ETATS-UNIS
Si l’État fédéral intervient traditionnellement peu dans la culture, les rares informations communiquées en la matière par le président élu ne sont pas sans soulever des interrogations.
WASHINGTON - Ce soir du 18 novembre, Broadway acclame une fois encore les comédiens d’ « Hamilton ». Au balcon, le fraîchement élu vice-président des États-Unis Mike Pence, venu avec sa fille, a apprécié la comédie musicale sur les pères fondateurs de l’Amérique et s’apprête à quitter le feutré Richard Rodgers Theater. C’est alors que le comédien Brandon Victor Dixon, de retour sur scène pour saluer le public en costume d’époque, prend le micro et l’interpelle, délivrant le message d’une « Amérique multiculturelle inquiète et anxieuse » de la future administration.
Élu dix jours plus tôt à l’issue d’une présidentielle particulièrement acrimonieuse, le futur président Donald Trump a réagi en fulminant, exigé des excuses. Il a dit avoir « entendu » que le spectacle était « largement surcoté ».
Certes, la comédie musicale couronnée de ses onze Tony Awards, de son Grammy Award et de son prix Pulitzer n’a pas tremblé, pas plus que ses ventes n’ont chuté. Mais qu’en aurait-il été pour une opérette de second rang devenue la cible du courroux présidentiel ? L’épisode, en tout cas, cristallise l’appréhension de la communauté culturelle et artistique américaine, à l’aune d’une présidence Trump, qui entrera en fonction le 20 janvier.
« Beaucoup d’inconnues »
La personnalité du milliardaire et ancien présentateur de télé-réalité, star durant quatorze saisons des émissions « The Apprentice » et « The Celebrity Apprentice », adepte des diatribes clivantes, tétanise un milieu idéologiquement aux antipodes du républicain et qui craint d’être muselé. « Il y a une inquiétude parmi la communauté artistique concernant de possibles coupes budgétaires [...], une montée de l’intolérance et de la haine envers la diversité et la liberté d’expression », résume Nina Ozlu Tunceli, directrice du puissant Americans for the Arts Action Fund, basé à Washington. L’organisation reconnaît toutefois qu’il existe, à ce stade, « beaucoup d’inconnues ». Quelle impulsion le futur président va-t-il donner à l’art ?
Dans ce pays qui ne s’est même pas doté d’un ministère de la Culture, le chef de l’État fédéral possède un pouvoir quasi nul sur la politique culturelle, dont l’administration est largement sous-traitée aux États et aux collectivités locales. Son financement dépend en majeure partie de la philanthropie et du secteur privé. Plusieurs agences fédérales sont toutefois chargées de piloter cette politique et leurs dirigeants sont tous directement nommés par le président.
La principale de ces agences, le National Endowment for the Arts (NEA, Fonds national pour les arts), est chargée d’aider les institutions culturelles et les artistes. Dans les faits, le NEA sert davantage de guichet qui permet aux différentes entités partenaires d’obtenir des financements privés et intervient ponctuellement sur des projets locaux. Doté de 148 millions de dollars (140 millions d’euros), il représente une goutte d’eau dans l’océan du financement de l’art aux États-Unis. À titre de comparaison, la seule Ville de Paris possède un budget culture de 376 millions d’euros.
Dans les prochaines semaines ou prochains mois, Donald Trump doit aussi nommer les directeurs du National Endowment for the Humanities (NEH), doté d’un budget sensiblement similaire, de l’Institute of Museum and Library Services, ainsi que de la commission présidentielle des arts et humanités, au sein de la Maison Blanche.
Le reste de la politique culturelle nationale transite par des commissions parlementaires ou des entités présentes dans divers ministères. Le renouvellement complet des fonctionnaires de l’exécutif, selon le système américain des « dépouilles » après chaque présidentielle, signera la nouvelle politique. Mais les nominations pourraient intervenir très tardivement, les priorités de Donald Trump concernant les fronts de l’emploi et de l’immigration.
Le NEA sur la sellette
Aussi marginale soit la participation fédérale, qui représente environ 1 % des financements culturels aux États-Unis, l’annonce du budget, qui interviendra quelques semaines après l’investiture, donnera toutefois une première tendance, reprend Nina Ozlu Tunceli. « Nous scruterons le projet de loi de crédit 2017 », explique-t-elle, car de nombreuses petites organisations « ne se remettraient pas d’une baisse dans les subventions fédérales ». D’autant que des observateurs craignent une coupe nette dans ces allocations, voire une suppression pure et simple des agences culturelles, le NEA en tête. Une volonté souvent affichée par les conservateurs – qui contrôlent les deux chambres du Congrès – depuis les années 1990 et reprise il y a trois ans par Paul Ryan, l’actuel homme fort du Parlement.
L’hypothèse est toutefois peu probable, tempère Frédéric Martel, qui a publié en 2006 De la culture en Amérique (éd. Gallimard), une plongée dans les méandres de ce système complexe. Pour cet ancien attaché culturel à l’ambassade de France à Boston, Donald Trump ne dispose, à l’instar de ses prédécesseurs, d’« aucun effet de levier sur aucune de ces institutions » et il faut « relativiser sa capacité de nuisance ». Il en veut pour preuve les deux mandats sans aucune mesure notable prise par Barack Obama, pourtant un ami de la culture. « Il n’y a pas de ministère de la Culture, mais finalement, il y a mieux que ça : des milliers de petits ministères de la Culture, des acteurs multiples », poursuit-il. En d’autres termes, le milieu artistique est à même de s’autoréguler pour s’émanciper du pouvoir politique. « C’est la vraie différence avec la France, où l’on considère qu’à partir du moment où l’État intervient financièrement, il a un droit de regard sur les nominations », que ce soit dans les musées ou les principales institutions culturelles. « Aux États-Unis, comme l’État n’intervient pas ou peu, personne ne lui accorde aucun droit, même de regard. »
Le futur locataire de la Maison Blanche ne semble pas demander autre chose. Dans sa seule et succincte évocation récente de la culture, il avait répondu début 2015 (!) au quotidien The Washington Post qu’il revenait au Congrès, « qui représente le peuple, de déterminer les priorités des dépenses » en la matière. « Donald Trump est incontrôlable, mais ce n’est pas une mauvaise chose, il suffit qu’il nomme un copain qui aime les artistes à la tête du NEA pour apaiser les craintes », glisse avec malice Frédéric Martel. « Je ne vois rien d’apocalyptique dans l’arrivée de Trump », relativisait pour sa part dans les colonnes du New York Times Rocco Landesman, ancien président du NEA.
Des défiscalisations réduites ?
En revanche, la politique budgétaire du nouvel élu inquiète, dans le petit milieu des grands donateurs. Le système américain, souligne Frédéric Martel, est fondé sur la défiscalisation des donations pour l’art. Et à cet égard, la réforme fiscale que prône le futur président s’apparente à un tour de vis sur ces niches. Selon une estimation du Tax Policy Center, Trump réduirait la possibilité de défiscalisation d’un taux compris entre 4,5 % à 9 %.
Cela ne représente toutefois pas la principale menace, prévient Philip Kennicott, critique d’art au Washington Post. « Ce que je crains le plus, c’est l’encouragement tacite fourni aux forces anti-artistiques à travers le pays », confie-t-il après avoir « pris le pouls d’une communauté démoralisée ». « Sous un gouvernement autoritaire, il y a le risque d’une sorte de censure artisanale ou d’intimidation au niveau local », estime ce critique respecté. Autrement dit, Donald Trump pourrait, par ses déclarations, encourager aux actes violents et à l’intimidation toute une frange de la population américaine, farouchement hostile à l’art.
Les goûts artistiques du futur pensionnaire de la résidence située au 1600 de la Pennsylvania Avenue restent d’ailleurs un mystère. Le magnat de l’immobilier s’amuse parfois à qualifier ses luxueux hôtels d’œuvres d’art. À quelques encablures de la Maison Blanche, il vient d’inaugurer son nouveau palace, dans les murs de l’ancienne grande poste de Washington. Avant de remettre à son goût le bâtiment historique, à la robinetterie désormais dorée, Donald Trump a dû en expulser d’encombrants locataires. Dont le NEA.
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L'art à l'épreuve de Donald Trump
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Abonnez-vous dès 1 €Donald Trump © Photo Gage Skidmore - 2016 - Licence CC BY-SA 2.0
Indecline, The Emperor has no balls, 2016. la sculpture réalisée par le collectif d’artistes anonymes montrant le candidat à la présidentielle américaine dans son plus simple appareil avait été postée sur Hollywood Boulevard à Los Angeles, lors de l'été 2016, avant dêtre vendue aux enchhères le 22 octobre par Julien's Auctions. © Julien’s Auctions.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°470 du 6 janvier 2017, avec le titre suivant : L'art à l'épreuve de Donald Trump