Tourisme

ENTRETIEN

Philippe Gloaguen : « Le tourisme a conquis toute la planète »

Cofondateur du « guide du routard »

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 21 juillet 2024 - 773 mots

L’un des deux fondateurs du « Routard » livre son analyse sur l’évolution du tourisme – et du surtourisme – dans le monde depuis cinquante ans.

Philippe Gloaguen. © Hachette
Philippe Gloaguen.
© Hachette

En 1973, de retour d’un voyage en Inde, Philippe Gloaguen crée avec Michel Duval le « Guide du routard ». Depuis, 55 millions de livres couvrant une centaine de pays ont été vendus. À 73 ans, le Breton relit toujours tous les manuscrits. Un témoin privilégié pour raconter l’évolution du tourisme.

Vous courez le monde depuis cinquante ans. Avez-vous observé une augmentation de la fréquentation touristique ?

Oui, indiscutablement. D’abord, pour les deux destinations « historiques » que sont l’Espagne et l’Italie où l’on note par ailleurs une forte poussée dans des régions autrefois peu visitées, comme les Pouilles en Italie. La chute du mur de Berlin a dans le même temps ouvert tous les pays de l’Est à un tourisme classique. Plus près de nous dans le temps, on relève depuis la fin du Covid une très forte augmentation de nos ventes de guides sur le Japon et les États-Unis, des destinations plutôt chères, ce que j’explique par une « cagnotte » que beaucoup de Français ont constituée pendant cette période. Nous éditons aujourd’hui 180 éditions du Routard, c’est vous dire combien le tourisme a conquis quasiment toute la planète.
 

Quelle est votre définition du « surtourisme » ?

J’en ai une qui vaut ce qu’elle vaut : ce sont des lieux où la capacité hôtelière ou de restauration est insuffisante pour accueillir tous les touristes, entraînant une hausse des prix et une baisse de la qualité. Un exemple ? Prague.

Comment les villes concernées peuvent-elles lutter contre ce phénomène ?

En incitant les gens à venir hors saison ou à se lever tôt. Place Saint-Marc, à 8 heures, il n’y a personne. Je ne suis pas très favorable à taxer les visiteurs d’un jour comme Venise vient de le faire. Venise n’aurait jamais dû accepter les paquebots qui déversent des flots de visiteurs dont, accessoirement, les remous fragilisent grandement les pilotis sur lesquels est bâtie la ville. Cela dit, je reconnais qu’il n’y a pas beaucoup de solutions : comment réduire le nombre de jeunes qui viennent faire la fête à Barcelone ? Et éthiquement, c’est problématique. Peut-être que les villes pourraient s’inspirer des réservations par Internet que pratiquent aujourd’hui bon nombre de musées.

Que pensez-vous de l’initiative d’un pays comme le Bhoutan qui impose une taxe de séjour d’un montant de 200 dollars par jour (récemment ramenée à 100 dollars) ?

Pas beaucoup de bien. Je n’y suis jamais allé. Je pense qu’ils ont mis en place cette taxe surtout parce qu’ils ont une faible capacité hôtelière. C’est un pays montagneux très pauvre où le foncier disponible à la construction est très limité.

Puisque l’on parle du Bhoutan, je voudrais vous faire remarquer que l’un des facteurs du « surtourisme », ce sont ces hordes de touristes chinois qui sont brusquement apparues il y a quelques années et que l’on estime à 150 millions de personnes.

Est-ce que des guides comme « Le Routard », en facilitant le tourisme, ne contribuent pas au surtourisme ?

D’une certaine façon. C’est pourquoi nous avons créé une rubrique dans nos guides que l’on appelle « Le pas de côté » dans laquelle on signale à nos lecteurs des endroits à aller visiter peu touristiques. Nous avons reçu récemment une médaille du ministère du Tourisme espagnol en remerciement de la promotion que nous faisons justement des lieux moins courus, tels les villages intérieurs de l’Andalousie, comme échappatoire aux plages bondées du littoral. Les labels influent aussi beaucoup. On constate la surfréquentation des endroits ayant le label des « Plus Beaux Villages de France » qui attirent des milliers de touristes dans des villages qui n’ont absolument pas la capacité de les accueillir. J’en ai fait l’expérience moi-même, il y a quelques jours, à Rochefort-en-Terre, en Bretagne, où c’était bondé.

La mondialisation n’a-t-elle pas entraîné une uniformisation du monde ?

Certainement, on retrouve les mêmes marques partout dans le monde. Un exemple : avant, on allait acheter des chaussures en Espagne et des vêtements en Italie. Cette spécialisation a totalement disparu. Je ne parle même pas des duty free dans les aéroports, qui vendent tous la même chose.

Il y a de plus en plus de pays interdits. N’assiste-t-on pas à un rétrécissement du monde ?

Je partage votre sentiment. Le premier Routard, en 1973, s’appelait « La route des Indes ». Aujourd’hui sur cette route, au moins trois pays sont fortement déconseillés : l’Iran, l’Afghanistan et le Pakistan. Quid des pays du Sahel ? Quand va-t-on pouvoir revenir au Mali ou au Yémen, deux pays où j’ai eu les plus merveilleux moments de ma vie ?

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°637 du 5 juillet 2024, avec le titre suivant : Philippe Gloaguen, cofondateur du « guide du routard » : « Le tourisme a conquis toute la planète »

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