Toutes périodes

Comprendre la peinture de paysage

Par Isabelle Manca-Kunert · L'ŒIL

Le 23 mai 2023 - 949 mots

Au Louvre-Lens, une passionnante exposition retrace l’histoire de la peinture de paysage, de la Renaissance à nos jours, et pose la question : qu’est-ce qu’un paysage ? Éléments de réponse…

1. Création

Depuis la Renaissance et l’affirmation de la peinture comme fenêtre ouverte sur la nature, le paysage a acquis une dimension à la fois mimétique et presque démiurgique. En réinventant un monde en miniature, l’artiste agit en effet tel un dieu créateur modelant son univers à sa guise. Cette dimension sacrée, étroitement liée à la métaphore de la création divine, explique la prédominance du thème du paysage biblique dans la peinture occidentale ; ainsi, on ne compte plus le nombre d’artistes ayant dépeint le paradis, qu’il soit terrestre ou perdu. Si, au fil des siècles, la connotation religieuse s’estompe, la tonalité panthéiste de la nature demeure en revanche une constante. Le cycle des quatre saisons conçu par Millet traduit ainsi un puissant sentiment animiste. Un sentiment particulièrement prégnant dans le tableau Le Printemps, baigné d’une lumière surnaturelle. Le lyrisme de la composition n’empêche toutefois pas le réalisme, car la végétation est rendue avec vérité et acuité.

2. Personnage

On considère souvent à tort l’art du paysage comme une invention du XIXe siècle et indissociable de la pratique de plein air. Or, le paysage est presque aussi ancien que la peinture. Dès le XVIIe siècle, ce genre est même théorisé et sa pratique très codifiée. Elle se décompose en différentes étapes, de l’esquisse préparatoire à l’œuvre achevée, et comporte des figures imposées. À commencer par l’étude approfondie de ce que l’on désigne alors les « ornements de la nature ». Avant de composer un tableau, les artistes s’entraînent ainsi à reproduire le plus fidèlement possible les arbres et les rochers. L’arbre s’impose progressivement comme un motif en soi, une sorte d’alter ego de l’artiste, et les peintres tirent de leur contemplation de saisissants portraits. Évidemment, les arbres remarquables par leur taille ou leur physionomie suscitent tout particulièrement l’intérêt des artistes. À commencer par les troncs brisés, qui portent en eux une dimension dramatique et une lecture anthropomorphique.

3. Atmosphère

La redécouverte des ruines gréco-romaines à la fin du XVIIIe siècle suscite une vague d’anticomanie qui excite l’Europe entière. Le tableau de ruines s’impose logiquement comme le sujet à la mode par excellence. Pour les artistes, il a l’avantage d’offrir un réservoir de sujets inépuisable, mais surtout de renouveler en profondeur le genre du paysage historique en lui conférant une dimension topographique très séduisante. D’autant que ces vues pleines de poésie sont le parfait prétexte à des variations lumineuses et atmosphériques. Les sites les plus fameux, à commencer par le Forum de Rome, sont ainsi peints sous tous les angles et à différentes heures de la journée afin d’obtenir des ambiances différentes, allant de l’émerveillement de l’aube à la mélancolie du crépuscule. La tonalité élégiaque est évidemment renforcée par les vestiges qui témoignent de la chute d’une civilisation glorieuse. Ces tableaux sont ainsi autant prisés pour leur caractère décoratif que pour leur potentiel méditatif.

4. Sublime

À l’opposé des paysages idylliques, se développe, à la toute fin du XVIIIe siècle, un genre appelé à faire florès : le sublime. Le philosophe Edmund Burke théorise cette esthétique singulière qui provoque une « terreur délicieuse ». Un sentiment extrême qui naît de la contemplation mêlée d’effroi de la nature déchaînée, mais aussi de paysages grandioses dans lesquels l’homme se sent absolument insignifiant. Les artistes romantiques vont ainsi rivaliser pour immortaliser les sites les plus spectaculaires et bouleversants, notamment les montagnes vertigineuses qui connaissent alors un engouement inédit. Ils vont aussi puiser dans leur imaginaire et dans les descriptions littéraires effrayantes pour forger des motifs susceptibles de générer ce sentiment perturbant à mi-chemin entre fascination et frayeur. Puisant abondamment dans les thèmes mythiques et apocalyptiques, le peintre anglais John Martin a posé les jalons d’une esthétique fantastique dont le cinéma adoptera durablement les codes.

5. Écologie

Si les préoccupations écologiques sont au cœur des considérations des artistes actuels, cette sensibilité n’est toutefois pas nouvelle. Dès le XIXe siècle, certains créateurs manifestent une sensibilité environnementale forte et défendent concrètement des sites menacés. Peintre emblématique de la région francilienne, Théodore Rousseau prend ainsi publiquement position pour sauver la forêt de Fontainebleau, qu’il a si souvent immortalisée, et milite pour sa préservation en la transformant en réserve artistique. Il dénonce l’exploitation massive de la forêt au profit de la révolution industrielle et sensibilise le public à la beauté sauvage mais précaire du site par le biais de ses vues que s’arrachent les amateurs d’art. Ses œuvres et ses actions en font une destination touristique incontournable. À force d’acharnement, il parvient aussi à faire protéger la forêt par un décret impérial ; il s’agit de la toute première mesure administrative concernant la conservation d’un espace naturel.

6. Paysage abstrait

Catégorie incontournable de l’art figuratif, le paysage n’a pas pour autant disparu avec l’essor de l’abstraction. Prônant la fin de la représentation mimétique de la nature, les avant-gardes inventent en revanche une tout autre conception du paysage. Il ne s’agit plus de capturer une portion de nature, mais de dépeindre un monde abstrait dans lequel les moyens plastiques sont totalement autonomes et subjectifs. Mental, émotionnel ou encore symbolique, le paysage abstrait brouille les pistes. Malgré leur stylisation onirique, ceux de Georgia O’Keeffe trahissent encore le vestige d’une composition. Le spectateur attentif peut ainsi identifier un coucher de soleil éclatant sur le parc Adirondack, un site prisé des peintres américains. Cependant, le vrai sujet est la question de l’énergie immanente de la nature et de la communion entre l’homme et son environnement. L’évocation du souvenir de ce fameux point de vue est aussi et surtout le prétexte à un déploiement de couleurs chatoyantes.

« Paysage. Fenêtre sur la nature »,
jusqu’au 24 juillet 2023. Louvre-Lens, 99, rue Paul-Bert, Lens (62). Tous les jours, sauf le mardi, de 10 h à 18 h. Tarifs : de 5 à 11 €. Commissaires : Vincent Pomarède, Marie Gord et Marie Lavandier. www.louvrelens.fr

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°765 du 1 juin 2023, avec le titre suivant : Comprendre la peinture de paysage

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque