Design

Droit dans ses sneakers

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 30 juillet 2020 - 750 mots

BORDEAUX

Le Musée des arts décoratifs et de design de Bordeaux retrace l’histoire des baskets où se croisent le sport et la contre-culture.

Pierre Hardy, Vibe, 2019 (collection femme été) © Pierre Hardy
Pierre Hardy, Vibe, 2019 (collection femme été).
© Pierre Hardy

Bordeaux. Ce n’est plus un musée, mais un incroyable magasin de chaussures de sport qui réunit une flopée de spécimens parmi les plus notoires de la planète. Comment lesdites baskets – les Anglophones disent : « sneakers » – ont-elles pu ainsi franchir les portes du Musée des arts décoratifs et du design de Bordeaux ? « Il y a encore quelques années, les étudiants en design portaient au pinacle Jonathan Ive [ex-patron du design chez Apple]. Or aujourd’hui, ils ne jurent que par…Alexander Taylor, designer vedette de la marque Adidas, qui fut le premier à imaginer un modèle fabriqué d’un seul tenant à l’aide d’une imprimante 3D, raconte Constance Rubini, directrice du musée et commissaire de l’exposition. Je me suis alors rendu compte de l’impact réel des sneakers dans la vie quotidienne, mais également de leur richesse culturelle, tant elles brassent divers domaines : le sport certes, mais aussi la danse ou la musique, jusqu’au développement durable. Il en existe à tous les prix : du “pain au chocolat” au “lingot d’or”. Bref, c’est un vrai sujet de société ! » Et un thème ô combien fédérateur, car « trop de gens hésitent encore à entrer dans les musées », estime Constance Rubini, qui veut, avec cette exposition, croiser davantage les publics.

« Playground, le design des sneakers » réunit ainsi quelque 600 pièces – des baskets principalement, mais aussi des prototypes, photographies ou films – qui dessinent une saga bariolée de cet accessoire vestimentaire devenu, en l’espace d’un demi-siècle, un objet de consommation de masse. D’emblée, dans une vitrine oblongue, se déploie en une quarantaine de paires une chronologie succincte : de la Converse Chuck Taylor cru 1917 (l’exemplaire présenté date de 1936) à un modèle glamour signé du styliste Rick Owens et baptisé « Vicious » (Adidas, 2014), en passant par la mythique Stan Smith qui, on le sait peu, portait à l’origine le patronyme de son auteur, le tennisman français Robert Haillet.

La présentation se décline ensuite en deux grandes sections : d’un côté, le sport et la mode ; de l’autre, la recherche. La première décrit comment l’objet, longtemps réservé aux activités sportives, va petit à petit s’immiscer dans la rue, puis dans l’univers de la mode, avec l’émergence de contre-cultures telles que le hip-hop, la breakdance, le rap, le skate ou la danse (Béjart, Messe pour le temps présent, Festival d’Avignon, 1967), symboles forts de l’anticonformisme. Cette section se fait miroir des grandes marques telles Reebok, Puma, New Balance, Adidas, Asics, Nike…, mais évoque aussi les sportifs hommes et femmes qui ont forgé leur réputation, Usain Bolt et ses souliers dorés (JO de Pékin, 2008) ou Antoine Griezmann et ses « chaussons » vert acide portés lors de la dernière Coupe du monde de football en Russie.

Un unique fabricant

Les créateurs, discrets par obligation, se retrouvent ici sur le devant de la scène. Ainsi en est-il de Jacques Chassaing, Alsacien virtuose chez Adidas et auteur notamment de la série « ZX ». Ou encore de l’Américain Tinker Hatfield, designer fétiche de Nike, père des Air Max, puis de l’iconique Air Jordan pour le basketteur Michael Jordan.

Sport et musique font bon ménage, comme en témoigne le tube du groupe Run-DMC My Adidas, qui permit alors à la marque de grimper sur les podiums des ventes états-uniennes. Avant que la mode, elle-même, ne s’en empare, de la pionnière Jil Sander (Adidas, 1998) à Jeremy Scott, Pierre Hardy ou Yohji Yamamoto.

La compétition entre firmes peut se révéler sans pitié. Ainsi, à l’approche des JO de Mexico (1968), lorsque Adidas souffle le nom d’« Aztec » à Nike, Bill Bowerman, cofondateur de la firme, baptise son modèle… « Cortez », du nom du conquistador sanguinaire espagnol, comme une métaphore du duel à venir. Pourtant, aussi étonnant que cela puisse paraître, pour les matériaux, la majorité des marques se tournent vers un seul et même fournisseur : le géant allemand de la chimie BASF. Auteur de moult innovations technologiques, ce dernier sait sublimer le confort, le poids, le rebond, l’amorti, la torsion, etc.

Quintessence de la culture « sneakers », la star Air Jordan de Nike est à la fois pain au chocolat – depuis 1985, il s’en serait vendu plus de 100 millions dans le monde… – et lingot d’or : le 17 mai, lors d’une vente aux enchères de Sotheby’s NewYork, une paire d’Air Jordan 1 portée en 1985 par le joueur éponyme s’est envolée à… 560 000 dollars (499 000 euros).

Playground, le design des sneakers,
jusqu’au 10 janvier 2021, Musée des arts décoratifs et du design, 39, rue Bouffard, 33000 Bordeaux.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°549 du 3 juillet 2020, avec le titre suivant : Droit dans ses sneakers

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