Expérimentation constante

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 5 juillet 2011 - 964 mots

Répartie sur tout le territoire, « L’art contemporain et la Côte d’Azur » revient sur la création artistique des soixante dernières années dans une région déjà marquée par la modernité.

« La Côte d’Azur et la modernité » fut en 1997 une manifestation emblématique relatant l’apport des avant-gardes et de leurs figures tutélaires – tels Picasso, Matisse ou Bonnard – installées dans le sud-est de l’Hexagone : une région au pouvoir attractif jamais émoussé. Un nouveau volet s’y ajoute aujourd’hui, qui cette fois considère la contemporanéité en s’intéressant aux soixante dernières années de création (1951-2011). Pour qui dispose de quelques jours dans la région, la balade est passionnante, qui traverse un vaste territoire allant du Muy, dans le Var, jusqu’à Menton, dans les Alpes-Maritimes, en passant par l’arrière-pays et des villes ou villages comme Grasse, Carros ou Coaraze.

Regroupant quelque trois cents créateurs dans une cinquantaine de lieux tant institutionnels que privés, la manifestation « L’art contemporain et la Côte d’Azur. Un territoire pour l’expérimentation » ne se contente pas, et c’est bien vu, de dresser un panorama de la création contemporaine à travers les pratiques des artistes locaux ou ayant séjourné dans la région. Elle envisage cette création à travers le prisme de l’innovation, dans tous les médiums, par le biais d’une chronologie permettant de mettre en exergue un mélange générationnel qui, justement, insiste sur la continuité du caractère expérimental de cette production. Ce croisement de générations est particulièrement palpable dans l’exposition « Le Temps de l’écoute », proposée au Centre national d’art contemporain de la Villa Arson, à Nice, où Jean-Marc Avrilla a demandé à des artistes nés dans les années 1960 ou 1970 de créer des œuvres en écho à des pièces sonores emblématiques produites par le passé. Arnaud Maguet jette ainsi son dévolu, dans une installation très économe, sur le compositeur et pianiste de jazz américain Sun Ra et ses interventions mythiques à la Fondation Maeght (Saint-Paul de Vence), alors que Gauthier Tassart réinterroge la Symphonie monoton d’Yves Klein et que Vincent Epplay exhume le projet d’ouvrage sur les Rolling Stones de Robert Malaval. Dans le même lieu, la Galerie carrée accueille « Le temps de l’action », une histoire de la performance pensée par Éric Mangion à travers une immense base de données, en constante augmentation, élaborée depuis quatre ans. Selon un découpage chronologique de la période en quatre sections, autant d’écrans voient se croiser des informations sur les actes et protagonistes d’une pratique toujours vivace. 

L’artiste au centre
À Menton, c’est la vidéo qui est mise à l’honneur au palais de l’Europe et au Musée Jean-Cocteau, qui accueillent chacun deux artistes : Éric Duyckaerts et Brice Dellsperger pour le premier, Virginie Le Touze et Ian Simms pour le second. Inspirée par les courts métrages de Cocteau, lesquels, généralement, n’avaient d’autre sujet que l’auteur lui-même, l’exposition « Montrer sa nuit en plein jour » convie des artistes tenant une place centrale voire autoréférentielle dans leur pratique. À Vence, le château de Villeneuve/Fondation Émile Hugues s’intéresse à la représentation de la figure humaine. Orchestrée par Régis Durand et Zia Mirabdolbaghi, « Attention à la figure » opère des rapprochements ambitieux entre Jean Dubuffet et Robert Malaval d’une part, Natacha Lesueur et Philippe Ramette d’autre part. Y sont explorés tant le traitement de la figure entre forme et informe que l’exacerbation de l’effigie dans la société contemporaine. Invitée des lieux parce que fondée à Nice, la galerie Air de Paris occupe une partie des espaces de la Station avec une série de photographies de Bruno Serralongue, Faits divers, exécutée en 1993-1995 : des images réalisées à la chambre de lieux on ne peut plus communs, où se sont déroulés accidents, crimes et autres forfaits relatés dans le quotidien Nice Matin : retranscrits en bas de l’image, ces récits introduisent un curieux décalage. 

Peinture décomplexée
Dans les Musées nationaux des Alpes-Maritimes (Marc-Chagall à Nice, Fernand-Léger à Biot et Pablo-Picasso à Vallauris), le médium pictural se taille la part du lion avec une réflexion subtilement menée par Maurice Fréchuret et Ariane Coulondre. Répartie sur les trois lieux, « La Peinture autrement » revient, avec succès car réunissant de très bons travaux, sur les innovations apportées au médium. Chez les « historiques » des années 1960-1970, à Biot, la réflexion passe par la déconstruction du tableau à travers la teinture (Noël Dolla), la couture (Vivien Isnard), le déploiement (Max Charvolen), le recouvrement (Bernar Venet, Ben), la brûlure (Alberto Burri). Aïcha Hamu a conçu pour la chapelle de Vallauris une installation très graphique faite de cuir. Tandis qu’une partie de la jeune génération fait sienne au Musée Chagall une peinture décomplexée où sont encore explorées les limites des matériaux : industriels chez BP ou Wilson Trouvé qui utilisent pour l’un de l’huile de vidange, pour l’autre de la colle, ils sont alimentaires chez Pascal Pinaud et Michel Blazy. À l’aide de restes de plaques de marbre promises à la décharge et trois tonnes de peinture déversées sur la terrasse du musée, Jérôme Robbe a composé là une sorte de banquise picturale, un paysage désertique et abstrait au fort potentiel attractif et poétique.

Il est regrettable que cette finesse ne soit pas au rendez-vous du parcours sculptural proposé par les mêmes commissaires à l’Eco’Parc de Mougins. Certes, « La sculpture autrement », particulièrement focalisée sur l’usage de matériaux domestiques et une prise en considération de l’environnement, déploie des œuvres d’excellente qualité, signées Arman, Martial Raysse, Philippe Mayaux ou Florian Pugnaire et David Raffini. Mais ces pièces, en trop grand nombre, rendent le parcours lourd et confus.

CÔTE D’AZUR

Nombre de lieux : environ 50

Nombre d’artistes : env. 300


L’art contemporain et la Côte d’Azur. Un territoire pour l’expérimentation, 1951-2011

Jusqu’au 27 novembre, lieux, dates et horaires divers, tél. 04 89 08 00 61, www.artcontemporainetcotedazur.com. Catalogue à paraître.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°351 du 8 juillet 2011, avec le titre suivant : Expérimentation constante

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