Liés d’amitié, Braque et Laurens sont réunis au Musée de l’Annonciade. Si le parcours des deux cubistes diffère sur le fond, quelques œuvres entrent magnifiquement en dialogue.
Saint-Tropez. La vie à Saint-Tropez est chère, voire hors de prix. Est-ce pour cette raison que Jean-Paul Monery, qui a dirigé longtemps – et avec fougue – le Musée de l’Annonciade, propose, pour son départ, deux expositions pour le prix d’une ?
Certes, Georges Braque (1882-1963) et Henri Laurens (1885-1954) ont des points communs, outre l’amitié qui les lie depuis longtemps. L’un et l’autre sont les piliers du cubisme : Braque est avec Picasso l’initiateur de cette révolution esthétique, quand la sculpture de Laurens est un bel exemple de l’union entre l’organique et le géométrique. De plus, deux œuvres semblent manifestement se répondre au cœur du parcours : Compotier avec grappe de raisins et verre, peint par Braque (1919), et Compotier et grappes de raisin (1922), le beau relief de Laurens. Mais quid de véritables affinités plastiques entre ces deux créateurs ?
Revenant à l’année de leur rencontre, l’exposition prend pour point de départ 1911. Toutefois, la majorité des œuvres présentées datent du début des années 1920. Une seule toile de Braque, Guitare, qui remonte à 1912, permet de distinguer clairement le cubisme « orthodoxe » de son évolution tardive. En effet, au fur et à mesure que le temps passe, le travail de Braque s’assouplit et s’éloigne de la géométrie stricte. De même, la thématique s’élargit et ne se limite pas à la nature morte, ce champ d’expérimentation permettant de jouer sur des associations inédites entre formes et couleurs. Ainsi, on trouve des scènes d’intérieur et des paysages. Cependant, la différence principale avec Laurens est indiscutablement la présence presque ininterrompue de la figure humaine chez ce dernier. Rien d’étonnant, car on le sait, pour la sculpture bien plus que pour la peinture, le corps reste la préoccupation essentielle, presque un sujet de méditation.
Figurines déformées contre compositions hiératiques On peut regretter l’absence à Saint-Tropez des assemblages de Laurens dans l’esprit cubiste, ces figurines désarticulées, en léger déséquilibre. On y trouve, en revanche, un collage aux formes géométriques, Tête de femme (1917), mais surtout un ensemble impressionnant de corps, généralement de petites dimensions, réalisés en bronze. La ligne s’infléchit et les formes sont étirées ou brusquement gonflées en une série de déformations systématiques. Construites par un jeu savant de pleins et de manques, par des alternances et des contrastes de creux et de volumes, ces œuvres sont visibles de tous les côtés et occupent pleinement l’espace (Petite femme assise [1932], La Petite Musicienne [1937]).
Les travaux de Braque se caractérisent par une forme de classicisme, bien différente de ce que l’on appelle le « retour à l’ordre ». Outre la taille de ses toiles qui s’accroît – Grande nature morte brune, 1932 – les éléments, le plus souvent représentés de face, forment des compositions qui dégagent un aspect hiératique, presque figé. Les deux Canéphores de 1922, un sujet mythologique inhabituel chez l’artiste, sont un exemple parfait de cette apparence monumentale. Ailleurs, parmi des vues d’atelier ou d’autres scènes d’intérieur, deux images attirent le spectateur par la présence insolite de personnages : L’Homme à la guitare et L’Homme au chevalet (1942). Cependant, dans les deux cas il s’agit de silhouettes représentées de dos, pratiquement des ombres. Tout laisse à penser que Braque se sert de ces figures comme d’éléments allégoriques ; L’Homme à la guitare rappelle la thématique préférée de l’artiste, les instruments musicaux, alors que L’Homme au chevalet est l’emblème de la peinture tout court.
Si les trajets de Braque et de Laurens restent – en dépit de leur amitié – bien éloignés, une belle rencontre se situe à la fin de l’exposition. Sous La Charrue (1960), ce sombre et magnifique tableau tardif de Braque, sont placées deux œuvres mélancoliques de Laurens, réalisées pendant la guerre, L’Adieu (1940) et La Nuit (1943). Ici, au-delà du temps, un dialogue s’engage.
Georges Braque, Guitare et verre, 1921, huile sur toile, Centre Pompidou, Musée national d'Art Moderne, Paris. © Photo : Centre Pompidou.
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Braque-Laurens, une paire imparfaite
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°483 du 7 juillet 2017, avec le titre suivant : Braque-Laurens, une paire imparfaite