Plusieurs artistes arabes interrogent le sens des images.
Metz (Moselle). Initialement prévue comme une exposition solo de Jumana Manna, artiste palestinienne américaine (née en 1987), « Pause » s’est transformée en exposition collective où figurent plusieurs artistes du monde arabe (mais pas Jumana Manna). Le 7 octobre 2023 et ses conséquences dans le monde de la culture en sont la raison selon la co-commissaire Sophie Potelon. Mais il ne s’agit pas d’une exposition sur le conflit entre Israël et le Hamas, dont aucune image n’est présentée : le conflit sert de matière à des analogies historiques et thématiques. Ainsi l’installation de Sven Augustijnen (né en 1970, Belgique), où de longues tables exposent des exemplaires de Paris Match des années 1960 et 1970. Les doubles pages montrent des reportages en Afrique et en Amérique du Sud, sans lien apparent : l’artiste a choisi les articles portant sur des conflits où un certain modèle de fusil d’assaut belge était utilisé, « dans une perspective postcoloniale », comme le souligne Sophie Potelon. Plusieurs artistes abordent en effet la critique des images avec cette perspective, même lorsque leur travail n’est pas ouvertement politique. Nidhal Chamekh (né en 1985 en Tunisie) utilise dans sa série « Et si Carthage ? » (voir ill.) des motifs de la cité tunisienne antique et des images d’archives coloniales pour scruter le discours orientaliste sur le monde arabe et au-delà. Un des dessins reprend des archives de la colonisation en Afrique (portraits d’esclaves, photographies de punitions infligées aux colonisés) notamment de la période coloniale italienne en Libye (1911-1947) : des Romains détruisant Carthage aux colonisateurs européens, l’artiste tire un même fil.
Lorsque la politique s’invite dans les œuvres, c’est en marge du conflit au Proche-Orient, comme dans les photographies de Rehaf Al-Batniji (née en 1990, Gaza) qui illustrent « la vie quotidienne à Gaza dans sa quasi-banalité », selon Sophie Potelon. Des boutiques délabrées, des charrettes de fruits et légumes, des jeunes gens désœuvrés : loin des images de guerre, la vie semble suspendue dans une temporalité alternative. Oraib Toukan (née en 1977, Palestine-Allemagne) s’interroge, elle aussi, sur les images de Gaza, mais en 2006 lors d’une précédente offensive israélienne : son film alterne images de raids nocturnes et images de vie quotidienne (un atelier d’encadrement où trônent des portraits de Yasser Arafat, des jardins) avec en off la voix de l’artiste Salman Nawati qui raconte sa vie pendant l’offensive de 2006. L’accumulation d’images dans les médias tend à effacer ces expériences personnelles qui sont ici remises en lumière. Plus politique, le film long format, Two meetings and a funeral de Naeem Mohaiemen (né en 1969, Bangladesh), explore les possibilités utopiques d’une alliance des pays non alignés dans les années 1970 et 1980, à base d’archives exceptionnelles et de réflexion sur le rôle des institutions internationales. Ce film inédit en France laisse une impression de mélancolie face aux échecs des utopies politiques du Sud global, alors que la force des images médiatiques largement diffusées aurait dû assurer leur succès. Le visiteur ressort finalement de l’exposition avec des interrogations sur le statut des images et leur pouvoir relatif à l’ère du tout-numérique.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°644 du 29 novembre 2024, avec le titre suivant : Proche Orient et poscolonialisme s’invitent au Frac Lorraine