BERLIN (ALLEMAGNE) [12.06.14] - Sept mois après sa création, la taskforce chargée d’enquêter sur la provenance de la collection Gurlitt a émis sa première recommandation de restitution. Provoquant, l’exaspération de Christopher Marinello, l’avocat des héritiers Rosenberg.
La taskforce mise en place par le gouvernement fédéral allemand, afin de faire la lumière sur la provenance des œuvres d’art de la collection Gurlitt, a adressé le 11 juin 2014 une première recommandation de restitution, d’une œuvre de Matisse, Femme assise, aux héritiers Rosenberg.
Malgré des recherches intensives en Allemagne, en France, et aux Etats-Unis, la taskforce n’a pu déterminer dans quelles circonstances l’œuvre de Matisse est parvenue entre les mains d’Hildebrand Gurlitt, le père de Cornelius. Elle préconise toutefois de restituer le Matisse aux héritiers de Paul Rosenberg, parmi lesquels figure Anne Sinclair, sa petite-fille. « Cette conclusion prend en compte le fait qu’après 70 ans, il n’est pas possible de répondre à toutes les questions avec certitude », a déclaré Ingeborg Berggreen – Merkel, directrice de la taskforce. Cette recommandation sera soumise au tribunal de Munich en charge des successions, mais ce sera en dernier ressort aux héritiers de Gurlitt de prendre la décision finale de restitution. Ceux-ci seraient toutefois liés par l’accord passé avec Cornelius Gurlitt prévoyant de respecter la déclaration de Washington de 1998, selon la taskforce.
Loin de se réjouir de cette recommandation, Christopher Marinello, l’avocat représentant les héritiers Rosenberg, fondateur d’Art Recovery International, n’a pas caché son exaspération envers la taskforce : « Cette décision ne nous a pas étonnés, étant donné la solidité de la documentation que nous avons fournie à la taskforce il y a plus de sept mois », a-t-il déclaré. « Nous voudrions toutefois exprimer notre déception quant à la décision de la taskforce de révéler cette information par voie de presse avant même d’en informer les héritiers. C’est le comble de l’indélicatesse. […] Il s’agit d’un cas regrettable mais prévisible du triomphe de la bureaucratie sur l’empathie », ajoute-t-il.
Christopher Marinello a de quoi être exaspéré : « Nous étions au cours de négociation d’un accord de restitution, mais celui-ci n’a pu être signé avant le décès de Monsieur Gurlitt. » Un premier accord avait été trouvé entre les héritiers Rosenberg, Cornelius Gurlitt, et son avocat Hannes Hartung. Cet avocat a été licencié. Un nouvel avocat a ensuite été nommé. Alors que le nouvel avocat examinait les documents, et que Cornelius Gurlitt avait annoncé dans la presse une restitution imminente du Matisse, la taskforce du gouvernement a bloqué le processus en affirmant qu’une autre demande de restitution avait été déposée pour le même tableau. La taskforce avait reçu cette autre demande plusieurs mois auparavant, mais n’en avait informé ni Cornelius Gurlitt ni les héritiers Rosenberg. Il s’est avéré que cette demande était infondée. « Tous ces contretemps ont contribué à la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement. Nous attendons de savoir qui seront les nouveaux bénéficiaires de la succession, qui aura l’autorité de se conformer à l’accord de restituer inconditionnellement le tableau à la famille Rosenberg », conclut Christopher Marinello. Les héritiers Rosenberg n’ont déposé à ce jour qu’une demande de restitution pour le Matisse, mais s’interrogent sur les œuvres retrouvées à Salzbourg, dont la liste n’a pas été rendue publique. « Nous aimerions obtenir une liste de ces œuvres pour la comparer à notre base de données Looted Artworks [biens spoliés]» déclare Christopher Marinello.
Les héritiers Rosenberg ne devraient pas être les seuls à être exaspérés. Conformément à un accord signé entre feu Cornelius Gurlitt, le gouvernement allemand et la Bavière, la taskforce dispose d’un délai d’un an à partir d’avril 2014 pour déterminer la provenance de près de 500 œuvres potentiellement spoliées par les nazis. Alors que le cas du tableau de Matisse de Paul Rosenberg était extrêmement bien documenté, comme le reconnaît la taskforce, la lenteur de cette prise de décision ne laisse rien présager de bon pour une résolution rapide des demandes de restitution, notamment pour les cas plus complexes où la documentation a disparu.
A ces retards bureaucratiques s’ajoutent les incertitudes quant à la succession Gurlitt. Le Musée des beaux-arts de Berne, désigné légataire universel des biens de Cornelius Gurlitt, prendra la décision d’accepter ou non l’héritage au plus tôt début juillet. Une réunion du conseil de la fondation du musée le 26 mai dernier n’avait pu aboutir à une décision. Le musée n’avait pas encore eu accès à la liste des œuvres de la collection. Il dispose d’un délai de six mois à partir de la réception du testament pour se prononcer sur l’héritage. Plusieurs parents éloignés de Cornelius Gurlitt ont salué la décision de léguer ces biens au musée de Bern. Seul un petit-neveu, Ekkehart Gurlitt, basé à Barcelone, a affirmé envisager de contester le testament. Il critique le legs de la collection à l’étranger et a affirmé dans la presse allemande que, si une partie des œuvres lui revenait, il les confierait en dépôt à un musée de Bavière. L’affaire Gurlitt n’est pas encore arrivée à son terme.
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Affaire Gurlitt : la taskforce gouvernementale recommande la restitution du Matisse à Anne Sinclair et aux héritiers Rosenberg
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Abonnez-vous dès 1 €Henri Matisse - Femme assise - photo Staatsanwaltschaft Augsburg (Procureur d'Augsburg)