La rétrospective de l’artiste coréen orchestrée par le Musée Guggenheim de New York dresse le parcours d’un homme en quête d’épure.
La rétrospective de Lee Ufan (né en 1936) organisée par le Musée Guggenheim de New York jusqu’au 28 septembre ne présente pas qu’un seul mérite. Tout d’abord, cette première exposition d’envergure de l’artiste organisée par un musée américain offre un panorama exhaustif et chronologique d’un travail nourri d’alluvions multiples mais trop souvent réduit au signe gris, tracé en un geste unique avec une large brosse. Parfois présenté comme un minimaliste « extatique » ou « transcendantal », puisant dans ses doubles racines asiatiques, coréenne de naissance et japonaise d’adoption, Lee Ufan s’est aussi abreuvé de philosophie occidentale.
On pouvait a priori s’inquiéter de l’insertion de ce travail tout en maîtrise, presque en apnée, le long de la rampe du bâtiment de Frank Lloyd Wright. Précisément, l’instabilité induite par la pente sied à la tension perpétuelle, à la confrontation des contraires qu’instaure Lee Ufan dans ses sculptures. Ce déséquilibre permet aussi l’implication physique du visiteur, alors que jusque-là ses œuvres avaient plutôt appelé à la contemplation. On devine le chemin de croix que fut l’installation des pièces pour un artiste plus habitué à la stabilité du white cube. Malgré les difficultés, il a su composer un parcours entêtant tel un raga, menant progressivement à une certaine plénitude dans la salle de méditation qui clôt l’exposition au sommet de l’escalier. Jouant sur des échos, renvois et une certaine forme de dissémination, l’accrochage crée des entrées et sorties visuelles inédites, permettant d’appréhender de manière dynamique ce travail tout en épure sans jamais le parasiter.
En guise d’incipit, l’artiste instaure une étrange correspondance entre un triptyque peint en 2007 et une sculpture associant le métal et la pierre, deux œuvres qui semblent ne rien avoir en commun, si ce n’est une volonté de faire vibrer l’espace, par la navigation du signe sur la toile ou le face-à-face de deux éléments antinomiques. Passé la mise en bouche, l’accrochage révèle les ferments peu connus de son travail, comme les Pushed-Up Ink de 1964, répétitions de points à la mine de plomb, perçant le papier à la manière d’un stylet et créant des effets proches de ceux de Jackson Pollock ou Mark Tobey. La précision de Lee Ufan apparaît dans la série From Point réalisée dans les années 1970, dans laquelle les touches du pinceau s’évanouissent progressivement, comme dans le phénomène de l’écho. Cette disparition graduelle de la trace se retrouve aussi dans la série From Line, succession de lignes verticales comme autant de longueurs d’onde.
Un intercesseur
Lee Ufan se situe avant tout dans une éthique de la médiation, perceptible dans la salle consacrée au « Mono-ha », un mouvement japonais anti-formaliste lancé en 1968 et dont la naissance coïncide avec des mouvements occidentaux comme l’Arte povera. En véritable intercesseur, Lee Ufan cherche à raviver notre conscience à la fois mentale et physique du monde, avec des sculptures qu’il baptisera à partir de 1972 « Relatum ». Celles-ci créent une tension entre le rocher et la plaque métallique, le naturel et le manufacturé, le rugueux et le lisse, le dur et le mou, à l’image des pierres posées sur des coussins. Autre jeu, celui pratiqué entre le visible et l’artifice dans l’ombre du rocher peinte sur le sol, calembour visuel digne de Magritte. Dans une sculpture de 1969, une bande tendue tel un mètre ruban s’étire sous des rochers, rappelant incidemment la pièce Measurement Room de Mel Bochner. Mais si Bochner critique l’inanité de tout système abstrait de connaissance, Lee Ufan se place, lui, dans l’expérience de la matière.
Plus loin, une série méconnue montre un matelas de coton percé de stridences métalliques, ou une greffe étrange entre cette matière vaporeuse et volatile et un cube métallique, tout en géométrie. Une manière de jouer sur la permanence et la mutation. Cette forme lâche et cotonneuse se retrouve dans les With Wind Paitings, peintures gestuelles, presque barbouillées, réalisées dans les années 1980. On y découvre un Lee Ufan inédit, à l’opposé de l’ascète méthodique et discipliné. Mais l’artiste ne peut déroger longtemps à son souci de dépouillement. L’exposition révèle au final un créateur qui, inlassablement, répète son geste, creuse un sillon en opérant de tout petits glissements. Une démonstration de la constance, mais aussi un refus des effets de style.
Commissaire : Alexandra Munroe
Nombre d’œuvres : 93 œuvres
Lee Ufan, Marking infinity
Jusqu’au 28 septembre, Solomon R. Guggenheim Museum, 1071 Fifth Avenue, New York, www.guggenheim.org, tlj sauf jeudi 10h-17h45, le samedi 10h-19h45.
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New York : Lee Ufan, marqueur d’infini
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°351 du 8 juillet 2011, avec le titre suivant : New York : Lee Ufan, marqueur d’infini