PARIS
PARIS [10.03.17] - Le 9 mars 2017, le TGI de Paris a retenu la contrefaçon de la photographie Enfants de Jean-François Bauret en raison de la reproduction de l’œuvre Naked de Koons dans l’ouvrage qui accompagnait sa rétrospective et édité par le Centre Pompidou.
L’art de l’appropriation interroge la frontière juridique entre inspiration autorisée et inspiration contrefaisante. Le passage d’un genre à un autre, ainsi que la transformation partielle de l’œuvre dont l’artiste s’inspire ne peuvent suffire à écarter la contrefaçon, quand bien même l’œuvre nouvelle serait porteuse d’un message artistique autonome. En ce sens, Naked (1988) de Jeff Koons, sculpture en porcelaine de plus d’un mètre de haut, constitue une contrefaçon de la photographie Enfants de Bauret (1975), selon le tribunal de grande instance de Paris.
Ce dernier a condamné la société Jeff Koons LLC, dont l’artiste est le gérant, et le Centre Pompidou à verser 20 000 euros aux ayants droit du photographe en réparation de l’atteinte aux droits patrimoniaux et au droit moral attachés à l’œuvre première. Jeff Koons LLC est également condamnée à 4 000 euros en raison de la reproduction de l’œuvre contrefaisante sur son site Internet.
Les montants retenus au titre de la contrefaçon peuvent étonner, au regard notamment des prix record atteints par les différents exemplaires de Naked. Un de ces quatre exemplaires a ainsi été vendu pour 9 millions de dollars. Cependant, ce n’est nullement l’œuvre, en tant que telle, qui a été l’objet de la condamnation, mais sa seule reproduction au sein du catalogue de l’exposition. La sculpture n’ayant jamais été présentée sur le territoire français, les différents exemplaires créés échappaient nécessairement à la compétence judiciaire française. Quant à l’absence de condamnation prononcée à l’encontre de Jeff Koons, en tant que personne physique, celle-ci s’explique par son seul rôle de superviseur de l’exposition en sa qualité de gérant de la société Jeff Koons LLC, chargée de la promotion de ses œuvres.
Une œuvre composite
Après avoir retenu l’originalité de l’œuvre du photographe français décédé en 2014 – ses choix artistiques portant l’empreinte de sa personnalité tant au niveau du sujet, de la mise en scène, du cadrage et de l’atmosphère recherchée -, le tribunal devait rechercher l’éventuelle reprise des éléments caractéristiques de celle-ci au sein de l’œuvre du plasticien américain. Or, les différences ne « conjurent pas les ressemblances pour exclure la contrefaçon de l’œuvre dès lors qu’elles n’empêchent pas de reconnaître et d’identifier les modèles et la pose choisis par le photographe qui sont des éléments essentiels protégés de la photographie. » À titre d’illustration, le tribunal retient que « le visage de la petite fille est, comme sur la photographie, en partie dissimulé par ses cheveux ; la sculpture reprend l’orientation des regards, les sourires dont l’un à demi dissimulé, les coiffures des enfants dont la coupe au bol du garçon, les cheveux mi- longs et la frange de la fille. » Adaptation personnelle de la photographie par l’artiste américain, qui a selon le tribunal délibérément incorporé dans son œuvre nouvelle les composantes de la photographie, Naked constituait ainsi une œuvre composite qui ne pouvait se faire qu’avec l’accord de l’auteur de l’œuvre préexistante. À défaut d’accord, la contrefaçon est caractérisée.
Contrefaçon et liberté d’expression
Mais la reconnaissance de la contrefaçon n’emporte pas nécessairement condamnation, dès lors qu’est retenue une exception à la protection accordée par le droit d’auteur. Si le tribunal a rejeté en quelques lignes le bénéfice de l’exception légale de parodie, son attention s’est davantage portée sur la mise en balance du droit d’auteur face à la liberté d’expression, et de création, dont sont investis les artistes. Cette mise en balance des deux droits fondamentaux est désormais régulièrement soulevée en justice depuis le fameux arrêt de la Cour de cassation du 15 mai 2015, concernant des œuvres de Peter Klasen et dont la décision de renvoi est attendue. L’analyse développée ici par le tribunal ne condamne pas un tel argument, mais le conditionne très fortement. Son rejet, comme en l’espèce, devrait régulièrement intervenir.
Le tribunal rappelle donc que « la propriété intellectuelle et la liberté d’expression sont aujourd’hui considérées comme deux droits fondamentaux d’une égale éminence essentiels tant pour l’individu que pour la société dans son ensemble. » Il incombe au juge d’examiner si la protection par le droit d’auteur constitue une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression de l’artiste. Dans la présente affaire, le tribunal retient que « la reprise n’a pas été dictée par des considérations d’intérêt général mais personnelles, permettant à l’artiste de se servir des modèles de la photographie en faisant l’économie d’un travail créatif ce qui ne pouvait se faire sans l’autorisation de l’auteur dont le nom et le copyright figuraient sur la carte postale. » Dès lors, « à défaut de justifier de la nécessité de recourir à cette représentation d’un couple d’enfants pour son discours artistique sans autorisation de l’auteur, la mise en œuvre du droit d’auteur ne constitue pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression. » Il aurait ainsi fallu expliquer la nécessité de reprendre l’œuvre préexistante en vue de la détourner de son sens pour offrir un nouveau message au public. Le tribunal retient donc que la balance ne peut peser en faveur de la liberté d’expression que dans une hypothèse déterminée : à condition que « la connaissance par le public de l’œuvre [soit] déterminante de l’effet produit sur les spectateurs » pour provoquer leur réflexion. En d’autres termes, le bénéfice de la liberté d’expression ne semblerait porter que sur la reprise d’œuvres connues de tous. Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront contrefaits ou non.
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Contrefaçon retenue contre le studio de Jeff Koons et le Centre Pompidou
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