Arles : Photographie non conforme

Par Gisèle Tavernier · Le Journal des Arts

Le 5 juillet 2011 - 763 mots

Les Rencontres d’Arles actent les transformations intervenues dans l’usage du médium, via Internet et la création numérique. La guerre d’Espagne et la révolution mexicaine constituent l’autre axe du programme.

« Non conforme » est le thème des Rencontres d’Arles 2011, pour un festival « qui sert au débat en montrant les évolutions de la grammaire photographique », annonce François Hébel, le directeur de Rencontres. 

Sujet de choix, le manifeste « From here on » (À partir de maintenant) cosigné par les artistes Joan Fontcuberta, Martin Parr, Joachim Schmid, Erik Kessels et Clément Chéroux, conservateur pour la photographie au Musée national d’art moderne, légitime des pratiques artistiques décomplexées autour de la notion de droit d’auteur qui remixent une imagerie téléchargée sur Internet. Aussi explosifs, les clichés inédits du photographe de guerre anglais Jimmy Hare pulvérisent les mythes de « La Révolution mexicaine » des années 1910 (« Photographie et révolution », Espace Van-Gogh), tandis que « La valise mexicaine » (Musée départemental-Arles antique) venue de l’International Center of Photography à New York, fait ressurgir 2 500 négatifs des reporters Robert Capa, Gerda Taro et Chim (David Seymour) couvrant la guerre d’Espagne (1936-1939). Soixante-dix ans après, ces documents pointent l’inhumanité du camp de concentration d’Argelès (Pyrénées-Orientales), où furent internés dès 1939 des réfugiés politiques. Curieusement, le négatif qui permettrait de lever les doutes sur une mise en scène du fameux cliché Mort d’un soldat républicain (1936) de Capa est manquant.  

Sorcellerie et citoyenneté
En résonance avec l’actualité dans le monde arabe, un coup de projecteur est mis sur l’œuvre collective planétaire « Inside out » de l’affichiste activiste J.R., lauréat 2011 du prix philanthropique américain Ted Prize (projection le 9 juillet au Théâtre antique). Les autoportraits de citoyens en lutte pour les libertés qu’il diffuse ont-ils un pouvoir dans un monde saturé d’images ? « La plupart des posters iront au Pakistan, en Birmanie ou en Iran, des pays sans graffiti ni publicités où afficher son identité devient un acte héroïque », estime J.R.

Sauvée par la subvention versée par la fondation privée mexicaine Televisa, la quasi-totalité du programme prévu dans le cadre de l’Année du Mexique est montrée. La rétrospective « Graciela Iturbide » (Espace Van-Gogh), à l’étrangeté prenante, venue de la Fondation Mapfre, est confrontée à la jeune scène contemporaine, Dulce Pinzón, Maya Goded, Inaki Bonillas, Fernando Montiel Klint, à laquelle est associé le photographe de la catastrophe Enrique Metinides (Atelier des Forges). « Leurs œuvres parlent de violence, de sorcellerie, de citoyenneté avec une distance conceptuelle montrant que le Mexique est une jeune démocratie », insiste François Hébel. En 2002, la série féministe « Ricas y famosas » (« Riches et célèbres »), de Daniela Rossell (née en 1973), qui éreintait le monde politique local, avait pourtant fait scandale. 

Une « espèce d’éditeurs »
La photographie est-elle révolue ou en révolution ? L’œuvre de Chris Marker (palais de l’Archevêché), qui fit date avec son court métrage La Jetée (1962) utilisant des photos comme matériau de base d’un film, introduit le concept de « création hybride numérique » évoqué dans le manifeste « From here on ». Ni photographes ni artistes, des auteurs se revendiquent dans ce texte comme « une espèce d’éditeurs » en expansion qui recycle un flux exponentiel d’images. « La somme de ces intensités fait vaciller les notions d’auteur, l’idée de labeur artistique, du choix et de l’originalité », constate Clément Chéroux. Se réclamant des ready-made de Marcel Duchamp, cette création numérique brouille les repères entre nouvelle esthétique et imagerie litigieuse conçue « à l’œil ». L’exposition expérimentale « From here on » (Atelier de mécanique), qui réunit trente-six artistes, renvoie à l’« au-delà de la photographie » théorisé par Fred Ritchin, professeur en imagerie à l’université de New York, comme à la transposition dans les arts visuels de « La mort de l’auteur » déclarée en 1968 par Roland Barthes. 

Dans une mise en abyme, Hermann Zschiegner pixellise l’œuvre After Walker Evans (1981) de l’appropriationniste américaine Sherrie Levine, une pure copie d’un portrait iconique (1936) de ce maître américain. Avec Histoire de monuments (2010), sa fresque de 42 m de long, l’artiste chinois Wang Qingsong (église des Trinitaires) oppose son point de vue photographique à celui des nominés au prix « Découverte » (Grand Halle). 

LES RENCONTRES D'ARLES

Directeur du festival : François Hébel

Nombre d’expositions : 60

Budget global : 5,5 millions d’euros


Les Rencontres d’Arles, Non conforme

Jusqu’au 18 septembre, bureau d’information : 34, rue du Docteur-Faton, 13200 Arles, tél. 04 90 76 06, programme consultable sur www.rencontres-arles.com. Catalogue, coéd. Rencontres d’Arles/Acte Sud, 776 p., 46 euros, ISBN 978-2-7427-9803-2.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°351 du 8 juillet 2011, avec le titre suivant : Arles : Photographie non conforme

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