Entrée au Centre Pompidou il y a un an, la collection exceptionnelle de Christian Bouqueret y dévoile les bouleversements et les témoignages de la photographie de l’entre-deux-guerres.
L’acquisition à l’automne dernier par le Centre Pompidou de la collection de photographies sur les années 1920-1950 de Christian Bouqueret dotait la collection du Musée national d’art moderne de plus de 7 000 tirages d’époque. Grâce au mécénat d’Yves Rocher, l’institution renforçait, élargissait et complétait ainsi son fonds de photographies déjà connu pour être un des plus beaux au monde, particulièrement sur la période surréaliste. Désormais, « la collection du Centre Pompidou constitue une des trois plus importantes au monde sur cette période de l’entre-deux-guerres », estimait Quentin Bajac, chef du Cabinet de la Photographie. De son côté, la collection Bouqueret, riche en ensembles monographiques et en chefs-d’œuvre, livrait la démarche d’un collectionneur qui se démarque des autres par son travail d’historien et de pionnier par ses recherches, collectes, écrits et expositions pour faire émerger dans les années 1980 des auteurs, des talents qu’institutions et spécialistes de l’art occultaient et négligeaient. Tels Laure Albin-Guillot, Germaine Krull, Florence Henri, Dora Maar, Roger Parry, André Steiner, Daniel Masclet, Emmanuel Sougez, François Kollar, René-Jacques, Maurice Tabard, Raoul Ubac, Jean Painlevé, Jean Moral, André Papillon…, qu’il fit sortir de l’oubli en révélant leurs œuvres aux côtés de celles de Man Ray, Kertész et Brassaï.
Talents majeurs et mineurs
Un an plus tard, l’exposition « Voici Paris » conçue par Quentin Bajac et Clément Chéroux au Centre Pompidou pour « célébrer l’entrée de la collection Bouqueret, dernier grand ensemble de photographie sur les années 1920-1950 », répertorie sur un de ses panneaux d’entrée leurs noms aux côtés de noms encore trop largement méconnus comme Pierre Adam, Pierre Dubreuil, Jean Roubier, Sasha Stone, Ergy Landau ou Marianne Breslauer. Talentueuse Marianne Breslauer, née à Berlin en 1909 et venue étudier auprès de Man Ray en 1929, dont le cliché La Rotonde, 1930 en affiche de l’exposition et du catalogue édité par le Centre Pompidou symbolise cette période par son sujet – La Rotonde café de Montparnasse lieu de rencontres des artistes –, son cadrage dynamique en contre-plongée et son auteur, femme émancipée, libre à l’instar de ses consœurs Dora Maar, Germaine Krull, Lee Miller ou Claude Cahun.
Car c’est un double portrait superposé que dressent Quentin Bajac et Clément Chéroux : celui d’une collection d’un homme visionnaire et celui d’une création photographique multiple, dense et cosmopolite qui eut pour cadre Paris. Un double portrait analytique particulièrement prégnant qui, en quelque 250 images et cinq sections thématiques correspondant aux grandes tendances de l’époque, permet de prendre non seulement la mesure de la richesse vertigineuse de cette collection et les visions audacieuses et originales des photographes qui la peuplent, mais aussi le pouls de la création photographique au cours de cette période de l’entre-deux-guerres, « l’une des plus flamboyantes du médium ». Comme le précise Clément Chéroux, « le cosmopolitisme de Paris, véritable pôle d’aimantation pour toutes les forces vives de la création mondiale, a largement déterminé l’esthétique foisonnant de la vision moderniste en France ». Et le conservateur pour la photographie au Centre Pompidou de souligner la difficulté de cerner la création photographique de cette période. Si « l’histoire de la modernité photographique aux États-Unis, en Allemagne ou dans l’ex-Union Soviétique peut s’identifier en quelques noms et images emblématiques d’auteurs américains, allemands ou russes, il n’en est pas de même en France et à Paris, où ne s’identifie aucun chef de file ni lieu fédérateur ni style emblématique », mais une série de cercles, de mouvements. Comme celui lié à la Nouvelle vision, au surréalisme ou à la photographie de presse ou encore au collectif Le Rectangle – association de photographes français constituée dans les années 1930 autour de Daniel Masclet, d’Emmanuel Sougez et « du rejet de certaines audaces picturales, considérées comme des apports étrangers et contraires à la tradition française » –, non sans que n’existent entre ces mouvements des porosités comme le montre l’exposition.
De la Nouvelle vision au surréalisme, de la presse illustrée à la publicité qui participèrent aussi à l’éclosion de ces expressions, aux documents de la vie sociale et visions nocturnes de la capitale, du « retour à l’ordre » également que vécut Paris durant cette même période et « qui vit certains photographes se réapproprier le nu, le portrait, la nature morte et l’antique », ce foisonnement éclairé de chefs-d’œuvre connus aussi bien que de pépites méconnues est prégnant, comme la série étonnante de portraits de Daniel Masclet sur sa femme. Fin octobre, une salle dans les collections permanentes du musée exposera d’ailleurs d’autres clichés de cet auteur qui pratiqua tous les genres de la photographie et dont la collection du Centre Pompidou possède désormais plus de deux cents clichés contre quinze auparavant !
Jusqu’au 14 janvier 2013, au Centre Pompidou, place Georges Pompidou, 75004 Paris, www.centrepompidou.fr/, tlj sauf le mardi 11h-21h. Catalogue, Éditions du Centre Pompidou, 49,90 €
Voir la fiche de l'exposition : Voici Paris - Modernités photographiques 1920-1950
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À la conquête de la modernité
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°378 du 2 novembre 2012, avec le titre suivant : À la conquête de la modernité