La francophonie, la recherche sur l’orientalisme, une génération d’artistes français d’origine arabe, autant d’atouts en faveur d’une action de la France.
France. Au vu des liens qui la relient au monde arabe, la France semble bien positionnée pour mettre en place une manifestation consacrée à la création arabe contemporaine. Car l’orientalisme, la francophonie ou même l’histoire de la colonisation constituent souvent un élément déclencheur pour des projets concernant les artistes arabes. Malgré les blocages et les frictions, les artistes arabes accèdent en effet progressivement à la reconnaissance en France grâce à une multitude d’initiatives.
Si l’orientalisme est souvent assimilé à une vision occidentale fantasmée du monde arabe dans un cadre colonial, ce courant artistique et littéraire a durablement marqué l’histoire de l’art et l’imaginaire collectif français. Catherine David, directrice adjointe du Musée national d’art moderne (Centre Pompidou), rappelle que grâce à l’orientalisme « le monde arabe était très présent dans la littérature et les arts du XIXe siècle et même du début du XXe ». En histoire de l’art, ce mouvement est incontournable selon Alexandre Kazerouni, chercheur à l’École normale supérieure (ENS) et spécialiste du monde musulman contemporain : « Delacroix, c’est une étape fondamentale, il précède en quelque sorte Matisse, la filiation est claire. » Plus largement cet intérêt se manifeste dans le foisonnement de projets de recherche sur les divers aspects de l’orientalisme : ainsi l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales) a-t-elle organisé en 2016-2017 deux séminaires de recherche sur le sujet, tandis que plusieurs équipes du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) travaillent sur les peintres orientalistes. Et un coup d’œil à la base de données des thèses montre qu’entre 2007 et 2017 environ 370 thèses de doctorat ont été soutenues sur le thème de l’orientalisme, toutes disciplines confondues : preuve d’un intérêt constant de la part des chercheurs. Une manifestation consacrée à la création arabe pourrait donc faire le lien avec ces projets de recherche, par exemple autour du thème de la construction de l’altérité en art. À condition, selon Catherine David, de réévaluer l’orientalisme à l’aune du XXIe siècle : « Je pense qu’il est temps de remettre en question une partie de l’argumentaire d’Edward Saïd, sa vision était assez partiale. »
La grande famille de la francophonie
Il ne s’agit donc pas d’évacuer la dimension coloniale de l’orientalisme, mais de rappeler que malgré une histoire douloureuse la colonisation a aussi créé des liens forts entre la France et le monde arabe dans le domaine culturel. Ce sont précisément ces liens qui motivent des projets comme celui porté par l’École des beaux-arts de Paris et le Maroc : Jean-Marc Bustamante, directeur de l’École des beaux-arts de Paris (ENSBA), précise que si les Marocains sont venus proposer aux Beaux-Arts de collaborer à un futur Institut d’art africain à Rabat, « c’est parce qu’ils sont francophones et qu’il y a des liens historiques entre les deux pays ». La francophonie constitue en effet un réseau très actif dans le monde arabe à travers les Instituts français, puisque l’on parle encore français au Maroc, en Algérie, en Tunisie, un peu en Égypte, au Liban et un peu en Syrie. Selon Bernard Collet, commissaire indépendant installé au Maroc, le cas de son pays d’adoption est représentatif : « Au Maroc la France a fait depuis longtemps un travail remarquable au travers de ses neuf Instituts répartis dans toutes les grandes villes du royaume. Avant que le réseau de galeries commerciales ne s’installe entre 2000 et 2005, les Instituts ont été les seuls à permettre aux artistes marocains de montrer leur travail. » Jack Lang signale que les Instituts sont également actifs en Égypte ou au Liban, et il est vrai que de nombreux partenariats culturels existent entre la France et ce pays : le festival de photographie Photomed basé à Sanary-sur-Mer, Marseille et Toulon a par exemple dédoublé sa programmation depuis 2014 à Beyrouth. La francophonie représente donc un atout ancien dans les relations entre la France et le monde arabe.
Comment créer du lien ?
Quant au passé colonial, l’immigration qui en résulte devrait justifier que la France fasse plus activement la promotion des artistes arabes : la fracture qui existe entre les élites et les populations issues de cette immigration, notamment dans les banlieues, pourrait par exemple s’atténuer. Mounir Fatmi y voit, lui, un autre enjeu politique : « Bien sûr qu’il faut montrer des œuvres d’artistes arabes dans les banlieues, et peut-être plus qu’ailleurs ! Sinon ce sont les islamistes qui vont occuper le terrain, comme au Maroc. Les artistes ici comme là-bas sont en première ligne pour lutter contre la montée de l’islamisme. » Une remarque qui amène à se demander quels artistes arabes pourraient participer à une biennale organisée en France : les artistes nés en France de parents immigrés ? Ceux arrivés à l’âge adulte ? Ou ceux qui vivent encore dans le monde arabe ? En réalité ces trois catégories sont perméables, car de nombreux artistes vivent entre deux pays et certains sont retournés dans un pays arabe après plusieurs années passées en France (Yto Barrada, Zoulikha Bouabdellah, ...). Pour le premier groupe, le succès de Kader Attia montre que ces artistes accèdent à la reconnaissance en France, puisque l’artiste est lauréat du prix Marcel Duchamp 2016 et qu’il a été exposé au Centre Pompidou, puis à la Biennale de Venise. Dans cette même génération Adel Abdessemed a vu ses œuvres acquises par François Pinault, une autre forme de reconnaissance. Ces artistes nés en France semblent donc appartenir désormais à une scène artistique française largement reconnue.
Un nomadisme revendiqué par des artistes sans frontières
Situation différente en revanche pour les artistes qui vivent entre la France et un pays arabe : ils sont les témoins privilégiés des convulsions que connaît le monde arabe, et ils peuvent porter sur ces événements un regard décentré. Ils cumulent aussi les identités comme le dit Mounir Fatmi : « Dès que je quitte le Maroc, je suis international partout. » Bernard Collet rappelle que l’artiste se définit entre autres comme « Afro-Arabo-Marocano-Mediterrano-Musulmano-tiers mondiste ». Il circule entre la France, le Maroc et le reste du monde, même si son travail est marqué par la culture arabe. Car la circulation entre la France et le monde arabe crée des réseaux et influence les conditions de travail des artistes : Ali Cherri, par exemple, a fait un Master à Amsterdam, puis est retourné au Liban avant de venir à Paris en 2009. C’est la galeriste parisienne Imane Farès qui expose son travail, mais elle est venue chercher l’artiste à Beyrouth : ce sont précisément ces allers-retours qui constituent une part importante de la scène artistique arabe actuelle.
Mais il faudrait surtout exposer en France plus d’artistes qui vivent dans le monde arabe. Des différences importantes existent pourtant entre les pays en termes d’écoles d’art, de galeries et d’institutions. Ingrid Perbal (rédactrice à la revue Qantara) indique qu’il est difficile par exemple de connaître la scène yéménite, « car non seulement il n’y a pas d’école d’art, mais en plus il y a la guerre ». Elle cite également le cas de l’Irak : « après 1991 et avec l’embargo, les artistes n’ont tout simplement plus eu les moyens de créer ». Catherine David confirme ce constat : « en Irak l’École des beaux-arts de Bagdad n’est quasiment plus active, je l’ai constaté lors de mes trois voyages sur place depuis 2004. L’art irakien est désormais un art de diaspora et d’exil. » Même situation en Syrie depuis 2011, avec une forte diaspora installée au Liban et dans les pays voisins. Till Fellrath et Sam Bardaouil le soulignent également : « il y a des pays comme la Syrie ou l’Irak, où les artistes font face à des défis qui vont bien au-delà des besoins financiers ». Le Maroc en revanche bénéficie d’une scène artistique « foisonnante » selon Bernard Collet, et d’un réseau de galeries et d’institutions qui soutiennent la création. Il cite le ministère de la Culture, le mécène privé OCP Group et les galeries « qui déploient beaucoup d’efforts pour participer aux grandes foires comme Art Paris ou Drawing Now ».
Il s’agirait donc pour la France de s’appuyer sur des réseaux déjà présents et de travailler en collaboration avec les pays arabes : Jean-Marc Bustamante insiste beaucoup sur la notion de collaboration. « Pour le projet avec le Maroc, nous n’imposons rien, des professeurs des Beaux-Arts viendront donner des cours pour les jeunes artistes marocains, mais c’est le Maroc qui gèrera l’Institut. » Et c’est bien un réseau préexistant qui a permis à la galerie Ceysson d’exposer trois artistes marocains à Paris sous le commissariat de Bernard Ceysson. Le directeur de la galerie, Loïc Bénétière, pointe sur la nécessité d’avoir des relations bilatérales équilibrées : « les Marocains ont souvent exposé nos artistes depuis plusieurs années, donc c’est logique d’exposer leurs artistes en France ». Vu le succès rencontré par l’exposition de Mounir Fatmi, Amina Benbouchta et Mohamed Elbaz, il envisage d’autres projets avec des artistes marocains. Les galeries sont souvent les premières étapes vers le succès pour des artistes arabes, comme le montre le parcours d’Ali Cherri. Exposé par Imane Farès, il a ensuite été repéré par des commissaires, et cette année ses œuvres seront présentes au Jeu de paume, au Mac/Val, au Centre Pompidou, au CAPC musée d’art contemporain de Bordeaux et à la Biennale de Lyon : « C’est vrai que pour moi 2017 est une bonne année », dit-il en souriant.
Le soutien par l’entrée dans les collections publiques
L’entrée dans les collections publiques constitue une autre forme de soutien aux artistes arabes et plusieurs d’entre eux figurent par exemple dans les collections du Centre national des arts plastiques (CNAP) depuis la fin des années 1990 : Farid Belkahia, Saâdane Afif, Ali Cherri, Adel Abdessemed ou encore le duo libanais Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. Même constat au Centre Pompidou, qui possède des œuvres de Kader Attia, Akram Zaatari ou Farid Belkahia, en partie sur l’initiative de Catherine David. Enfin, signalons la collection de l’Institut du monde arabe (IMA), qui rassemble selon Alexandre Kazerouni « parmi les plus belles œuvres de l’art arabe moderne, notamment les acquisitions des années 1980 et 1990 ». L’IMA soutient aussi la création contemporaine à travers le prix de la Société des Amis de l’IMA créé en 2016 et dont le lauréat cette année est le jeune artiste algérien Fethi Sahraoui. Jack Lang précise que « ce prix permet de faire émerger de nouveaux talents et de valoriser une œuvre produite à l’occasion d’une exposition et ensuite intégrée à la collection permanente de l’IMA ». Ce corpus d’œuvres dans les collections publiques ne pourrait-il pas servir de base à une grande exposition ?
Toutes ces initiatives et projets contribuent finalement à créer une sorte de maillage de la création artistique arabe et illustrent bien la permanence des liens entre le monde arabe et la France, au-delà des blocages constatés. Il reste maintenant à intégrer cette création dans une histoire de l’art universelle grâce à des travaux de recherche et des expositions ambitieuses, même si Jean-Marc Bustamante préfère prôner la prudence : « Avant d’organiser de grandes expositions il faut des colloques et des débats sur ces questions. Il faut surtout beaucoup réfléchir ! »
Olympe Lemutsation constituent souvent un élément déclencheur pour des projets concernant les artistes arabes. Malgré les blocages et les frictions, les artistes arabes accèdent en effet progressivement à la reconnaissance en France grâce à une multitude d’initiatives.
Si l’orientalisme est souvent assimilé à une vision occidentale fantasmée du monde arabe dans un cadre colonial, ce courant artistique et littéraire a durablement marqué l’histoire de l’art et l’imaginaire collectif français. Catherine David, directrice adjointe du Musée national d’art moderne (Centre Pompidou), rappelle que grâce à l’orientalisme « le monde arabe était très présent dans la littérature et les arts du XIXe siècle et même du début du XXe ». En histoire de l’art, ce mouvement est incontournable selon Alexandre Kazerouni, chercheur à l’École normale supérieure (ENS) et spécialiste du monde musulman contemporain : « Delacroix, c’est une étape fondamentale, il précède en quelque sorte Matisse, la filiation est claire. » Plus largement cet intérêt se manifeste dans le foisonnement de projets de recherche sur les divers aspects de l’orientalisme : ainsi l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales) a-t-elle organisé en 2016-2017 deux séminaires de recherche sur le sujet, tandis que plusieurs équipes du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) travaillent sur les peintres orientalistes. Et un coup d’œil à la base de données des thèses montre qu’entre 2007 et 2017 environ 370 thèses de doctorat ont été soutenues sur le thème de l’orientalisme, toutes disciplines confondues : preuve d’un intérêt constant de la part des chercheurs. Une manifestation consacrée à la création arabe pourrait donc faire le lien avec ces projets de recherche, par exemple autour du thème de la construction de l’altérité en art. À condition, selon Catherine David, de réévaluer l’orientalisme à l’aune du XXIe siècle : « Je pense qu’il est temps de remettre en question une partie de l’argumentaire d’Edward Saïd, sa vision était assez partiale. »
La grande famille de la francophonie
Il ne s’agit donc pas d’évacuer la dimension coloniale de l’orientalisme, mais de rappeler que malgré une histoire douloureuse la colonisation a aussi créé des liens forts entre la France et le monde arabe dans le domaine culturel. Ce sont précisément ces liens qui motivent des projets comme celui porté par l’École des beaux-arts de Paris et le Maroc : Jean-Marc Bustamante, directeur de l’École des beaux-arts de Paris (ENSBA), précise que si les Marocains sont venus proposer aux Beaux-Arts de collaborer à un futur Institut d’art africain à Rabat, « c’est parce qu’ils sont francophones et qu’il y a des liens historiques entre les deux pays ». La francophonie constitue en effet un réseau très actif dans le monde arabe à travers les Instituts français, puisque l’on parle encore français au Maroc, en Algérie, en Tunisie, un peu en Égypte, au Liban et un peu en Syrie. Selon Bernard Collet, commissaire indépendant installé au Maroc, le cas de son pays d’adoption est représentatif : « Au Maroc la France a fait depuis longtemps un travail remarquable au travers de ses neuf Instituts répartis dans toutes les grandes villes du royaume. Avant que le réseau de galeries commerciales ne s’installe entre 2000 et 2005, les Instituts ont été les seuls à permettre aux artistes marocains de montrer leur travail. » Jack Lang signale que les Instituts sont également actifs en Égypte ou au Liban, et il est vrai que de nombreux partenariats culturels existent entre la France et ce pays : le festival de photographie Photomed basé à Sanary-sur-Mer, Marseille et Toulon a par exemple dédoublé sa programmation depuis 2014 à Beyrouth. La francophonie représente donc un atout ancien dans les relations entre la France et le monde arabe.
Comment créer du lien ?
Quant au passé colonial, l’immigration qui en résulte devrait justifier que la France fasse plus activement la promotion des artistes arabes : la fracture qui existe entre les élites et les populations issues de cette immigration, notamment dans les banlieues, pourrait par exemple s’atténuer. Mounir Fatmi y voit, lui, un autre enjeu politique : « Bien sûr qu’il faut montrer des œuvres d’artistes arabes dans les banlieues, et peut-être plus qu’ailleurs ! Sinon ce sont les islamistes qui vont occuper le terrain, comme au Maroc. Les artistes ici comme là-bas sont en première ligne pour lutter contre la montée de l’islamisme. » Une remarque qui amène à se demander quels artistes arabes pourraient participer à une biennale organisée en France : les artistes nés en France de parents immigrés ? Ceux arrivés à l’âge adulte ? Ou ceux qui vivent encore dans le monde arabe ? En réalité ces trois catégories sont perméables, car de nombreux artistes vivent entre deux pays et certains sont retournés dans un pays arabe après plusieurs années passées en France (Yto Barrada, Zoulikha Bouabdellah, ...). Pour le premier groupe, le succès de Kader Attia montre que ces artistes accèdent à la reconnaissance en France, puisque l’artiste est lauréat du prix Marcel Duchamp 2016 et qu’il a été exposé au Centre Pompidou, puis à la Biennale de Venise. Dans cette même génération Adel Abdessemed a vu ses œuvres acquises par François Pinault, une autre forme de reconnaissance. Ces artistes nés en France semblent donc appartenir désormais à une scène artistique française largement reconnue.
Un nomadisme revendiqué par des artistes sans frontières
Situation différente en revanche pour les artistes qui vivent entre la France et un pays arabe : ils sont les témoins privilégiés des convulsions que connaît le monde arabe, et ils peuvent porter sur ces événements un regard décentré. Ils cumulent aussi les identités comme le dit Mounir Fatmi : « Dès que je quitte le Maroc, je suis international partout. » Bernard Collet rappelle que l’artiste se définit entre autres comme « Afro-Arabo-Marocano-Mediterrano-Musulmano-tiers mondiste ». Il circule entre la France, le Maroc et le reste du monde, même si son travail est marqué par la culture arabe. Car la circulation entre la France et le monde arabe crée des réseaux et influence les conditions de travail des artistes : Ali Cherri, par exemple, a fait un Master à Amsterdam, puis est retourné au Liban avant de venir à Paris en 2009. C’est la galeriste parisienne Imane Farès qui expose son travail, mais elle est venue chercher l’artiste à Beyrouth : ce sont précisément ces allers-retours qui constituent une part importante de la scène artistique arabe actuelle.
Mais il faudrait surtout exposer en France plus d’artistes qui vivent dans le monde arabe. Des différences importantes existent pourtant entre les pays en termes d’écoles d’art, de galeries et d’institutions. Ingrid Perbal (rédactrice à la revue Qantara) indique qu’il est difficile par exemple de connaître la scène yéménite, « car non seulement il n’y a pas d’école d’art, mais en plus il y a la guerre ». Elle cite également le cas de l’Irak : « après 1991 et avec l’embargo, les artistes n’ont tout simplement plus eu les moyens de créer ». Catherine David confirme ce constat : « en Irak l’École des beaux-arts de Bagdad n’est quasiment plus active, je l’ai constaté lors de mes trois voyages sur place depuis 2004. L’art irakien est désormais un art de diaspora et d’exil. » Même situation en Syrie depuis 2011, avec une forte diaspora installée au Liban et dans les pays voisins. Till Fellrath et Sam Bardaouil le soulignent également : « il y a des pays comme la Syrie ou l’Irak, où les artistes font face à des défis qui vont bien au-delà des besoins financiers ». Le Maroc en revanche bénéficie d’une scène artistique « foisonnante » selon Bernard Collet, et d’un réseau de galeries et d’institutions qui soutiennent la création. Il cite le ministère de la Culture, le mécène privé OCP Group et les galeries « qui déploient beaucoup d’efforts pour participer aux grandes foires comme Art Paris ou Drawing Now ».
Il s’agirait donc pour la France de s’appuyer sur des réseaux déjà présents et de travailler en collaboration avec les pays arabes : Jean-Marc Bustamante insiste beaucoup sur la notion de collaboration. « Pour le projet avec le Maroc, nous n’imposons rien, des professeurs des Beaux-Arts viendront donner des cours pour les jeunes artistes marocains, mais c’est le Maroc qui gèrera l’Institut. » Et c’est bien un réseau préexistant qui a permis à la galerie Ceysson d’exposer trois artistes marocains à Paris sous le commissariat de Bernard Ceysson. Le directeur de la galerie, Loïc Bénétière, pointe sur la nécessité d’avoir des relations bilatérales équilibrées : « les Marocains ont souvent exposé nos artistes depuis plusieurs années, donc c’est logique d’exposer leurs artistes en France ». Vu le succès rencontré par l’exposition de Mounir Fatmi, Amina Benbouchta et Mohamed Elbaz, il envisage d’autres projets avec des artistes marocains. Les galeries sont souvent les premières étapes vers le succès pour des artistes arabes, comme le montre le parcours d’Ali Cherri. Exposé par Imane Farès, il a ensuite été repéré par des commissaires, et cette année ses œuvres seront présentes au Jeu de paume, au Mac/Val, au Centre Pompidou, au CAPC musée d’art contemporain de Bordeaux et à la Biennale de Lyon : « C’est vrai que pour moi 2017 est une bonne année », dit-il en souriant.
Le soutien par l’entrée dans les collections publiques
L’entrée dans les collections publiques constitue une autre forme de soutien aux artistes arabes et plusieurs d’entre eux figurent par exemple dans les collections du Centre national des arts plastiques (CNAP) depuis la fin des années 1990 : Farid Belkahia, Saâdane Afif, Ali Cherri, Adel Abdessemed ou encore le duo libanais Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. Même constat au Centre Pompidou, qui possède des œuvres de Kader Attia, Akram Zaatari ou Farid Belkahia, en partie sur l’initiative de Catherine David. Enfin, signalons la collection de l’Institut du monde arabe (IMA), qui rassemble selon Alexandre Kazerouni « parmi les plus belles œuvres de l’art arabe moderne, notamment les acquisitions des années 1980 et 1990 ». L’IMA soutient aussi la création contemporaine à travers le prix de la Société des Amis de l’IMA créé en 2016 et dont le lauréat cette année est le jeune artiste algérien Fethi Sahraoui. Jack Lang précise que « ce prix permet de faire émerger de nouveaux talents et de valoriser une œuvre produite à l’occasion d’une exposition et ensuite intégrée à la collection permanente de l’IMA ». Ce corpus d’œuvres dans les collections publiques ne pourrait-il pas servir de base à une grande exposition ?
Toutes ces initiatives et projets contribuent finalement à créer une sorte de maillage de la création artistique arabe et illustrent bien la permanence des liens entre le monde arabe et la France, au-delà des blocages constatés. Il reste maintenant à intégrer cette création dans une histoire de l’art universelle grâce à des travaux de recherche et des expositions ambitieuses, même si Jean-Marc Bustamante préfère prôner la prudence : « Avant d’organiser de grandes expositions il faut des colloques et des débats sur ces questions. Il faut surtout beaucoup réfléchir ! »
Nos demandes d’entretien ont été accueillies diversement dans les milieux artistiques et universitaires. À l’exception d’une grande galerie parisienne, les milieux artistiques français et arabes nous ont tous répondu favorablement, faisant preuve d’ouverture d’esprit. En revanche, les milieux intellectuels et universitaires ont manifesté de la perplexité voire de l’embarras. Qu’ils soient écrivains, historiens ou géopoliticiens, les spécialistes du monde arabe contactés ont pour beaucoup préféré ne pas s’exprimer, au prétexte qu’ils ne seraient pas compétents… Quand bien même certains enseignent au Collège de France ou à Sciences Po Paris. L’un d’entre eux a même jugé que cette enquête n’avait pas lieu d’être « puisqu’il n’y a rien à dire sur le sujet ». Des réactions qui illustrent involontairement certains points mis en lumière par notre enquête, et qui en prouvent par là même l’utilité. Aussi les intellectuels qui ont bien voulu répondre méritent encore plus notre reconnaissance.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°482 du 23 juin 2017, avec le titre suivant : Des atouts à faire grandir