Art non occidental

Bretagne : L’exotisme n’est pas de mise

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 5 juillet 2011 - 692 mots

L’abbaye de Daoulas, dans le Finistère, raconte la passion polynésienne de Victor Segalen, qui rapporta de ses voyages des objets d’une qualité exceptionnelle.

L’altérité et la diversité : deux notions que l’abbaye de Daoulas (Finistère) s’efforce d’éclairer à travers la multiplicité des arts extra-européens. Cette saison, elle consacre sa programmation à Victor Segalen (1878-1919), Brestois d’origine, médecin de marine, ethnographe, écrivain et artiste à ses heures perdues. Axée autour du voyage qu’entreprend Segalen en 1903 et 1904 aux îles Marquises, « Rencontres en Polynésie » dresse le portrait d’une région du monde offerte aux regards européens du début du siècle, regards très souvent biaisés et source de malentendus durables sur des populations encore étranges mais déjà occidentalisées.

Dans les pas de Segalen, le visiteur est amené à poser un regard de voyageur néophyte sur les objets présentés, puis à déconstruire les clichés dans un cheminement instructif mais jamais lassant.
À l’entrée figurent cinq objets, sans cartel, aux formes étranges, pour certaines anthropomorphes, pour d’autres plus mystérieuses, aux matières non identifiées, pas plus que leurs fonctions. Comme Victor Segalen, alors âgé de 25 ans, nous débarquons dans les îles avec la « sensation de l’exotisme » et la « surprise ». Il note dans ses carnets : « L’exotisme n’est pas cet état kaléidoscopique du touriste et du médiocre spectateur, mais la réaction vive et curieuse au choc d’une individualité forte contre une objectivité dont elle perçoit et déguste toute la distance. » Devant un ornement en cheveux pour les épaules ou pour la taille des îles Marquises, le regard occidental apprécie la distance.

Grâce à sa connaissance des collections extra-européennes abritées en Bretagne, l’ethnologue Roger Boulay a pu avoir accès à de véritables trésors issus de collections régionales, telle cette parure de tête en écailles de tortue, nacre, ivoire de cétacés et coquillage des îles Marquises. La pièce, d’une rareté extrême, vient du Musée d’art et d’histoire de Vannes, Société polymathique du Morbihan. Le mythe de la vahiné lascive, véhiculé par les gravures et les photographies, celui des « fourchettes cannibales » des îles Fidji, fabriquées pour le bon plaisir des touristes voyageurs, la fascination des tatouages maoris, tous ces topos polynésiens sont déconstruits par les commissaires et le regard très moderne que Segalen porte sur ces sociétés. Les Immémoriaux, ouvrage publié en 1907, ont pour héros Térii, un jeune Polynésien : loin d’une vision ethno-centrée, le narrateur regrette que la culture maorie de Tahiti s’efface progressivement au profit d’une christianisation forcée. En comparaison, les visions de Pierre Loti ou d’autres voyageurs français sur ces cultures apparaissent datées dans leur temps. Échanges de regards, réciprocité de la rencontre : tel est le cœur du sujet, plus large qu’une simple vision historique.

La partie de l’exposition consacrée à la découverte de Paul Gauguin par Segalen se révèle moins percutante, tant le reste du parcours est passionnant et réfléchi. 

RENCONTRES EN POLYNÉSIE

Commissariat général : Philippe Ifri, directeur général de Chemins du patrimoine en Finistère

Chef de projet : Patrick Absalon, historien de l’art

Commissariat scientifique : Roger Boulay, ethnologue


Rencontres en Polynésie, Victor Segalen et l’exotisme

Jusqu’au 6 novembre, abbaye de Daoulas, 29460 Daoulas, tél. 02 98 25 84 39, www.cdp29.fr, juillet-août : tlj 10h30-18h30, à partir du 19 septembre : tlj sauf lundi, 13h30-18h30. Catalogue, éd. Somogy, 192p., 35 euros, ISBN 978-2-7572-0462-7

Regards contemporains en Finistère

Les Chemins du patrimoine en Finistère organisent aussi des résidences d’artistes dans trois de ses monuments. Au programme, Martin Bruneau installe ses toiles inspirées de Vélasquez et Van Dyck au château de Kerjean, un manoir breton du XVIe-XVIIe siècle. Au manoir de Kernault, l’artiste allemand Rainer Gross, avec « Cheminer l’eau de la source », scande le parc de ses installations de bois figurant le passage de l’eau entre le bâtiment et l’extérieur boisé. À Trévarez, Patrick Dougherty aura tissé patiemment des structures végétales dans les anciennes écuries du domaine. Entre Morlaix et Quimperlé, « Regards d’artistes » privilégie la rencontre entre un artiste, un lieu et son public.

« Regards d’artistes », EPCC Chemins du patrimoine en Finistère, dates de fin d’exposition variables, 21, rue de l’Église, 29460 Daoulas, tél. 02 98 25 98 00, www.cdp29.fr
 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°351 du 8 juillet 2011, avec le titre suivant : Bretagne : L’exotisme n’est pas de mise

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