Restitutions

Accord entre Gurlitt et le gouvernement allemand : fin du flou juridique

Par Isabelle Spicer (Correspondante à Berlin) · lejournaldesarts.fr

Le 8 avril 2014 - 787 mots

BERLIN / ALLEMAGNE

L’accord prévoit de dissocier la procédure de fraude fiscale contre Gurlitt et l’examen de la provenance des œuvres de sa collection. En ce qui concerne les restitutions de biens spoliés, Gurlitt se soumettra de son plein gré aux principes de la Déclaration de Washington, qui ne s’applique habituellement qu’aux collections publiques.

L’accord conclu le 7 avril, entre Cornelius Gurlitt – représenté par son tuteur légal Christoph Edel -, le Land de Bavière et le gouvernement allemand, met fin à l’imbroglio juridique qui entourait le trésor de Munich. Il sépare clairement les poursuites juridiques pour fraude fiscale et recel à l’encontre de Cornelius Gurlitt par le Land de Bavière d’une part, et la recherche sur la provenance de biens potentiellement spoliés par les nazis dans sa collection d’autre part.

Suite au comportement suspicieux de Cornelius Gurlitt à la frontière entre l’Allemagne et la Suisse en 2010, le parquet d’Augsbourg avait ouvert une enquête et saisi 1 406 objets à son domicile en février 2012. Les seules charges pesant contre Gurlitt jusqu’à ce jour sont celles de fraude fiscale et de recel. Lorsque l’affaire avait été révélée au grand public en novembre 2013, de nombreux experts s’étaient accordés pour déclarer que la saisie effectuée par le parquet d’Augsbourg n’était pas légitime : dans des cas de fraude fiscale similaires, les saisies se font par échantillonnage et en tout état de cause ne durent pas aussi longtemps.

Le gouvernement fédéral avait mis en place dès novembre 2013 une task force pour examiner la provenance des œuvres de la collection Gurlitt, mais les tableaux saisis se trouvent toujours sous la responsabilité du parquet d’Augsbourg en Bavière. Le ministre de la Justice du Land de Bavière, Winfried Bausback, avait exclu toute possibilité d’amnistie de la charge de fraude fiscale en échange de restitutions d’œuvres par Gurlitt. La situation s’était encore compliquée lorsque Cornelius Gurlitt et les héritiers Rosenberg s’étaient mis d’accord sur une restitution : le parquet d’Augsbourg avait dans un premier temps déclaré vouloir examiner l’accord avant de rendre l’œuvre en question le 27 mars dernier. Mais dès le 28 mars, le parquet avait finalement changé d’avis et déclaré accepter la restitution.

L’accord du 7 avril amène donc une clarté salutaire dans ce cas très complexe, qui concerne une personne privée, l’Etat fédéral allemand et le Land de Bavière. La ministre fédérale de la Culture allemande, Monika Grütters, souligne sa portée historique : c’est en effet la première fois qu’un accord de restitution est conclu avec une personne privée. Nul doute que les différents acteurs ont joué contre la montre pour signer cet accord, étant donné que la mise sous tutelle provisoire de Cornelius Gurlitt ne peut durer plus de six mois. Elle s’achèvera ainsi le mois prochain, ou bien deviendra définitive à cette date. Le tuteur légal de Gurlitt, Christoph Edel a par ailleurs précisé que l’accord devra être préalablement soumis au juge des tutelles.

L’accord prévoit donc la fin de la saisie des œuvres du trésor de Munich, à la condition expresse que Gurlitt accepte que la task force poursuive les recherches sur la provenance des œuvres, et se soumette aux principes de la Déclaration de Washington de 1998 pour restituer d’éventuels biens spoliés par les nazis. Cette déclaration ne s’applique qu’aux collections publiques, c’est donc de son plein gré que Cornelius Gurlitt acceptera de s’y soumettre. Les œuvres seront placées sous la responsabilité de la task force Lostart pour une durée d’un an. Les frais de recherche sur la provenance et la conservation des œuvres seront pris conjointement en charge par le gouvernement fédéral et le Land de Bavière. La période d’un an pourra être prolongée pour les œuvres qui feront l’objet de demande de restitution. Par ailleurs, Cornelius Gurlitt pourra nommer un expert qui représentera ses intérêts dans la task force. Il obtient également un droit de visite de ses œuvres. Lors de la seule interview qu’il avait accordée à la presse, il avait déclaré que la perte de ses œuvres avait été plus douloureuse que le décès de son père ou de sa sœur. Par ailleurs, les œuvres appartenant légitimement à Cornelius Gurlitt, telles que celles peintes par son grand-père, celles obtenues après 1945 et celles dont la provenance est éclaircie, lui seront restitués très prochainement. Ces œuvres seront également effacées du site www.lostart.de.

Avec cet accord, « nous lançons un signal fort à l’étranger, nous ne pouvons laisser perdurer l’injustice nazie 70 ans après la fin de la guerre », a déclaré la ministre de la Culture fédérale, Monika Grütters. Elle a également déclaré que l’expérience de la gestion de l’affaire Gurlitt serait utile à la création d’un Centre national des biens spoliés, nouveau projet que la ministre souhaite mettre en œuvre au plus vite.

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Monika Grütters, ministre de la Culture allemande depuis décembre 2013 - © Photo : Bundestagsbüro Monika Grütters MdB - 2006 - Licence CC BY 2.0

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