Trump production

Parmi eux, certains s’entêtaient à détruire le matériel vidéo d’une agence de presse. En piétinant des caméras tout en se filmant, ils résumaient sans le savoir les quatre années de présidence qui s’achevaient. Cette scène stupéfiante aurait pu servir de préface à Fictions de Trump que publie à point nommé le centre d’art Le Point du jour. Dork Zabunyan y analyse la relation du président avec les images, de la télévision aux réseaux sociaux.

Au passage, l’ouvrage interroge le cinéma : pourquoi Trump n’a-t-il pas fait l’objet d’un film ? Surtout, pourquoi le cinéma n’a-t-il pas su opposer une résistance à sa politique ? Dans les années 1970, Hollywood avait répondu à la guerre du Vietnam et au Watergate par une décennie prodigieuse de films ancrés dans les turpitudes du pays. La présidence Trump aura pratiquement laissé le cinéma indifférent. Zabunyan rappelle que, par le passé, Trump a bien participé à quelques longs métrages. On le voit dans Maman, j’ai encore raté l’avion ! (Chris Columbus, 1992), Celebrity (Woody Allen, 1998), Zoolander (Ben Stiller, 2001) ou encore, dans un autre genre, au détour d’une VHS érotique soft de Playboy. Mais Trump n’y est jamais que lui-même : « Comment porter à l’écran un personnage public aussi composite, toujours au bord de la caricature, qui la surjoue même en l’exagérant, sans tomber dans la caricature ? » Dork Zabunyan cite le scénariste Aaron Sorkin. Selon ce dernier, auteur des portraits de Steve Jobs ( Steve Jobs, Danny Boyle, 2015) ou de Mark Zuckerberg (The Social Network, David Fincher, 2010), Donald Trump ne peut pas devenir un personnage de cinéma intéressant, car « il est exactement ce dont il a l’air ». Dénué de l’épaisseur ou du mystère d’un héros du grand écran, il va se construire à la façon d’un candidat de reality show. Son ascension signerait même la revanche de la télé bas de gamme sur l’arrogance d’un grand cinéma en déclin. Au lendemain du viol du Capitole, une énième vidéo jaillissait sur les réseaux sociaux. Quelques heures avant que la foule ne force les portes de la démocratie, Trump a réuni ses proches. Sous une tente, face à ses télés, il ressemble à un producteur sur le tournage d’un blockbuster. Ses partisans forment une foule de figurants anonymes au service de son scénario, et, dans la sono, en guise de générique de fin, Laura Branigan chante Gloria. Dans les urnes, Trump a perdu. Sur les écrans, il assiste ravi au happy end terrifiant de sa présidence. En attendant le prochain épisode.