Joanna Hadjithomas et Khalil Joreige interrogent l’état du monde.
PARIS - Alors que sort en salle un long-métrage très singulier et très marquant, dont Catherine Deneuve est non seulement l’actrice mais le pivot, entre fiction cinématographique et ambition documentaire, le duo d’artistes libanais Joana Hadjithomas et Khalil Joreige s’installe dans la salle noire du Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Un espace qui leur va bien, en ce qu’il entretient à la fois l’idée de la boîte noire du cinéma, qui est un de leur territoire de travail, et celle, marquée par la présence voisine de la crypte de Boltanski, du rapport à l’Histoire et aux histoires qui la font, mais aussi à la construction de la mémoire collective, grandes tâches du musée. L’exposition présente des pièces formellement assez diverses, de planches et panneaux photographiques et de projections vidéo. Qu’ils travaillent à partir de matériaux trouvés dans leur histoire familiale (Lasting Images est composé d’images Super 8 faites par un oncle « disparu ») ou dans une démarche frontale d’enquête et de témoignage (comme dans Khiam, avec des récits de captivité d’une demi-douzaine de témoins recueillis à plusieurs années de distance), leur matière appartient à l’histoire récente du Liban, d’où ils viennent et où ils vivent à mi-temps. Elle s’élève par la finesse de la mise en forme à l’interrogation du rôle de l’image dans l’intimité de la construction de toute mémoire individuelle. La liberté, mais aussi l’économie visuelle de leurs dispositifs, sans chichi plasticien, mais aussi sans forme forte ni autoritaire, les éloignent de l’héroïsme de l’installation d’artiste (malgré le titre de l’exposition, We could be heroes just for one day, emprunté à David Bowie non sans ironie paradoxale). Hadjithomas et Joreige, dans leur déplacement entre Beyrouth et Paris, entre cinéma et salle d’exposition, interrogent bien sûr l’état du monde, qui, vu de Beyrouth, ressemble à un champ de ruines, pourtant habité, vivant. Mais en artistes, c’est aussi le rapport au spectateur qui les occupe : ils parlent d’une « politique du spectateur », bien différente au cinéma et dans l’exposition. Dans la seconde, le temps de réception, l’autonomie des déplacements du corps et de la conscience sont une part importante, et l’organisation par rebonds, dans l’accrochage, entre les différents régimes d’images laisse vraiment le spectateur, au-delà du témoignage sur la situation politique si complexe du Moyen-Orient que le Liban concentre sans doute pour son malheur, devant cette responsabilité active qu’annonce le titre de leur long-métrage : Je veux voir. Voir le monde tel qu’il est, rempli d’images comme en produit la vie politique libanaise, suppose cette distance en effet politique, au digne sens du mot, de la part du spectateur, et le musée, la « fonction-musée », est prise là au plus près de ce qui en fait un lieu de connaissance aiguisé.
Joanna Hadjithomas, Khalil Joreige, We could be heroes just for one day, jusqu’au 8 mars, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, Salle noire, accès par les salles des collections, 11, av. du Président Wilson, 75116 Paris,tél. 01 53 67 40 00, www.mam.paris.fr, tlj sauf lundi 10h-18h. Site des artistes www.hadjithomasjoreige.com. Actuellement au cinéma : Je veux voir, durée 1 heure 15 min.
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L’image de la mémoire
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Commissaire de l’expo : Marie-Sophie Carron de la Carrière ; Odile Burluraux
Nombre d’œuvres : 7 dont trois projections et 4 planches de photographies
Nombre de salles : 4 espaces
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°294 du 9 janvier 2009, avec le titre suivant : L’image de la mémoire