’imparable. Mais en évaluant les artistes femmes comme une possible « thématique », le musée pourrait bien scier la branche sur laquelle le versant militant du projet s’est appuyé, ramenant une fois encore la question du genre au féminin, abandonnant une fois encore, l’universel au masculin.
C’est encore ce que dit Annette Messager lorsqu’elle confie « Je me sens plus femme en tant qu’artiste que dans la vie » à Catherine Gonnard et Élisabeth Lebovici dans leur livre Femmes artistes/Artistes femmes (Hazan, 2007) une somme qui corrigeait et recontextualisait une histoire de l’art assurément écrite par les hommes. Le livre permettait ce qui manquera sans doute à l’exposition : un cadre social, des contextes politiques et culturels. À Beaubourg, c’est sur le visuel et le visuel seulement qu’il faudra compter pour écrire son histoire de l’art du xxe siècle. Il est alors utile de profiter autant que possible de la précieuse ribambelle de dispositifs bordant ce nouvel accrochage : catalogue remarquablement fourni, rencontres, débats, projections, performances… Un substantiel appareillage qui permet de donner la parole à un débat intellectuel contradictoire aux féminismes.
1910
Sonia épouse Robert Delaunay.
1926
Frida Kahlo débute la peinture après un accident.
1935
Dora Maar rencontre Picasso.
1946
Dorothea Tanning épouse Max Ernst.
1954
Mort de Claude Cahun. Naissance de Cindy Sherman.
1960
Niki de Saint Phalle adhère au Nouveau Réalisme.
1975
Performances de Marina Abramovic.
1976
Décès d’Eileen Gray.
1978
Gina Pane ouvre un atelier de performances à Beaubourg.
1990
Opérations chirurgicales d’Orlan.
1992
Décès de Viera da Silva.
1993
Louise Bourgeois représente les États-Unis à Venise.
1995
MoMA : rétrospective Annette Messager.
2000
Pipilotti Rist reçoit le Lion d’or de la Biennale de Venise.
2007
Tatania Trouvé obtient le prix Marcel Duchamp.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°614 du 1 juin 2009, avec le titre suivant : Femmes. « Elles » envahissent Beaubourg