SAINT-QUENTIN
Dans un grand magasin des Années folles miraculeusement préservé, sont revenus les colifichets et objets d’art qui faisaient accourir la clientèle il y a un siècle.
Saint-Quentin (Aisne). Un bibi cloche, une nuisette en rayonne ; une montre Longines, un plat plein d’éléphants ; des éventails et une broche en diamants ; des jouets d’enfants, un tube de rouge Cartier… À l’intérieur du grand magasin Art déco reconstitué par Anne Camilli (qui prête une partie de sa collection), Emmanuel Bréon et Victorien Georges, on se croirait dans « La Complainte du progrès » de Boris Vian. Dans une scénographie chic, l’assortiment de d’objets des années 1920-1930 déploie les séductions du luxe à la portée de tous. De tous les regards, en tout cas, car c’était le postulat de ce genre de commerce dans ces Années folles qui ont vu naître tant de grandes marques.
Au fond du premier atrium, un rang de mannequins présente les robes du soir et les déshabillés qui faisaient rêver les élégantes et leurs compagnons ou compagnes. Tous les petits cadeaux que l’on faisait ou se faisait sont en vitrine. Des nécessaires de beauté en châtelaine ou bracelet-manchette permettaient d’emporter partout un peu de poudre et un tube de rouge à lèvres dans un objet beau comme un bijou. Escarpins, sacs à main, gants du soir symbolisent l’élégance, tandis que les broches trembleuses ou sautoirs en bakélite proclament la modernité. Les flacons de parfum de Roger & Gallet ou d’Orsay sont signés Lalique. Pour L’Aimant de Coty, Pierre Camin a imaginé la bouteille et Georges Delhomme le coffret. Les poudriers en métal à décor moderniste laqué polychrome d’Houbigant sont irrésistibles.
Le second atrium évoque le rôle des grands magasins dans le design. À l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925, à Paris, les grandes enseignes avaient leur pavillon, construit par un architecte d’avant-garde, où elles communiquaient sur leur marque. Le Printemps présentait Primavera. Munis de cette célèbre estampille, les vases à figures de la manufacture de Longwy, les animaux de faïence à émail craquelé et les vases boules de la manufacture de Sainte-Radegonde sont, de nos jours encore, recherchés. Les marques Studium des Grands Magasins du Louvre, La Maîtrise des Galeries Lafayette et l’atelier d’art Pomone du Bon Marché confiaient la fabrication de leurs créations aux manufactures de Longwy, Saint-Clément, Creil et Montereau et Montières Samara. En pratiquant des prix raisonnables pour ces objets de qualité, les grands magasins ont contribué à façonner le goût d’une époque.
Saint-Quentin, conservatoire du style Art déco
Architecture. Occupée pendant presque toute la durée de la Première Guerre mondiale puis bombardée, la ville de Saint-Quentin a largement adopté le style Art déco pour sa reconstruction. Ce patrimoine est désormais protégé et mis en valeur. Le magnifique buffet de la gare, décoré par le mosaïste et maître verrier Auguste Labouret, est de nouveau accessible aux visites. La restauration d’un autre monument emblématique, le cinéma Casino, inauguré en 1929, s’achève. C’est désormais sur une maison de quartier où subsiste une grande partie de la décoration d’origine (pilastres, sculptures, cadre de scène, décors au pochoir, ferronneries) que veilleront les figures de la Comédie et de la Tragédie qui surplombent la façade. Enfin, l’ancien magasin Nouvelles Galeries accueille depuis 2015 des expositions sous le nom de « palais de l’Art déco ». Construite de 1923 à 1927 par l’architecte Sylvère Laville, cette « cathédrale du commerce » a cessé de fonctionner en 1933. Dévolu à différents usages puis abandonné en 1963, le lieu, acheté et rouvert par la Ville en 2011, a conservé son exceptionnel décor doré, rouge, jaune et blanc, ses piliers à décor égyptien, ses staffs peints et ses ferronneries.
Élisabeth Santacreu
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°571 du 9 juillet 2021, avec le titre suivant : Au bonheur des dames