La Fondation de France se retire des « Nouveaux Commanditaires »

France. En 1990, Bernard Latarjet, alors directeur de la Fondation de France, demandait à l’artiste François Hers de réfléchir à un modèle de politique culturelle qui sortirait d’un subventionnement classique. Les deux hommes se connaissent bien pour avoir conçu et dirigé conjointement la Mission photographique de la Datar. Douze mois plus tard, François Hers énonçait le protocole des Nouveaux Commanditaires, depuis mis en œuvre dans d’autres pays que la France à partir de ce même fondement : proposer « à toute personne de la société civile qui le souhaite, sans exclusive et en n’importe quel lieu, seule ou associée à d’autres, les moyens d’assumer la responsabilité d’une commande d’œuvre à un artiste ». Un médiateur, sans qui rien ne saurait s’organiser, assure le lien entre le commanditaire et l’artiste pour que le projet prenne forme.

Pendant trente ans, la Fondation de France a soutenu le développement de ce programme sans équivalent, devenu une référence en matière de politique artistique publique au-delà de l’Hexagone. Sans la Fondation de France, ce programme n’aurait pu exister. Depuis le début de l’année 2021, se prépare toutefois l’autonomisation des Nouveaux Commanditaires avec le retrait progressif du financement de la Fondation de France. « Il ne s’agit nullement d’un retrait, mais d’un passage de relais progressif de la Fondation de France », rectifie Suzanne de Bellescize, responsable du département cultures et société à la Fondation. « Pour nous, le rôle de la philanthropie est d’expérimenter, de lancer des actions innovantes, de mettre au point des dispositifs et d’inventer des modèles que les acteurs publics puissent ensuite pérenniser, l’objectif étant que les actions que nous lançons se développent à grande échelle. Nous étions à l’avant-garde dans la commande de l’art il y a trente ans, comme nous l’avons été dans les unités de soins palliatifs que nous avons lancés en France à une époque où la prise en compte de la douleur était un sujet marginal. Pendant vingt-cinq ans nous les avons financés jusqu’au moment où la puissance publique a pris le relais pour en faire un dispositif rentré dans la norme hospitalière. Nous voudrions faire la même chose avec les Nouveaux Commanditaires. »

Ce changement était dans l’air depuis 2018, mais la création en janvier 2021 de la Délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle, au sein de l’administration centrale du ministère, a permis aux Nouveaux Commanditaires et à la Fondation de France d’engager concrètement les discussions avec un interlocuteur désigné. Ces discussions devraient aboutir à ce que le ministère de la Culture prenne le relais de la Fondation de France et devienne le premier partenaire financier de l’association loi 1901 dénommée désormais « La société des Nouveaux Commanditaires en arts et sciences ». Le ministère de l’Enseignement supérieur et l’Agence nationale de la cohésion des territoires ont aussi été sollicités. François Hers ne se dit pas « inquiet sur le devenir du protocole, bien que ce soit un moment tendu financièrement pour un grand nombre de médiateurs ». Ajoutant : « Il s’agit que le modèle devienne maintenant un grand modèle de politique publique pris en charge autant par les élus et par les corps d’administration que par de grands mécènes. »

En trente ans, la Fondation de France a versé 30 millions d’euros aux Nouveaux Commanditaires. Depuis trois ans, la somme allouée au programme diminue progressivement. L’institution a provisionné près de un million d’euros en 2022 pour la soixantaine de projets en cours qui mobilisent vingt-cinq médiateurs. « Nous les mènerons tous à leur terme », précise Suzanne de Bellescize.

Les discussions avec le ministère de la Culture devraient aboutir dans les prochains jours à la détermination d’un budget pluriannuel dont bénéficiera la structure nationale des Nouveaux Commanditaires. À elle ensuite de trouver, pour le financement de son fonctionnement comme de ses projets, d’autres partenaires telles les fondations, qui n’étaient jusqu’à présent pas sollicitées puisque le programme était abrité par la Fondation de France.

« Cette autonomisation se fait au bon moment compte tenu de l’attention particulière, dans les politiques culturelles, portée à la participation des citoyens dans ces programmes de démocratie culturelle », estime Amanda Crabtree, médiatrice d’une dizaine de commandes en cours. « Le programme est arrivé à maturité, un diplôme avec l’Université de Lille préparant à la méthodologie des Nouveaux Commanditaire existe », et des projets ont été menés depuis deux ou trois ans hors de la Fondation de France. Le recrutement d’un directeur ou directrice est par ailleurs en cours. « Quatre bureaux de médiateurs par grande région ont d’ores et déjà été constitués pour asseoir mieux le travail sur le territoire », précise Amanda Crabtree, qui a pris la responsabilité des zones Nord et Grand Est, incluant l’Île-de-France.