HORNU / BELGIQUE
Le design peut s’emparer de tous les sujets d’études possibles, y compris les plus étonnants comme l’art culinaire. Cette exposition belge donne un avant-goût de qui pourrait arriver dans nos assiettes.
Hornu. On a pris l’habitude, au rayon des arts de la table, de voir les designers prendre en charge le contenant. Depuis 25 ans, on le sait moins, d’aucuns s’occupent aussi du contenu : l’objet comestible. Cette exposition intitulée « Serial Eater, Food Design Stories » dresse, à travers prototypes, œuvres, photographies et films « cuisinés » par une quarantaine de designers, un panorama des recherches et autres expérimentations dans ce domaine. Mieux vaut ne pas être en hypoglycémie, car le parcours est copieux…
Chronologie d’abord, avec deux événements phares de l’histoire de l’art qui ont mis en scène l’objet comestible. « Historiquement, on peut faire remonter le “food design” aux futuristes italiens, estime Benjamin Stoz, commissaire de l’exposition. Ils sont les premiers à avoir porté un regard transgressif sur l’alimentation en organisant des banquets aux menus pour le moins excentriques. » Ainsi en est-il du Pollo Fiat[Poulet Fiat] de l’artiste Nicolay Diulgheroff, volaille farcie de roulements à billes – on sait la fascination des futuristes pour la machine – dans le secret espoir d’instiller à la chair un goût métallique. Un film retranscrit l’amusante performance. En filigrane, sourd déjà, en ces années 1930, une critique de la nourriture industrielle. Le second moment clé n’est autre que le mouvement Eat Art lancé par Daniel Spoerri, qui questionne notamment l’acte de manger dans ses tableaux-pièges truffés de reliefs de repas.
Ces deux jalons artistiques inspirent, dans les années 1990, les pionniers du food design, à commencer par l’Espagnol Martí Guixé, qui constate : « La nourriture n’a jamais été pensée comme un objet, or elle est l’une des choses les plus consommées au monde. » Avec son projet Spamt, il réinterprète le pain catalan, cette tartine frottée à l’ail et garnie d’une purée de tomate difficile à ingurgiter hors position statique, en créant une version plus ergonomique : une tomate elle-même emplie de pain à l’ail. Lui emboîtent le pas des créateurs tels que les Français Stéphane Bureaux, qui œuvre sur l’architecture du produit, et Marc Bretillot explorant davantage le goût ou la performance. La Néerlandaise Marije Vogelzang analyse l’impact psychologique de la couleur dans les aliments, voire invente un animal mi-lièvre mi-souris vivant dans les volcans, le « ponti », pour entériner la création d’une viande végétale aux effluves fumés. Certains pensent l’esthétique, d’autres la matérialité, l’expérience – les cuillères sensitives de Jinhyun Jeon – ou la gestuelle – le vinaigrier d’Aldo Bakker.
Après cette mise en bouche historique, le parcours se scinde en quatre sections comme autant d’attitudes possibles quant à l’avenir culinaire : carnivore, végane, éco-responsable et gourmande. La première développe des viandes in vitro (le hamburger de culture cellulaire de Mark Post, 2013) ou, à taux de protéines identiques, des insectes modifiés génétiquement comme on le fit jadis avec le porc ou le poulet (Broiler Insects, Chloé Rutzerveld). La deuxième use de lichen, future source possible de nutrition, en pesto ou dans la pâte du pain (Unseen Edible, Julia Schwarz, voir ill.). La troisième recycle et conçoit un presse-agrume avec des épluchures d’oranges (Alkesh Parmar) ou une tasse en marc de café (Julian Lechner). La quatrième attitude enfin, la « gourmande », comble la perte de sensualité de la nourriture actuelle par une originalité dans la forme, la couleur ou la texture (Johanna Schmeer). Que le visiteur se rassure, il pourra être les quatre à la fois, ce serial eater donc, dont le but ultime consiste à enrichir l’expérience culinaire.
Une question taraude néanmoins l’esprit : que va-t-on manger demain ? Malgré une approche parfois anxiogène de ce futur alimentaire, nombre de recherches s’accordent sur une personnalisation accrue. En témoignent la Digital Food 5.0 signée Marti Guixé ou ce kombucha mixé par un robot (The Symbiotic Autonomous Machine, Arvid Jense et Marie Caye), concoctés à partir du bilan santé du client. Il en est de même avec le futur restaurant Sushi Singularity, à Tokyo, dont l’ouverture, cette année, a été reportée pour cause de coronavirus. Après avoir livré vos données biométriques et génomiques à une machine d’optimisation nutritionnelle, une imprimante en 3D vous « sculptera » des sushis personnalisés. Et le plaisir de manger qui va avec ?
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La nourriture comme objet
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°550 du 4 septembre 2020, avec le titre suivant : La nourriture comme objet