Le Jeu de paume braque ses projecteurs sur la photographie cinématique du Mexicain Á?lvarez Bravo et déroule le film de ses images.
Matelas roulé et ficelé, puis nœud de tronc d’arbre aux allures de sculpture, suivi de vagues de papiers découpés, agencées et photographiées en 1928, annonciateurs des lignes et des volumes imaginés quelques décennies plus tard par Frank O. Gehry pour le Musée Guggenheim à Bilbao… En quelques images inédites, réalisées entre 1927 et 1932, et placées en préambule de leur exposition, Laura Gonzáles Flores et Gerardo Mosquera posent les ambitions de leur propos : explorer, analyser dès les premiers clichés « la complexe machine imaginaire » de Manuel Álvarez Bravo (1902-2002) en abordant et révélant les facettes et les images jusque-là méconnues ou négligées de son travail. « Sortir en conséquence la production de cette figure tutélaire de la photographie moderne de la simplification interprétative – la photographie d’Álvarez Bravo en tant que métaphore d’un Mexique magique, surréaliste et prémoderne – ainsi que de la mythification de la personne – don Manuel, père de la photographie mexicaine », précise Laura Gonzáles Flores, professeure à l’Institut pour la recherche esthétique de l’Université nationale autonome de Mexico.
Loin des regards traditionnels portés sur l’auteur et sur l’œuvre qui s’étend sur quasiment tout le XXe siècle, les commissaires entraînent le visiteur dans une mémorable traversée de l’œuvre d’Álvarez Bravo. Une analyse à plusieurs niveaux interdépendants rendus lisibles par la multitude d’archives consultées et découvertes, et le soutien de la famille d’Álvarez Bravo, incorporant tout au long du parcours aussi bien négatifs, épreuves, polaroïds et tirages jamais exposés qu’extraits de films expérimentaux en 8 mm et super-8, carnet de notes, programmes de travail, correspondances et ouvrages de sa bibliothèque.
Des photos inédites
Manuel Álvarez Bravo, influencé par les films de Buñuel et les montages d’Eisenstein voulait faire du cinéma comme plusieurs autres photographes de sa génération. Il s’y est d’ailleurs essayé à plusieurs titres, que ce soit en tant qu’enseignant, critique, photographe de plateau qu’il fut, aiguillé en permanence par les mêmes recherches que celles poursuivies en photographie , « mais là, en gardant ces travaux pour lui ».
Des travaux gardés secrets qui projettent donc pour la première fois leurs images, leurs séquences non sans susciter intérêt, curiosité et émotion par les connexions visuelles évidentes qui s’établissent spontanément avec les photographies qui les encadrent. Développement des mêmes thèmes et motifs iconographiques que ce soit en noir et blanc ou en couleur ; cadrage et recherche visuelle également identiques. Au fil des salles et des thèmes, devient manifeste l’hypothèse émise par les deux commissaires selon laquelle « la créativité d’Álvarez Bravo ne s’est exprimée que partiellement dans la photographie » se déplie. « Par-delà sa photographie, nous devinions chez Álvarez Bravo un créateur protéiforme dont le travail était centré sur un questionnement profond et urgent : la relation entre art, langage et image », écrit Laura Gonzáles Flores dans l’ouvrage coédité par le Jeu de paume, la Fundación MAPFRE – coorganisateur de l’exposition – et les éditions Hazan. Et les deux commissaires de le démonter, là encore, pour mieux l’établir tout au long du parcours en adoptant d’autres points de vue sur la construction de l’œuvre, mais aussi sur ses icônes comme celles de l’Ouvrier en grève, assassiné ou La Bonne renommée endormie, placées en regard de clichés relevant de photographies de plateau ou de visions intimes du corps qui ne se livre chez lui jamais entièrement.
L’autodidacte que fut Álvarez Bravo – aiguillé jusqu’à sa mort autant par la curiosité, l’appétence pour la musique, la littérature, la peinture et le cinéma que par l’expérimentation et les influences (Hugo Brehme, Picasso, Eisenstein, Atget) – cherche à déchaîner les sens et à faire de l’image un vaste espace mental qu’il appartient à chacun de ressentir et d’investir.
Des premières photos aux dernières appelant à un retour à l’objet et à son abstraction, et aux murs qui parlent, le désenfermement du mythe opère et la « rhétorique visuelle caractérisée par la transformation continuelle dans laquelle les objets fonctionnent comme des signes, les reflets comme des choses, les mots comme des images » construit un univers silencieux et poétique.
Jusqu’au 20 janvier 2013, Jeu de paume, 1, place de la Concorde, 75008 Paris, www.jeudepaume.org. Tlj sauf lundi 11h-19h, et le mardi 11h-21h. Catalogue Manuel Á?lvarez Bravo, coédition Jeu de paume, Fundación MAPFRE, TP editores. Hazan. 45 €
Voir la fiche de l'exposition : Manuel Á?lvarez Bravo
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Álvarez Bravo fait son cinéma
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°378 du 2 novembre 2012, avec le titre suivant : Á?lvarez Bravo fait son cinéma