Si la commande artistique a longtemps été le « fait du prince », elle n’est plus aujourd’hui réservée aux riches mécènes ou à l’État. Grâce à l’action des Nouveaux Commanditaires, chacun peut passer commande d’une œuvre quand « le besoin d’art se fait sentir »…
Les exemples se multiplient mais ne se ressemblent pas. À Tours, Le Monstre de Xavier Veilhan a pris ses aises depuis dix ans sur la place du Grand-Marché. À l’hôpital parisien Diaconesses Croix Saint-Simon, c’est une œuvre de Mathieu Lehanneur qui accompagne les patients de l’unité de soins palliatifs. Quant à la photo de la « promo 2010 » de l’École centrale de Paris, elle a été réalisée par Jean-Marc Bustamante. Qui est à l’origine de ces projets artistiques ? L’école, un mécène, les villes de Tours ou de Paris ? Non, c’est ici une association de commerçants, là des médecins ou des étudiants qui ont souhaité davantage que simplement rénover une place ou repeindre un service : apporter ce supplément d’âme « pour affronter les questions de façon plus philosophique, sinon plus spirituelle », souligne le docteur Gilles Desfosses.
Des histoires de rencontres
Cette idée utopique, qui part de la nécessité d’art exprimée par un groupe d’individus, a germé il y a plus de 25 ans dans la tête du photographe François Hers. Elle est née de sa frustration à voir son œuvre « mort-née », « immédiatement patrimonialisée » dans des musées ou des collections privées. Il souhaitait que « la vie appelle l’œuvre », que le besoin d’art émerge de tout individu confronté à des questionnements de société. Pour cela, il rédige au début des années 1990 un Protocole permettant de distribuer les rôles de ce projet démocratique pour que celui-ci ne se transforme pas en cacophonie. L’action Nouveaux Commanditaires rassemble donc des commanditaires, un artiste et un médiateur, professionnel de la culture, apte à guider les commanditaires et à prendre en charge la recherche du financement de l’œuvre. L’ensemble de l’action est régi par la Fondation de France qui l’a intégrée dès sa création dans ses missions. Son rôle est d’agréer les médiateurs, aujourd’hui au nombre de neuf sur le territoire français, et de financer l’étude de l’œuvre. À charge aux commanditaires, accompagnés par le médiateur, de trouver les partenaires pour sa réalisation.
Mais l’histoire n’a pas toujours été aussi facile. Il a fallu affronter les préjugés des élus qui ne se dessaisissent pas facilement de leurs prérogatives, ceux des potentiels médiateurs et aussi des futurs commanditaires qui pensaient « rien y connaître » en matière d’art contemporain. Il a également fallu éprouver le Protocole pour qu’aucun rôle ne prenne le pas sur les autres, pour garantir l’exigence de l’œuvre comme la liberté de création de l’artiste. Plusieurs projets n’ont ainsi pas vu le jour : une rencontre qui ne s’est pas faite, un changement de bord politique ou plus simplement la difficulté à réunir le financement de la production. Mais quand la rencontre réussit, elle fait toujours « bouger les lignes », remarque François Hers, elle fait réviser les préjugés et les peurs de chacun. « Ce n’est pas une nouvelle activité culturelle chic », souligne-t-il, l’action engage la responsabilité de chacun qui porte l’œuvre en son nom et non en celui d’une institution ou d’une ville. » « Ce n’est pas non plus une action qui prend le pas sur les autres, comme la politique de l’offre, le commerce d’art ou l’action sociale », remarque le galeriste Jérôme Poggi, médiateur historique qui a récemment accompagné la commande, portée par l’association Histoire & vies du 10e arrondissement de Paris, de l’œuvre En attendant le Mo(nu)ment 2014/2045 du collectif Société Réaliste. Pour lui, il s’agit dans tous ces rôles « d’activer le rapport entre le public et l’art, de négocier une place aux œuvres dans la société », par des voies parallèles et complémentaires.
Ainsi l’action n’entre pas en concurrence avec la commande publique puisque le budget de celle-ci peut contribuer à la réalisation de l’œuvre. Pourtant, elle aimerait s’y infiltrer plus avant. Comme quand un conseiller pour les arts plastiques peut être associé en amont à la réflexion des commanditaires. Ici, l’équilibre entre les rôles se révèle subtil. Mais si la démocratie est un apprentissage, l’action des Nouveaux Commanditaires qui s’y inscrit l’est tout autant. Elle se poursuit aujourd’hui dans les domaines de la musique, du théâtre et même de la cuisine. Elle a traversé les frontières en direction de l’Espagne, sous l’égide de la Fondation Daniel & Nina Carasso, de la Suisse où le projet est mené par la Française Charlotte Laubard et a même traversé l’Atlantique, grâce à Sophie Claudel, ancienne attachée culturelle à l’ambassade de France à New York. En lui souhaitant une longue vie.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
La commande démocratique
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°675 du 1 janvier 2015, avec le titre suivant : La commande démocratique