Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, lauréats du Prix Duchamp

A l’instar des « Trois Mousquetaires », les quatre artistes nommés pour cette 17e édition du Prix Marcel Duchamp étaient, en réalité, cinq : Maja Bajevic, Charlotte Moth, Vittorio Santoro, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. C’est à ces derniers qu’a été décerné le prestigieux prix, créé en 2000 par l’ADIAF (Association pour la diffusion internationale de l’art français), présidée par Gilles Fuchs, qui regroupe 400 collectionneurs d’art contemporain.

Organisé depuis l’origine en partenariat avec le Centre Pompidou et doté de 35 000 euros, le prix Duchamp est aujourd’hui considéré comme l’une des grandes reconnaissances internationales. Véritable tremplin pour les lauréats, il permet aux artistes nommés de produire un projet spécifique et de bénéficier d’un réseau de diffusion sous la forme d’expositions, destinées à faire rayonner le dynamisme de la scène française. A l’annonce des lauréats devant la toile récemment donnée par David Hockney à l’occasion de son exposition au Centre Pompidou, Bernard Blistène, directeur du Musée national d’art moderne, a déclaré : « Le prix Marcel Duchamp est fondamentalement un prix de collectionneurs, mais il est aussi celui de la complicité entre l’ADIAF et l’équipe du musée, entre artistes et critiques d’art. Je suis heureux de voir qu’une génération de critiques d’art dans notre pays se développe avec autant de qualité. En nous présentant les œuvres, ils nous donnent une perspective essentielle, qui est celle du rapport de l’art à son histoire, à la connaissance. » Avant d’ajouter : « Nous devons être fiers que des artistes venus d’autres pays aient élu la France pour patrie. Il y a bien longtemps, ce fut la même chose pour ma propre famille et de quasiment toutes nos familles. On ne devrait pas l’oublier. »

Très heureux de recevoir le prix – pour la première fois et dorénavant « un petit Marcel », clin d’œil sous la forme d’une bouteille entourée d’un maillot en bronze peint en blanc, trophée conçu par le facétieux Fabrice Hyber – le duo récipiendaire a fêté ensuite cette distinction lors d’un cocktail au restaurant Le Georges du Centre Pompidou.

En aparté, Joana Hadjithomas confiait au Journal des Arts : « Ce prix est très important pour nous. Notre parcours est atypique. Nous travaillons à deux et n’avons pas été dans les sentiers balisés des écoles d’art. Nous avons plutôt emprunté des chemins de traverse avec des recherches souvent très longues. C’est très réconfortant et nous pousse aussi à rencontrer un public, ce qui va nous permettre de faire des choses que l’on a envie de faire très profondément. Et surtout, vivant en France, cette reconnaissance nous fait très plaisir. Nous vivons ici depuis de nombreuses années et militons avec Khalil sur le fait d’étendre les territoires géographiques, de proposer plutôt des territoires artistiques, en disant que c’est cela qui nous lie les uns aux autres, davantage que par notre nationalité ou notre géographie. C’est quelque chose que nous n’avons pas arrêté de défendre. Et donc se retrouver là, nommés au prix Duchamp avec des artistes que nous respectons énormément et qui viennent eux aussi de chemins et d’histoires très différents, cela nous conforte dans l’idée de continuer et de penser que l’art est vraiment ce lieu dans lequel on peut se retrouver. C’est important aujourd’hui plus que jamais. Je crois que chacun de nous est bien conscient que l’art pose des questions politiques et de société, en même temps cherche des formes pour donner de la poésie, de l’espoir. On voit combien nos sociétés malades en ont besoin, que ce soit des problèmes sociétaux mais aussi l’environnement. Dans un moment où l’on ressent une certaine obscurité autour de nous, il s’agit aussi de se souvenir de la lumière. »

Pour le prix Marcel Duchamp, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige ont proposé un projet pluridisciplinaire réunissant sculpture, vidéo, dessin et photographie. Bénéficiant des compétences d’archéologues, d’historiens, de géologues et de dessinateurs, ils présentent des carottes du sous-sol à partir d’un matériel collecté à Paris, Beyrouth et Athènes lors de profonds forages. Des prélèvements constitués d’échantillons du terrain, permettant de reconstituer l’histoire d’un site, de ses occupations successives aux catastrophes écologiques advenues. Autant d’ « images enfouies », détournées et rendues disponibles à l’interprétation. Une réflexion sur la place de l’homme dans cette nouvelle ère de l’Anthropocène, thématique développée par l’anthropologue Bruno Latour, présent dans l’assistance lors de l’annonce du prix.

Le projet des lauréats et ceux des trois autres artistes nommés sont exposés, sous le commissariat de la talentueuse Alicia Knock pour la deuxième année consécutive, jusqu’au 8 janvier dans la Galerie 4 du Centre Pompidou.

Cette année, le jury international était composé de Bernard BLISTÈNE (France), Directeur du Musée national d’art moderne, Centre Pompidou, Paris ; Gilles FUCHS (France), Collectionneur, Président de l’ADIAF ; Carmen GIMENEZ (Etats-Unis), Commissaire d’expositions, Solomon R. Guggenheim Museum, New York ; Erika HOFFMANN (Allemagne), Collectionneuse, Sammlung Hoffmann, Berlin ; Mao JIHONG (Chine), Collectionneur, Président, Exception de Mixmind et Fangsuo, Guangzhou ; Jérôme SANS (France), Directeur artistique, commissaire d’expositions ; Akemi SHIRAHA (France-Japon), Représentante de l’association Marcel Duchamp pour le prix.