PARIS
L’exposition replace les combats individuels des diplomates durant la Shoah au sein d’un récit global éclairant.
Paris. La question revient dans l’actualité russo-ukrainienne dramatique : les responsabilités individuelles peuvent-elles faire dévier le train de la guerre et ses massacres ? Au Mémorial de la Shoah, c’est ce problème a priori insoluble que pose en filigrane cette exposition qui traite de l’action, ou de l’inaction, des diplomates durant la Shoah. Construit par quatre historiens, le parcours s’appuie sur une recherche en cours à propos d’un sujet méconnu dans l’histoire.
Issus de l’aristocratie européenne, les ambassadeurs, ministres plénipotentiaires ou consuls, observateurs des changements qui secouent l’Europe au début des années 1930, ont un accès privilégié à l’information. Dès avant la Seconde Guerre mondiale, ils voient la politique antisémite des nazis. Ils se rangent alors en trois catégories, les indifférents, les collaborateurs et les résistants ; s’y ajoutent ceux qui ont tiré profit de la situation en vendant de faux papiers. Ce que met en lumière la galerie de portraits présentée au Mémorial de la Shoah, c’est la portée de l’action des diplomates – des pays alliés ou de l’Axe –, qui choisissent entre la Résistance, et ses risques, et la collaboration.
Les Juifs sauvés par l’action d’un diplomate se comptent en milliers d’individus, à travers les visas et sauf-conduits délivrés par les ambassades, échappatoires à la déportation. Consul général de Chine en Autriche, Ho-Feng Shan délivra ainsi plus de 1 200 visas pour Shanghaï à des Juifs autrichiens, contre les ordres de sa hiérarchie. En Lituanie, où la communauté juive était très importante, on trouve également de nombreux diplomates devenus Justes parmi les Nations, à l’exemple du consul du Japon Chiune Siguhara. Malgré l’alliance de son pays avec les nazis, il a délivré entre 2 100 et 3 500 visas. D’autres utilisent ces outils sans faire eux-mêmes partie du corps diplomatique. L’homme d’affaires italien Giorgio Perlasca devient ainsi durant la guerre « Jorge ». Sous cette identité de consul espagnol il distribua un sauf-conduit à quelque 5 200 Juifs de Budapest. Adolfo Kaminsky, un Argentin passé maître dans l’art des faux papiers, résuma ainsi la portée de ces actions : « En une heure, je fabrique 30 papiers. Si je dors une heure, 30 personnes mourront. »
Ces exemples restent toutefois des exceptions dans le personnel diplomatique européen. À l’inverse, le corps des diplomates allemands, largement nazifié, fut un rouage déterminant pour la mise en place de la solution finale. Représentant l’Allemagne nazie au Saint-Siège, Ernst von Weizsäcker fut ainsi l’un des artisans du plan de génocide des Juifs d’Europe. Les diplomates nazis s’élèvent pourtant parfois contre les ordres. Georg Duckwitz, diplomate dans le Danemark occupé, sauva ainsi 7 000 Juifs danois : là aussi, une exception notable.
L’exposition montre également l’inefficacité des nombreux rapports remis par des diplomates alertant sur le sort des Juifs dès avant la guerre et l’échec de la conférence d’Évian en 1938. Aucune suite ne fut ainsi donnée au compte rendu d’André François-Poncet, ambassadeur de France en Allemagne, qui avait averti à l’époque des menaces pesant sur la communauté juive.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°587 du 15 avril 2022, avec le titre suivant : Au Mémorial de la Shoah, les diplomates face à leurs responsabilités