Italie - Patrimoine

NOMINATIONS

L’Italie se sépare des directeurs étrangers de ses grands musées

Par Olivier Tosseri, correspondant en Italie · Le Journal des Arts

Le 5 janvier 2024 - 792 mots

Le gouvernement souverainiste de Giorgia Meloni a procédé à ses premières nominations importantes, remplaçant les directeurs étrangers par des Italiens.

Sylvain Bellenger. © Museo e Real Bosco di Capodimonte, 2018
Sylvain Bellenger.
© Museo e Real Bosco di Capodimonte, 2018

Italie. C’est la fin de plusieurs semaines de rumeurs qui avaient tenu en haleine le monde de la culture italien. Les nouveaux directeurs de certains des plus importants musées de la Péninsule ont été nommés le 15 décembre à la suite d’une sélection publique internationale. Sur les 300 candidats initiaux, dix par musée ont été retenus dont trois ont passé l’examen oral devant une commission de cinq experts – une commission dont la composition avait suscité la polémique. Ses membres étaient tous italiens et seule une, Daniela Porro, était une historienne d’art. Quant à l’appel à candidature, il favorisait les profils nationaux. Rien d’étonnant pour un gouvernement nationaliste qui avait fustigé le recours à des étrangers pour relancer les principales institutions culturelles transalpines. Son ministre de la Culture, Gennaro Sangiuliano, assurait en début d’année n’avoir « aucun préjugé envers les étrangers », mais il trouvait « particulier, et signe d’un certain provincialisme, le fait que dix grands musées italiens soient dirigés par des étrangers. Comme si, dans le pays qui compte des universités reconnues dans le domaine du patrimoine culturel et de l’histoire de l’art, il n’y avait pas de profils compétents. »

Retour à la préférence nationale

La direction de quatre musées de premier rang, symboles de la réforme Franceschini qui leur octroyait, il y a dix ans, une large autonomie, est donc renouvelée. Les étrangers sont tous substitués par des Italiens. Seule exception, l’Allemand Eike Dieter Schmidt, le très médiatique directeur des Offices de Florence. C’est à lui que reviendra l’honneur d’inaugurer en 2025 le « Grand Capodimonte ». Il remplace le Français Sylvain Bellenger qui avait mené à bien le vaste chantier de rénovation et de modernisation du musée napolitain. Eike Dieter Schmidt convoitait depuis plusieurs mois ce poste. Jouissant d’excellents rapports avec le ministre de la Culture, il vient d’obtenir la citoyenneté italienne. Un document indispensable pour satisfaire éventuellement son autre grande ambition à peine voilée : se lancer en politique. Les élections municipales ont lieu l’an prochain dans la capitale de la Toscane et la droite, à la recherche d’un nom prestigieux pour conquérir cette ville traditionnellement à gauche, souhaiterait le désigner comme son candidat. Le principal intéressé a annoncé y réfléchir et rendra sa décision en janvier.

Des dirigeants aux parcours singuliers

Florence réserve la grande surprise de cette première vague de nominations. Simone Verde quitte le complexe monumental de la Pilotta à Parme pour prendre la direction de la Galerie des Offices qui vient de battre le record de 5 millions de visiteurs cette année. Personne n’avait misé sur ce Romain de 48 ans, diplômé de l’École du Louvre et doctorant en anthropologie des biens culturels à l’EHESS à Paris, et qui a travaillé au Louvre Abu Dhabi. Il quitte Parme à l’issue d’un chantier de six ans pour un coût de plus de 22 millions d’euros qui a « révolutionné » ce musée à l’abandon lorsqu’il y est arrivé en 2017. L’inauguration de la « nouvelle Pilotta » en grande pompe cet automne avait impressionné Gennaro Sangiuliano. « S’il fallait la preuve de la nécessité de l’autonomie des musées, c’est sans aucun doute l’une des plus limpides et lumineuses », avait commenté le ministre de la Culture.

Ses autres choix sont bien moins commentés malgré des profils plus atypiques. Renata Cristina Mazzantini devient la directrice de la Galerie nationale d’art moderne et contemporain à Rome. Cette architecte de formation spécialisée dans la requalification énergétique était jusqu’à présent conseillère auprès de la présidence de la République. Elle prend la place de Cristiana Collu qui a profondément remanié le parcours d’exposition du musée. Le Britannique James Bradburne cède son fauteuil de directeur de la Pinacothèque de Brera à Milan à Angelo Crespi. Ce journaliste et critique d’art de 55 ans, proche du pouvoir en place, dirigeait le Musée Maga de Gallarate.

Concernant les nouveaux directeurs des musées de second rang, la décision finale incombait à Massimo Osanna, le directeur général des musées nationaux italiens. L’historien d’art Costantino D’Orazio dirigera la Galerie nationale d’Ombrie, son collègue Thomas Clement Salomon est placé à la tête de la Galerie nationale d’art antique de Rome Palazzo Barberini-Galleria Corsini. Juriste, muséologue et organisateur d’expositions, il s’est illustré comme responsable de nombreux projets pour la Galerie Borghese. L’avocate et biographe Alessandra Necci prend la direction des Galleries Estensi de Modène malgré une absence totale d’expérience professionnelle dans le secteur culturel ou muséal. En arrivant au pouvoir, Giorgia Meloni avait pourtant promis d’en finir avec l’« hégémonie culturelle de la gauche et avec le sentiment d’infériorité de la droite » pour « libérer la culture italienne d’un système dans lequel on ne pouvait travailler qu’en se déclarant d’un certain camp politique ». Tout changer pour que rien ne change…

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°624 du 5 janvier 2024, avec le titre suivant : L’Italie se sépare des directeurs étrangers de ses grands musées

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