S’appuyant sur des chiffres, un texte publié dans la presse mettait récemment en exergue le sexisme du monde de l’art. Mais la parité n’est pas affaire de comptage, même si des progrès restent à faire.
Ca pourrait bien être une tendance lourde. Quelque chose comme une inflation d’exercices de réparation, d’équilibrage ou d’indignation. Les expositions 100 % féminin – 100 % non masculin – se multiplient en France. Dans le même temps se répètent les opérations de comptage constatant la maigre représentativité des femmes dans le monde de l’art en général et dans les collections publiques en particulier. Qu’on se souvienne des quelques bruyantes agitations qui avaient sanctionné « Dionysiac » à Beaubourg en 2005, exposition pour laquelle Christine Macel avait décliné une partition autour de la notion de flux, sur un mode exclusivement masculin. Une option dont elle avait d’ailleurs cru bon – à tort – de se justifier.
En témoigne encore cette récente tribune parue dans Le Monde sous la plume de quatre notoires actrices de l’art (Isabelle Alfonsi, Claire Moulène, Lili Reynaud Dewar et Élisabeth Wetterwald), exaspérées par la faible présence (16 %) des artistes femmes dans l’exposition « La Force de l’art 02 », triennale orchestrée par trois messieurs commissaires un scénographe suisse et garçon. L’art serait donc en mains mâles. Et plus encore – ce dont les signataires ne semblent guère s’émouvoir –, il serait même en mains mâles et blanches. L’insoupçonné constat que voilà. Le monde de l’art ne serait donc que l’ordinaire décalque des rapports de pouvoir observés dans notre société.
Des femmes de plus en plus présentes sur la scène actuelle
Il faut bien convenir qu’après une première et longue histoire de l’art scrupuleusement écrite au masculin, une génération au moins s’en est tirée sans les honneurs, coincée entre les défricheuses activistes des années féministes et les actuelles affranchies du genre comme sujet. Pour le reste, en étant à peine de mauvaise foi et puisqu’il faut être comptable, on pourrait objecter qu’artistes et commissaires femmes n’ont jamais été aussi présentes dans la kyrielle d’expositions de jeune art contemporain programmées en France et que s’il fallait évaluer le partage des nouvelles directions de centre d’art ces dernières années, l’équilibre s’en trouverait sans doute inversé.
Alors ? Combat d’arrière-garde, piqûre de rappel politiquement über-correct ou mauvais outils d’analyse ? Le texte de bonne volonté aura au moins eu le mérite de remettre un peu de jus dans nos (bonnes) consciences et du pain sur la planche. Mais on pourrait ajouter sans trahir son féminisme, que l’assaut pétitionnaire en question, nouait avec une étonnante légèreté des chiffres piochés dans des contextes et des temps historiques distincts. Et qu’il se contentait de faire du quantitatif son unique outil d’analyse. Pas sûr que la nature de l’art s’y retrouve.
Pas sûr que l’art ait charge de représentativité au même titre que le politique. Les progrès, même nécessaires, sont à arracher ailleurs et en amont. Et il est bien difficile d’imaginer placer dans la validation de l’art – puisque c’est bien de ça qu’il s’agit – des critères de genre, dont il faudrait d’ailleurs commencer par discuter.
Les États-Unis, une longueur féminine d’avance sur l’Europe
Voilà pour le comptage. Mais il y a encore celles qui, lasses de compter, opposent une force commune(autaire). L’exposition de genre a depuis longtemps trouvé aux États-Unis le cadre intellectuel nécessaire à sa légitimation et donc à sa critique. Musée d’artistes femmes, expositions de femmes, de genre, de genres, de sous-genres, thématiques féministes, approches queers, les exemples ne manquent pas, discutés à l’ombre théorique des Gender studies.
En Europe, et en France en particulier, le retard en la matière pourrait en partie expliquer la relative inflation de l’exercice. Tous azimuts. S’annonce par exemple « Cris et chuchotements » au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris, exercice communautaire rassemblant sans véritable soubassement théorique une vingtaine d’artistes femmes autour des marronniers thématiques de l’identité, de l’intimité (sic) et de l’imaginaire féminins. Des entreprises répétées d’autant plus fragiles qu’elles relaient l’a priori d’un art féminin, qui plus est archétypal, qui, s’il existe, n’est bien souvent que la redite inactive des innovations engagées par les pionnières dans laquelle trop d’artistes femmes se prennent encore les pieds.
À contre-poil et plus fertile, vient de se terminer « Formes féminines » au Triangle à Marseille, une exposition rigoureuse qui voulait – ironie de la situation – par un strict point de vue féminin (Monica Bonvicini, Delphine Coindet, Jenny Holzer, Lili Reynaud-Dewar…) redonner de l’universalité aux pratiques artistiques féminines. Ou autrement dit : mettre l’universalité en crise pour mieux la gagner. Au programme, des artistes aux prises avec les outils du modernisme, peu soucieuses du genre comme sujet et matière. Autrement dit, militant pour une subjectivité de l’artiste débarrassée du point de vue féminin. En préparation, et porté par la même équipe marseillaise, sort d’ailleurs en juin le premier numéro de la revue critique Pétunia, affichant sa « petite particularité » : mettre un accent discret sur la création féminine. En pleine forme…
Tandis qu’il présente jusqu’au 6 juin 2009 l’artiste portugaise Joana Vasconcelos, dont François Pinault a acquis les trois cœurs rouges tourbillonnant au son du fado, actuellement exposés au Garage à Moscou, le centre culturel Calouste Gulbenkian à Paris prépare une exposition à 200 % féminine : « Au féminin : les femmes photographiant les femmes ». Plus de cent photographes, sans distinction de nationalité, seront rassemblées à partir du 24 juin dans le centre situé près de l’Étoile, des primitives du médium comme Julia Margaret Cameron (1815-1879), aux artistes actuelles telle Cindy Sherman (née en 1954), en passant pas les maîtres du style documentaire avec Dorothea Lange (1895-1965). Si l’exposition promet, sur le papier, un bel ensemble d’œuvres, son commissaire, Jorge Calado, à l’origine dans les années 1980 de la collection de photos du Portugal, devra faire avec le lieu, un hôtel particulier bien ingrat quand il s’agit d’y présenter de l’image fixe (www.gulbenkian-paris.org).
Fabien Simode
Informations pratiques. « elles@centrepompidou. Artistes femmes dans les collections du Centre Pompidou » jusqu’au 24 mai 2010. Centre Pompidou, Paris. Tous les jours sauf le mardi de 11 h à 21 h. Tarifs : 12 et 8 e. www.centrepompidou.fr Le catalogue de l’expo. Riche de plus de 300 illustrations, le catalogue décrit les œuvres et les artistes présentes dans le nouvel accrochage du Mnam. Des textes introductifs et des essais écrits par des sociologues, historiens de l’art, critiques, enseignants du monde entier décryptent la place de la femme dans l’histoire de l’art. Dans ce catalogue transdisciplinaire, tous les médiums artistiques sont évoqués au fil des chapitres : peinture, sculpture, design, graphisme, architecture. Pionnières, excentriques, immatérielles, féministes, plus de 200 artistes femmes sont ainsi à (re)découvrir.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°614 du 1 juin 2009, avec le titre suivant : 100 % sans hommes