Alors que les opérations militaires israéliennes s’intensifient à Gaza, les prises de position du monde culturel révèlent une profonde fracture.
Monde. Un musée doit-il se prononcer sur la guerre entre Israël et le Hamas ? Est-il responsable des opinions politiques des artistes qu’il expose ? Ces questions traversent le monde culturel depuis le 7 octobre, faisant apparaître des divisions sur fond de polémiques et déclarations publiques. La tribune « pro-Palestine » publiée le 19 octobre dans le magazine Artforum constitue à ce titre un cas d’école [lire le JdA no 620, 3 nov. 2023], avec des conséquences durables dans les milieux artistiques (pressions sur les artistes, annulations d’expositions…).
Ces débats ne sont pas circonscrits aux pays occidentaux. Ainsi dans les pays arabes plusieurs événements liés à la Palestine ont-ils été annulés ou décalés : les festivals cinématographiques du Caire (Égypte) et de Carthage (Tunisie) prévus en novembre ont été annulés « en solidarité avec les Palestiniens », selon les organisateurs. De même au Qatar où le festival du Film Institute de Doha prévu mi-novembre a été annulé avec l’accord de son conseiller artistique, le réalisateur palestinien Elia Suleiman. Les films palestiniens font aussi l’objet de décisions plus polémiques, comme aux États-Unis où le Boston Palestine Film Festival a remplacé dès le 12 octobre toutes les projections en salle par des diffusions en ligne. À Rochester (État de New York), le festival du film palestinien a annulé ses séances après les pressions d’une association juive locale qui y voyait un acte « anti-Israël » selon les médias.
C’est aux États-Unis que le conflit provoque des divisions flagrantes dans les milieux culturels, et les institutions n’ont visiblement pas toutes la même ligne directrice. Au Museo Del Barrio à New York, un lieu consacré à l’art des diasporas d’Amérique latine, une installation commandée pour célébrer le « jour des morts » a été retirée fin octobre, car les deux artistes ont ajouté un drapeau palestinien au dernier moment. Le musée a déclaré que l’ajout du drapeau pouvait mettre les visiteurs « mal à l’aise », mais, selon les artistes Odalys Burgoa et Roy Baizan, l’œuvre était « politique » dès sa conception.
Dans l’Ohio, le Wexner Center for the Arts, un lieu fondé par le philanthrope Leslie Wexner et affilié à l’université de Columbus, a subi des pressions pour annuler l’exposition de Jumana Manna, laquelle a publié sur les réseaux sociaux des messages de soutien au Hamas le 7 octobre. L’artiste, de nationalité palestinienne mais de citoyenneté israélienne, a précisé ne pas savoir au moment de la publication qu’il y avait des victimes, et estime être visée pour ses « positions antisionistes » (elle a signé la tribune dans Artforum). Leslie Wexner, qui ne cache pas ses positions pro-Israël, a pourtant maintenu l’exposition, mais il a choisi de reporter une rencontre avec l’artiste. Toujours aux États-Unis, en Pennsylvanie, le Frick Pittsburgh Museum a proposé de décaler une exposition sur les arts de l’Islam pour ne pas heurter la sensibilité du public, avant de faire marche arrière quand des associations juives et musulmanes de Pittsburgh ont dénoncé cette décision qui alimentait « une confusion entre les arts islamiques et le terrorisme ». Le musée concède avoir commis une erreur et s’engage à reprogrammer l’exposition.
Ailleurs dans le monde les musées font aussi face à des tensions. Au Canada, le Royal Ontario Museum (Toronto) a modifié une reproduction de l’œuvre de la Palestinienne Sameerah Hosam Ahmad sans son accord, et a remplacé sur les cartels le mot « Palestine » par celui de « Cisjordanie », dans le cadre d’une exposition sur la mort et le deuil : après un sit-in de dix-huit heures dans la salle, l’artiste a obtenu gain de cause. Pour se justifier, le musée évoque maladroitement des « sensibilités exacerbées » dans le contexte actuel et un échec des discussions avec l’artiste en amont.
Si les annulations ou reports concernent principalement des artistes palestiniens, les événements liés à la culture juive sont également touchés. En Australie, une exposition de manuscrits hébraïques à la State Library Victoria (Melbourne) ne bénéficie d’aucune publicité en raison du « contexte de montée de l’antisémitisme » dans le pays, selon les autorités locales. Trente-sept manuscrits très fragiles ont été prêtés par le British Museum (Londres) ce qui justifie cette mesure de sécurité selon la direction de la bibliothèque.
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La guerre Israël-Hamas divise le monde culturel
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°621 du 17 novembre 2023, avec le titre suivant : La guerre Israël-Hamas divise le monde culturel