Justice

Une décision de justice importante pour les commissaires d’exposition

Par Pierre Noual, avocat à la cour · Le Journal des Arts

Le 12 septembre 2024 - 829 mots

Par un arrêt inédit en la matière, la cour d’appel de Lyon affirme que le concepteur d’une exposition peut bénéficier de droit d’auteur qu’il soit salarié ou indépendant.

Le Centre national de la mémoire arménienne à Décines-Charpieu. © CNMA
Le Centre national de la mémoire arménienne à Décines-Charpieu.
© CNMA

Œuvre de l’esprit, es-tu là ? En matière de conception d’exposition, la question n’est pas dénuée d’intérêt car rien ne s’oppose à ce qu’elle soit protégée par le droit d’auteur, à la seule condition qu’elle soit originale, qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur ou de son apport intellectuel. Or les décisions en ce sens sont rares et souvent anciennes : la cour d’appel de Paris a refusé, en 1988, la protection à l’exposition de la collection d’automobiles des frères Schlumpf, mais elle a pu l’accorder, en 1997, à Henri Langlois, sur l’exposition de sa collection du Musée du cinéma. Aussi, un récent arrêt de la cour d’appel de Lyon (2 juillet 2024) mérite la plus grande attention en ce qu’il affirme que le concepteur d’une exposition peut jouir de droits d’auteur sur celle-ci, indépendamment de son statut de salarié ou d’indépendant – et qui ne doit pas être confondu avec le droit d’exposition des artistes.

Au cœur de cette affaire se trouvait un salarié du Centre national de la mémoire arménienne (CNMA), situé à Décines-Charpieu dans la métropole lyonnaise, qui s’estimait créateur de quatre expositions originales sur la thématique des génocides et crimes contre l’humanité. Après avoir été licencié par le Centre, ce salarié s’est aperçu que ses expositions continuaient d’être exploitées. Il a alors assigné le Centre pour contrefaçon. Toutefois, le tribunal judiciaire de Lyon a refusé de reconnaître l’originalité des quatre expositions, avant d’être censuré par les juges d’appel. Au contraire, pour ces derniers, « les panneaux de chacune des expositions, comportent des textes originaux, une sélection de documents issus de recherches historiques, des photographies sélectionnées et disposées spécifiquement, et qu’ils ont été mis en page selon des choix arbitraires et créatifs et selon une cohérence d’ensemble, révélant l’apport intellectuel et la personnalité de l’auteur ». En conséquence, les quatre expositions litigieuses, du fait de leur caractère original patent, étaient des œuvres relevant de la législation sur les droits d’auteur.

Pour autant le salarié était-il bien l’auteur de ces expositions ? Il est vrai que la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée. Aussi, le Centre avait estimé qu’il y aurait eu une cession implicite des droits d’auteur en raison du contrat de travail conclu avec son ancien salarié. Or il est bien admis que l’existence d’un contrat de travail ou d’un contrat de prestations n’induit pas une cession automatique des droits d’auteur. En l’espèce, et à défaut de cession explicite au titre du droit d’auteur, la cour d’appel a jugé que le salarié était bien le seul titulaire des droits sur ces expositions pour certaines réalisées avant d’être salarié et pour d’autres en tant que salarié. Face à ces actes de contrefaçon, le centre a été condamné à indemniser le salarié à hauteur de 15 000 euros pour les préjudices subis.

Cette solution qui vise les concepteurs d’exposition, salariés ou indépendants, est à mettre en perspective avec celles conçues par des fonctionnaires. Il faut garder à l’esprit que l’article L. 131-3-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que « le droit d’exploitation d’une œuvre créée par un agent de l’État dans l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions reçues est, dès la création, cédé de plein droit à l’État ». Il n’en demeure pas moins qu’en cas d’exploitation commerciale – comme c’est le cas d’une exposition –, il n’y a pas de transmission automatique des droits mais seulement un droit de préférence pour la personne publique. Autrement dit, un droit d’auteur sur l’exposition peut être reconnu aux fonctionnaires, conformément à l’article L. 111-1, alinéa 3, du même Code.

Néanmoins, ce droit patrimonial du droit d’auteur semblerait ici limité en ce qui concerne le droit moral. Ainsi, à la suite de l’éviction d’Anne Baldassari du Musée Picasso, en 2014, celle-ci avait averti qu’en cas de reprise par le musée de son « concept d’accrochage », une atteinte à son droit moral aurait lieu. Cependant, un tel droit serait symbolique puisque l’article L. 121-7-1 dudit Code prévoit que l’agent public ne peut « s’opposer à la modification de l’œuvre décidée dans l’intérêt du service par l’autorité investie du pouvoir hiérarchique, lorsque cette modification ne porte pas atteinte à son honneur ou à sa réputation » ou ne peut « exercer son droit de repentir et de retrait, sauf accord de l’autorité investie du pouvoir hiérarchique ».

En somme, l’arrêt de Lyon affine un droit d’auteur protecteur pour le concepteur, le commissaire ou curateur d’exposition puisqu’il s’en déduit qu’il peut être doublement rémunéré pour ses missions « matérielles » (conception de l’exposition) et « intellectuelles » (exploitation de l’exposition), qu’il intervienne à titre indépendant ou salarié. On devine alors l’intérêt pour ces derniers et pour les institutions publiques ou privées de bien encadrer par un contrat la valorisation des expositions en amont et en aval.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°638 du 6 septembre 2024, avec le titre suivant : Consolidation des droits d’auteur des commissaires d’exposition

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