MONDE
L’été a largement été placé sous le signe du déconfinement, mais l’automne arrive avec ses premiers nuages. Tour d’horizon dans sept pays.
Depuis le 18 mai dernier, les musées, les centres d’art et les autres lieux patrimoniaux belges ont rouvert leur porte ; la réservation en ligne est conseillée. La plupart de ces lieux ont connu cet été une nette baisse de leur fréquentation, notamment en raison de l’absence de touristes étrangers. Rares sont les établissements qui, comme le centre d’art contemporain Wiels, ont réussi à maintenir leur fréquentation, voire à l’augmenter comme au le centre d’innovation et de design le Grand Hornu, grâce à la venue d’un public très local. Si les festivals de cet été ont tous été annulés, les cinémas, les théâtres et les salles de concert ont pu rouvrir, mais n’en demeurent pas moins touchés notamment par la nouvelle réglementation du 27 juillet qui a réduit tout rassemblement à 100 personnes en intérieur et 200 en extérieur. Cette règle vient d’être assouplie, passant à 200 personnes maximum en intérieur et à 400 personnes en extérieur. Les théâtres peu ou pas subventionnés menacent de fermer leur porte si l’État n’apporte pas rapidement un soutien financier. Face à la reprise de l’épidémie, la rentrée se profile dans la plus grande incertitude. Les galeries qui viennent de lancer leur nouvelle saison craignent une reprise au ralenti. Art Brussels qui avait été reportée en juin a été finalement annulée, prochaine édition en 2021. Même scénario pour la foire de rentrée Art on Paper. Une annonce concernant l’édition de la Brafa en janvier 2021 est attendue prochainement. L’économie belge traverse une forte récession, en particulier le secteur de la culture, mais aussi de la restauration, du tourisme et du transport aérien. Les entreprises belges estiment que leur chiffre d’affaires a baissé de 13 % depuis le début de la crise. 403 000 travailleurs seraient passés en régime de chômage partiel durant le mois de juillet. La Banque nationale Belge prévoit un repli de 9 % de l’activité économique belge en 2020.
Pauline Vidal, correspondante à Bruxelles
SUISSE - Le calme avant la tempête ?
L’été en Suisse a été placé sous le signe d’un retour progressif à la normale avant les indicateurs d’une reprise de l’épidémie depuis la fin août. Les musées et lieux patrimoniaux sont, pour la plupart, ouverts depuis le début du mois de juin et de nombreux événements et expositions ont pu être prolongés jusqu’à l’automne – telle l’exposition « Edward Hopper » à la Fondation Beyeler à Bâle, prolongée jusqu’à fin septembre, qui a enregistré, comme d’autres manifestations, un réel succès de fréquentation. Théâtres et cinémas ont rouvert en ordre dispersé selon les réglementations cantonales, en appliquant les mesures de distanciation sociale et le port du masque qui devient obligatoire dans l’espace public, dans un nombre toujours plus grand de cantons. Nombreux sont, en revanche, les festivals et concerts annulés en attendant le 1er octobre, date à laquelle les événements de plus 1 000 personnes sont à nouveau autorisés par le Conseil fédéral, laissant espérer pour de nombreux opérateurs culturels la tenue de manifestations à l’automne. Les projets de reports des foires d’art à l’automne comme Art Basel ou Liste – la foire d’art contemporain alternative de Bâle – n’auront cependant pas survécu à la menace du Covid : il faudra attendre juin 2021 pour leurs prochaines éditions. Conséquence de cette pandémie, la Suisse est officiellement entrée en récession, avec une chute de près de 8 % du PIB au deuxième trimestre 2020. Parmi les secteurs sinistrés, l’hôtellerie, la restauration et les exportations de services ainsi que d’autres secteurs industriels tels que les instruments de précision ou encore l’horlogerie. Le Conseil fédéral a voté début août une enveloppe de 80 millions de francs suisses (66 M€) à disposition des cantons pour soutenir les entreprises culturelles malmenées par la crise. L’accès facilité au chômage partiel – l’une des mesures de soutien à l’économie mises en place dès mars 2020 – aura cependant permis d’éviter bon nombre de faillites et de licenciements.
Ingrid Dubach-Lemainque, correspondante à Neuchatel
ALLEMAGNE - L’inquiétude renaît
Un semblant de normalité a régné dans les différents Länder. Depuis la mi-mai, les magasins, restaurants, musées, théâtres et cinémas ont progressivement rouvert avec un protocole sanitaire strict, rigoureusement respecté. Même si les Länder sont autonomes dans les règlements sanitaires, ils adoptent des normes similaires à quelques exceptions.Beaucoup d’Allemands ont cependant passé leurs vacances en Allemagne, privilégiant les plages de la mer du Nord et de la mer Baltique ainsi que la Bavière, au détriment des habituelles destinations telles que les îles espagnoles des Baléares et Malte.Cependant, comme partout en Europe, le virus circule à nouveau rapidement, ce qui a amené les États fédérés à décider d’un commun accord de prolonger l’interdiction des grands événements (festivals, concerts et manifestations sportives) jusqu’au 31 décembre. Le Festival de Bayreuth a ainsi été annulé. La situation des foires est très variable. Art Cologne 2020 qui avait été reporté de juin à novembre est, pour l’instant maintenu, tout comme le célèbre Salon du livre de Francfort qui doit se tenir mi-octobre. En revanche, Art Düsseldorf qui devait avoir lieu en novembre a été annulé.Naturellement, tout cela a des conséquences économiques importantes. Un rapport du gouvernement fédéral prévoit une baisse du chiffre d’affaires de l’industrie culturelle pouvant aller jusqu’à 25 milliards d’euros (sur un total de 90). Les musées nationaux de Berlin ont ainsi subi des pertes de deux millions d’euros par mois.
Alice Fiedler
ITALIE - Tourisme en berne et plan de relance pour la culture
Après avoir été stigmatisée comme principal foyer du Covid-19, l’Italie a fait figure d’élève modèle de la classe européenne cet été. Le nombre particulièrement bas de contagions a conforté la décision du gouvernement, prise début juin, de rouvrir les théâtres, musées et cinémas dans le respect des gestes barrières. Malgré une forte baisse de leur fréquentation, quelques grands festivals ont pu avoir lieu avec 1 000 personnes maximum (artistes et techniciens compris) en extérieur et 200 lorsque les spectacles se déroulaient à l’intérieur. Les festivals Puccini de Torre del Lago en Toscane, les arènes de Vérone ou encore le festival Rossini de Pesaro ont ainsi pu avoir lieu. De nombreux concerts ont néanmoins été annulés. Le ministère de la Culture a alloué 12 millions d’euros pour les organisateurs de concerts annulés : « Une goutte d’eau qui n’aidera pas à sauver le secteur », ont réagi les principaux acteurs. Le secteur du tourisme a particulièrement souffert cet été. Les villes d’art ont vu s’effondrer le nombre de leurs visiteurs de 85 % en moyenne. Elles ont perdu 34 millions de touristes, soit une baisse de revenus de près de 8 milliards d’euros, selon une étude réalisée par l’association des commerçants Confersercenti. Le gouvernement a débloqué une enveloppe de 500 millions d’euros pour soutenir les activités des centres historiques de vingt-neuf villes dont Venise, Rome, Turin ou encore Florence, où le maire a lancé de nombreux appels à l’aide évoquant la faillite de sa municipalité. Le gouvernement lui a répondu en insérant un volet culture dans le décret pour la relance économique présenté au début du mois d’août. La culture bénéficiera de ressources à hauteur de 3 milliards d’euros avec de nombreux avantages fiscaux. Les musées nationaux obtiendront 65 millions d’euros d’aides ; les théâtres et cinéma 90 millions. « C’est un soutien obligatoire pour des secteurs qui rendent l’Italie unique et enviée dans le monde entier », a expliqué le ministre de la Culture, Dario Franceschini. Le retour à la normale n’est pas prévu avant le printemps 2021, mais la brusque reprise du nombre des contagions en cette rentrée soulève une nouvelle vague d’inquiétude. L’Italie a donc prolongé l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 15 octobre, afin de continuer à appliquer les mesures pour contenir l’épidémie.
Olivier Tosseri, correspondant à Rome
GRANDE-BRETAGNE - Baisse de la fréquentation et fortes pertes économiques attendues
Les lieux culturels britanniques ont quasiment tous rouvert leurs portes. Mais il n’est plus possible de se rendre à l’improviste dans les musées, galeries et lieux patrimoniaux, même gratuits ; chacun doit désormais réserver son jour et son heure de passage. La National Gallery a lancé le mouvement début juillet alors que le Victoria & Albert Museum et le British Museum ont attendu le 27 août. Et encore, toutes leurs salles ne sont pas accessibles. Outre l’obligation de porter un masque, les grands musées ont établi plusieurs parcours au sein de leurs allées pour empêcher que les visiteurs se croisent ou se regroupent au même endroit.La plupart des cinémas sont de nouveau accessibles, mais pas les salles de concert. Un festival de musique en plein air s’est néanmoins tenu mi-août, les spectateurs étant installés dans des plateformes métalliques séparées les unes des autres. Le ministre de la Culture, Oliver Dowden, a encouragé les Britanniques à visiter les lieux culturels. « Des musées plus calmes signifient plus de temps et d’espace pour profiter de certaines des plus incroyables œuvres créées dans le monde », a-t-il expliqué au Evening Standart. Il a aussi demandé aux musées « de prendre une approche la plus commerciale possible, de poursuivre toutes les possibilités de maximiser les sources de revenus alternatifs », sans quoi ils ne pourront pas profiter du 1,57 milliard de livre sterling (1,75 Md€) du fonds de relance de la culture annoncé fin juillet. La crainte des Britanniques et l’effondrement du nombre de touristes, accentué par la quatorzaine imposée à leur arrivée par le gouvernement aux visiteurs venus d’une dizaine de pays, a fait plonger la fréquentation. Lors de la semaine du 10 au 16 août, le nombre de visiteurs dans neuf musées sélectionnés de la capitale s’élevait à 15 % seulement de leur moyenne pour le mois d’août des trois dernières années. Le British Museum a accueilli tout au plus 2 000 visiteurs par jour contre 15 000 à 20 000 lors d’un mois d’août normal. La tour de Londres a indiqué recevoir 2 500 visiteurs maximum par jour contre 12 000 à 15 000 en temps normal. Sa directrice s’attend à une perte de revenus de 98 millions de livres sterling (109 M€). Visit Britain, l’agence de promotion du tourisme au Royaume-Uni, estime que les dépenses des Britanniques diminueront de 49 % en 2020, ce qui représenterait une perte de 44,9 milliards de livres sterling (50 Mds€), à laquelle s’ajoutera la chute de 63 % des visites touristiques étrangères, pour un coût estimé à 19,7 milliards de livres sterling (22 Mds€).
Tristan de Bourbon Parme, correspondant à Londres
RUSSIE - Entre déni et principe de réalité
La Russie a franchi la barre symbolique du million de personnes infectées par le Covid-19, mais le régime semble ne pas en tenir compte. Après tout, « seules 17 000 personnes » sont décédées, d’après les statistiques officielles, dont il est possible qu’elles soient fortement sous-estimées. Le port du masque dans les lieux publics reste obligatoire, y compris dans les musées. Il n’est que recommandé dans les théâtres et salles de cinéma. Les musées publics et privés ont rouvert dès la mi-juillet après quatre mois de fermeture. Au grand soulagement du directeur de l’Ermitage, Mikhaïl Piotrovski, qui estime que son musée a perdu la moitié de ses revenus annuels à cause du confinement. À Moscou, la directrice de la Galerie Tretiakov, Zelfira Tregulova, évoque une perte quotidienne de 34 000 euros par jour de fermeture, tandis Marina Lochak du Musée Pouchkine de Moscou parle de 25 000 euros. Depuis la réouverture, la fréquentation des grands musées d’État reste très basse, en raison de l’absence totale de visiteurs étrangers, la Russie ayant fermé ses frontières depuis fin mars. La rentrée compte pourtant autant d’événements qu’à l’habitude. Le musée privé d’art contemporain Garage ouvrira comme prévu, le 11 septembre, sa seconde triennale d’art contemporain russe, une manifestation très attendue. La Biennale de l’Art jeune ouvrira le 5 septembre sa 7e édition au Musée d’art contemporain de Moscou. Cosmoscow, le principal rendez-vous annuel du marché de l’art contemporain, se tiendra du 10 au 13 septembre, comme toujours à proximité du Kremlin, avec la participation annoncée de cinquante galeries russes. Le début d’été a été difficile pour le cinéma, avec le report du Festival international du film de Moscou de fin juin à début octobre. Les salles de cinéma ont pourtant rouvert dès la fin-mai, avec une fréquentation réduite de 70 % et des séances espacées de trente minutes pour permettre de désinfecter les salles. Les théâtres se préparent à la rentrée avec les poches vides. Mais les deux grands festivals (Tchekhov et le Masque d’or) ont été maintenus.
Emmanuel Grynszpan, correspondant à Moscou
ÉTATS-UNIS - Le cauchemar continue pour les musées
Malgré la réouverture progressive des musées et autres lieux touristiques (zoos, jardins botaniques, aquariums…) au public, le secteur de l’art et de la culture américain s’attend à vivre des mois difficiles. Dans un pays où le virus continue de progresser (5,9 millions de cas fin août), la situation varie d’un État à l’autre. Bon élève dans la lutte contre le virus, New York, qui fut l’épicentre du Covid-19 en avril, a autorisé ses musées à rouvrir à partir du 24 août avec des restrictions. Avec des pertes estimées à 150 millions de dollars (environ 12,6 M€) pour l’année, le Metropolitan Museum of Art, qui a retrouvé son public samedi 29 août, pratique des contrôles de température à l’entrée, limite sa capacité d’accueil à 25 % et ferme deux jours par semaine. Le MoMA et le Guggenheim rouvriront, eux, en septembre et octobre, alors que les salles de spectacles (Lincoln Center, Carnegie Hall, théâtres de Broadway…) resteront closes jusqu’en 2021. En Californie, où une forte poussée de cas a été enregistrée cet été, les musées qui avaient commencé à rouvrir ont dû fermer de nouveau. Les trois musées d’histoire naturelle du comté de Los Angeles ont annoncé un manque à gagner de 13 millions de dollars (environ 11 M€) à cause de cette situation. Le gouverneur de l’État a décrété de nouvelles conditions pour la réouverture des musées en fonction du nombre de cas par comtés, mais il est déjà trop tard pour certains. L’Annenberg Museum of Photography a annoncé sa fermeture définitive. D’autres musées et galeries pourraient suivre. Selon des données récoltées par l’American Alliance of Museums (AMM) en juin, 33 % des 750 directeurs de musées interrogés dans tout le pays pensent qu’ils fermeront pour de bon dans les seize mois qui viennent sans soutien financier supplémentaire. 56 % des sondés indiquent avoir moins de six mois de réserve pour couvrir leurs frais opérationnels. « Même avec les réouvertures partielles, les charges sont plus importantes que les recettes et il n’y a pas de filet de sécurité pour beaucoup de musées », a alerté Laura Lott, présidente de l’AMM.
Alexis Buisson, correspondant à New York
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Covid : état des lieux de la culture dans le monde
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°550 du 4 septembre 2020, avec le titre suivant : Covid-19 dans le monde : répit avant la deuxième vague