Pendant quatre ans, la fronde des artistes et des musées contre le 45e président des États-Unis a généré une contestation virulente. Retour sur un mandat à couteaux tirés.
C’est peu dire que les relations entretenues entre les artistes et Donald Trump ont été à couteaux tirés durant les quatre années de mandat du 45e président des États-Unis. Son élection le 8 novembre 2016 à la Maison-Blanche a ébranlé artistes et professionnels du monde de l’art et de la culture. Passé le choc, la contestation s’est organisée. D’abord sous la forme d’une pétition appelant, dès novembre 2016, musées, galeries, salles de concert et autres institutions à une grève de l’art le jour de son investiture, le 20 janvier suivant. Parmi les signataires, beaucoup d’artistes, dont certains noms célèbres tels Joan Jonas, Barbara Kruger, Richard Serra et Cindy Sherman. Les attaques contre Ivanka Trump et son mari, Jared Kushner, forment rapidement un autre front. Les posts de la fille aînée de Trump sur Instagram, la montrant devant des toiles de leur collection d’art contemporain, sont désormais critiqués.
« #DearIvanka : enlevez mes toiles de vos murs ! Je suis embarrassé de vous voir poser à côté de mes œuvres », lui twitte l’artiste Alex Da Corte.
La campagne « Dear Ivanka », lancée quelques mois auparavant par le collectif Halt Action Group a fait tache d’huile. Pour ce groupement d’artistes, curateurs, écrivains et psychanalystes new-yorkais, les posts d’Ivanka sont de la publicité pour ses vêtements ou accessoires de luxe. La prise de distance de Richard Prince à propos d’un portrait d’Ivanka Trump, issu d’une commande passée à l’artiste par un conseiller artistique pour le compte de la jeune femme à partir d’une photo qu’elle a diffusée sur le Net, est tout aussi sévère. La photo montre Ivanka en peignoir blanc, se prenant en selfie, assise devant un miroir en train de se faire coiffer. « Ce n’est pas mon travail. Je ne l’ai pas fait. Je le nie. Je dénonce. Ce faux art », twitte l’artiste qui rendra les 36 000 dollars reçus. Ivanka Trump et son mari, nommé conseiller à la Maison-Blanche, sont devenus infréquentables, comme Donald, le père de la jeune femme, ce président dont les premières décisions en matière d’immigration font réagir les artistes.
Mais c’est à un autre décret que le MoMA répond : l’interdiction pendant 90 jours faite aux citoyens iraniens, irakiens, libyens, somaliens, soudanais, syriens et yéménites, d’entrer aux États-Unis. Le puissant musée new-yorkais décide en effet de placer à côté de Picasso, Matisse, Cézanne et Monet, une sculpture de l’Iranien Parviz Tanavoli, une peinture du Soudanais Ibrahim el-Salahi et un dessin de l’architecte d’origine irakienne Zaha Hadid. « Ces œuvres sont installées pour affirmer les idéaux d’accueil et de liberté, essentiels pour ce musée comme pour les États-Unis. Elles sont réalisées par des artistes issus de nations dont les citoyens se voient refuser l’entrée aux États-Unis par les récents décrets présidentiels », explique le musée en introduction de la galerie. Un an plus tard, lorsque la Maison-Blanche voudra emprunter au Guggenheim lePaysage enneigé de Van Gogh, la conservatrice de l’institution, Nancy Spector, proposera à la place les toilettes en or massif conçues par Maurizio Cattelan, jugées plus proches des goûts clinquants du magnat de l’immobilier.Ce n’est pas la première fois, dans l’histoire des États-Unis, que les musées se positionnent contre des politiques gouvernementales. En 1969, un groupe d’artistes, de critiques et de personnalités du monde de l’art, rassemblés sous le nom de Art Workers’ Coalition, avait lancé un « Moratoire de l’art pour mettre fin à la guerre du Vietnam ». De grands musées étasuniens, au premier rang desquels le MoMA et le Whitney Museum, avaient ainsi fermé leurs portes. Il n’en demeure pas moins que le 45e président des États-Unis est certainement celui qui a suscité le plus de réactions de ces derniers. Il est vrai que sa décision, en 2018, de supprimer les budgets annuels alloués aux agences culturelles fédérales du pays dont le National Endowment for the Arts (NEA), principal soutien aux artistes et aux financements d’expositions, a ouvertement affiché le positionnement du nouvel homme fort de la Maison-Blanche vis-à-vis d’une scène artistique et culturelle qui ne l’aime pas et qui le lui a fait savoir. Retoquées par le Congrès, ces coupes budgétaires n’ont toutefois pas été effectives.
Les artistes n’aiment pas Donald Trump et celui-ci le leur a bien rendu. Le président élu ne leur a en effet remis que quatre National Medals of Arts durant son mandat, médaille considérée comme la plus prestigieuse distinction remise à un artiste par le gouvernement au nom du peuple des États-Unis. Quand le président Obama avait récompensé Jack Whitten, John Baldessari ou Ann Hamilton, Donald Trump a choisi de remercier ses soutiens durant la campagne électorale : l’acteur Jon Voight, la chanteuse Alison Krauss, la sénatrice Sharon Percy Rockefeller, ainsi que l’orchestre militaire national. La nomination de son ancienne conseillère politique Mary Anne Carter à la présidence de la NEA en remplacement de Jane Chu, nommée par Barack Obama, s’inscrit dans la même veine. L’Amérique cul-turelle et artistique de Trump est blanche et défend des valeurs où la rhétorique du beau se confond avec l’esthétisme des Antiquités romaine et grecque associé à des valeurs xénophobes dont la National Civic Art Society est l’un des porte-voix. Là encore, la nomination par Trump du président de la US Commission of Fine Arts, commission chargée de conseiller le gouvernement en matière d’esthétisme et de design, a marqué un mandat qui n’a jamais caché ses goûts.
Trump n’est pas un homme de culture ; comme Berlusconi, il est un homme de télévision et de spectacle, une marque dont les produits ont d’ailleurs été au cœur de l’exposition « The Game: All Things Trump » d’Andres Serrano, en 2019. Cravates Trump, coffret de steaks Trump, poupée Trump ou jeux de société Trump, l’artiste explore plus que le rapport entretenu par l’homme avec son ego. Il définit comment Trump a construit son image et peut incarner un rêve américain pour ses millions d’électeurs. Pour Andres Serrano, « Trump est finalement une sorte d’artiste. Un artiste-escroc ou un bullshit artist peut-être, mais un artiste quand même, qui a su construire son univers, se fabriquer. D’une certaine façon, il a fait campagne toute sa vie. Il voulait que son nom signifie quelque chose. Et il a réussi. »
Dans l’ouvrage collectif Art et contestation aux États-Unis (PUF), Violaine Roussel, professeur de sociologie à l’université Paris VIII, le rappelle : « Le candidat Donald Trump a défini son image et son identité politiques contre les conventions de la politique professionnelle traditionnelle : il s’est présenté comme celui qui n’a pas derrière lui une trajectoire de professionnel de la politique et qui peut donc “mieux représenter” les citoyens-électeurs lambda, précisément du fait de sa distance par rapport à cette élite politique fermée qui fait reposer la légitimité de sa parole et de son action sur la détention de compétences spécialisées. »
Dans les relations de Donald Trump avec les artistes, et inversement, deux périodes néanmoins se distinguent : celle, d’abord, du milliardaire, célébrité des médias et promoteur immobilier photographié par Andy Warhol et Andres Serrano (série America) ; celle, ensuite, d’un président en rupture totale avec le monde des arts et honni par ce dernier. Dès son investiture comme candidat républicain à la Maison-Blanche, caricatures et créations pamphlétaires se sont démultipliées. L’époque où l’on s’amusait de voir un Trump jouer son propre rôle de milliardaire dans Celebrity de Woody Allen ou dans Zoolander de Ben Stiller (film assassin sur l’univers de la mode) est terminée. Place à la contestation figurative. Le visage, ses expressions, sa mèche écrasée, la gestuelle et les manifestations langagières de Trump dominent les caricatures, les dessins, les peintures et les sculptures qui lui sont consacrés. On s’en empare allègrement : du street artist new-yorkais Hanksy, plaçant le visage de Trump au sommet d’un étron entouré de mouches, au collectif d’artistes anonymes californiens Indecline érigeant sur Hollywood Boulevard, entre autres lieux, un Trump nu avec la mention « L’empereur n’a pas de couilles ». « Peter Saul lui-même ne s’interdit rien quand il montre Trump s’auto-donnant des coups avec des gants de boxe au milieu de hamburgers ou quand il le transforme en Wonder Woman, ou encore quand il le réduit à un essaim de mèches blondes », souligne Annabelle Ténèze, directrice des Abattoirs à Toulouse, commissaire en 2019 de la première rétrospective en France du pionnier du Funk Art.
Les formes de l’activisme artistique anti-Trump ont trouvé aussi dans la création d’affiches un mode d’expression privilégié. Du premier texte légiférant l’immigration est née ainsi une série de neuf affiches signées par neuf artistes de renom dont les Américaines Julie Mehretu, Joan Jonas, Barbara Kruger, le Britannique Liam Gillick, la Coréenne Anicka Yi et le Libanais Walid Raad. Envoyées par courrier à trente grands musées américains dont le Guggenheim à New York, l’Art Institut of Chicago et le San Francisco Museum of Modern Art, ces affiches ont été largement relayées sur les comptes Internet de ces institutions.
« C’est fascinant de voir combien d’artistes et nombre de professionnels ont fait circuler le poème de Zoe Leonard I Want a President, note Annabelle Ténèze. Et de voir comment le sens de ce texte, écrit en 1992 pour soutenir la campagne présidentielle de l’écrivaine et universitaire Eileen Myles, figure majeure de la culture LGBT+ aux États-Unis, a été élargi à d’autres causes. » Sa reproduction en affiches sur les murs de grandes villes américaines l’a propulsé de fait bien au-delà de son contexte initial. Lors de l’exposition que lui consacra en 2018 la Galerie Hauser & Wirth, la photographe, artiste multimédia et activiste américaine Zoe Leonard n’a pas caché sa satisfaction : « Je suis intéressée par l’espace que ce texte nous ouvre pour imaginer et exprimer ce que nous voulons chez nos dirigeants, et même au-delà, ce que nous pouvons envisager pour l’avenir de notre société. Je continue de penser que la prise de parole est en soi un acte politique vital et puissant. » En 2020, l’appropriation du slogan « Enough of Trump » (« Assez de Trump ») par une quinzaine de grands noms de l’art contemporain, d’Ed Ruscha à Shepard Fairey, pour encourager les Américains à voter contre Donald Trump, s’est inscrite dans cette droite ligne.
Pour autant, cette contestation des arts visuels vis-à-vis du président Trump a-t-elle généré de nouvelles formes artistiques ? Trop tôt pour le dire bien que, du point de vue de la création cinématographique, Dork Zabunyan, professeur en études cinématographiques à l’université Paris VIII, souligne « l’absence de fictions ou de séries sur Trump, et encore moins de biopics. À la différence de ce qu’a pu produire le cinéma américain au temps de Kennedy ou de Nixon par exemple ou Nanni Moretti au temps de Berlusconi, Hollywood a jugé la personne de Trump inintéressante. Pourquoi donc s’y intéresser. À part pour s’en moquer. » Et l’auteur de Fictions de Trump (Éditions Le Point du Jour) de s’interroger sur les raisons pour lesquelles l’homme de spectacle n’a pas été l’objet de films. Sa défaite aux élections présidentielles de 2020 engagera-t-elle le cinéma comme les arts visuels à s’y atteler ou bien, au contraire, à tourner définitivement la page ?
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Trump, les arts visuels te détestent !
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°742 du 1 mars 2021, avec le titre suivant : Trump, les arts visuels te détestent !