Jeux Olympiques - Histoire - Musée

Comment le sport est entré au musée

Par Mathieu Oui · L'ŒIL

Le 5 octobre 2023 - 1165 mots

Très représentées dès l’Antiquité, les activités physiques ont connu une longue parenthèse artistique avant de resurgir à la période moderne. À quelques mois de l’année olympique, retour sur des relations ambivalentes.

Myron (attribué à), Discobole, copie romaine d’un original en bronze aujourd’hui disparu, vers 120 après J.-C. (original datant du Ve siècle avant J.C.). © Livioandronico2013, 2015, CC BY-SA 4.0
Myron (attribué à), Discobole, copie romaine d’un original en bronze aujourd’hui disparu, vers 120 après J.-C. (original datant du Ve siècle avant J.-C.).

Le compte à rebours a commencé ! Dans moins d’un an, débuteront les Jeux olympiques d’été de Paris, événement planétaire avec plus de 15 millions de visiteurs attendus. Villes, musées, centres d’art et organisateurs de festivals sont depuis des mois dans les starting-blocks pour offrir une programmation artistique en écho aux JO et bénéficier de son impact médiatique. Dès cet automne, le Musée des arts décoratifs à Paris propose une exposition sur les relations entre la mode et le sport, le festival Les Photaumnales, en Picardie, consacre sa vingtième édition à cette thématique et la programmation va encore s’enrichir dans les mois à venir, avec des manifestations annoncées dans tout l’Hexagone. L’occasion de revenir sur la place du sport dans l’histoire de l’art, une relation qui a fluctué au cours des siècles. L’intérêt des artistes est ancien : dès l’Antiquité, la représentation des activités physiques – on ne parlait pas encore de sport – constitue un sujet majeur de la statuaire classique. Coureurs, lutteurs ou lanceurs de disque, les athlètes sont représentés nus, avec le corps parfaitement dessiné, celui de demi-dieux se défiant aux jeux d’Olympie. Avec la disparition des jeux du cirque romain, une longue période de repli va suivre. Au cours du Moyen Âge, les sujets religieux deviennent prépondérants.

Au XIXe, le tournant de la modernité

Il faut donc attendre le milieu du XIXe siècle pour voir resurgir l’intérêt des artistes. L’apparition du terme « sport » remonte d’ailleurs à 1854, année de création du quotidien éponyme, comme le rappelle le critique d’art et commissaire Jean-Marc Huitorel dans La Beauté du geste. L’art contemporain et le sport. L’année 1863, qui voit la dissociation du football et du rugby, est aussi celle où Édouard Manet peint son Olympia, œuvre souvent considérée comme fondatrice de la modernité artistique. L’organisation de championnats et de compétitions et la création des premiers clubs illustrent l’institutionnalisation progressive de ce que l’on peut désormais appeler un fait social total, selon l’expression de Marcel Mauss. L’organisation des premiers Jeux olympiques modernes, en 1896 à Athènes, est concomitante d’un renouvellement en profondeur de l’art. Les impressionnistes s’emparent des sujets de plein air, avec des scènes de canotage ou de guinguettes sur les bords de la Marne. Édouard Manet et Edgar Degas témoignent tous deux de l’intérêt grandissant pour les courses hippiques. Avec son tableau Les Courses à Longchamps (1867), le premier place le spectateur face à la piste, les chevaux surgissant au beau milieu de la toile. Quant à Degas, il privilégie les moments d’attente avant le départ, la pression psychologique sur les jockeys ou représente les montures à la manière d’une chorégraphie. Quand Robert Delaunay met en scène les jeux de jambes des footballeurs, Umberto Boccioni évoque le dynamisme d’un cycliste par un ensemble de jeux de forces et de lignes d’écho. L’essor de la photographie contribue également à donner une plus grande visibilité aux activités sportives. À la même époque, l’Américain Eadweard Muybridge et le Français Étienne- Jules Marey réussissent à décomposer les mouvements des corps humains et des animaux en une succession d’images. Une presse illustrée spécialisée va diffuser abondamment les clichés et stimuler la créativité des photographes. Pourtant, au mitan du XXe siècle, cet intérêt des artistes semble de nouveau refluer. Les deux guerres mondiales, la glorification du corps à des fins de propagande politique (qu’elle soit fasciste ou communiste) et le primat de l’abstraction les poussent à explorer d’autres sujets.

Un réservoir de formes et d’objets

Qu’en est-il de la période contemporaine ? « L’important retour du sport dans l’art dans les années 1990 peut se voir comme un retour du refoulé du réel », analyse Jean-Marc Huitorel, qui s’intéresse à cette thématique depuis vingt-cinq ans. Après les périodes conceptuelles et post-modernes, les artistes qui s‘intéressent de nouveau au contexte social, environnemental ou économique ne peuvent passer à côté du sport et de son « hypervisibilité ». Celui-ci fournit un réservoir de formes et d’objets, que l’on pense aux installations pleines d’humour de Richard Fauguet (table de ping-pong perforée de trous au diamètre des balles) ou aux skateboards en céramique ou découpés à la scie de Bruno Peinado. Surtout, sport et création artistique se rencontrent autour des questions de performance, de corps magnifié, sculpté (la série sur les bodybuilders de Valérie Belin), voire augmenté. La figure mythique du boxeur inspire de nombreux plasticiens, tous genres confondus, séduits par le mélange de chorégraphie, de théâtralité et de dépassement de soi. Salla Tykkä se filme dans un combat inégal avec son compagnon (Power, 1999), Zuzanna Janin défie un boxeur professionnel (Fight, 2001), tandis que Vibeke Tandberg affronte son propre double (Boxing, 1998). « Si l’art interroge le sport, l’inverse est encore plus vrai », estime d’ailleurs Jean-Marc Huitorel. Car l’intérêt des artistes pour le sport génère toujours aujourd’hui beaucoup de questions autour de la définition et des limites de la création, de l’abstraction, de la performance ou du corps hybridé aux technologies.

Paris 2024 : l’art sur le podium

Promoteur de l’olympisme, Pierre de Coubertin n’avait pas oublié les arts. De 1912 à 1948, des épreuves olympiques furent organisées en peinture, sculpture, littérature, musique et architecture. Malgré quelques triplés, le Suisse Alex Walter Diggelmann en peinture ou le Danois Josef Petersen en littérature, la plupart des médaillés n’ont pas marqué la postérité. En 1954, l’Olympiade culturelle, programme artistique et culturel qui accompagne l’arrivée des Jeux, prend corps. Pour l’édition 2024 des JO, la Drac Île-de-France annonce une centaine de projets culturels (théâtre, cinéma, danse, musique, marionnettes, cirque, arts de la rue, etc.) avec un axe fort sur le livre et la lecture. Au rayon arts visuels, le Musée mobile proposera notamment trois expositions itinérantes de février à septembre 2024, à partir d’œuvres des collections des Fonds régionaux d’art contemporain et du Centre Pompidou.

  La mode en piste aux Arts déco 

Fin 2020, l’exposition Sneakers à Bordeaux avait suscité un engouement sans précédent, reflet de la passion du grand public autour des chaussures de sport. Nul doute que cet accrochage sur la mode et le sport devrait connaître le même succès, tant ces domaines relèvent tous deux de la culture populaire. Conçu par Sophie Lemahieu, conservatrice au département mode et textile au Musée des arts décoratifs de Paris, le parcours réunit plus de 400 pièces (vêtements, accessoires, photographies, croquis, magazines, affiches, peintures, sculptures, vidéos, etc.). L’exposition retrace l’évolution du vêtement sportif et son influence sur la mode contemporaine. À partir de la deuxième moitié du XXe siècle, le look sportswear, en écho à la démocratisation du sport, influence de plus en plus les stylistes. La notion de confort devient aussi de plus en plus prégnante dans le vestiaire quotidien. Clou de l’exposition, une piste d’athlétisme reconvertie en podium de tenues signées Paco Rabanne, Comme des garçons, Gucci ou Yamamoto.

 

« Mode et sport, d’un podium à l’autre »,

jusqu’au 7 avril 2024, Musée des arts décoratifs, Paris-1er, madparis.fr

À voir
Festival Photaumnales, « Hors jeux. Les photographes regardent le sport »,
40 expositions à Beauvais et en Picardie, jusqu’au 31 décembre 2023. www.photaumnales.fr
À lire
« La Beauté du geste. L’art contemporain et le sport, »
Jean-Marc Huitorel, Éditions du Regard, 250 p., 40 €.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°768 du 1 octobre 2023, avec le titre suivant : Comment le sport est entré au musée

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