PARIS
Surplombant la butte Bergeyre à Paris, la villa moderniste devrait être démontée puis reconstruite selon le dessin originel par son propriétaire, Jean-Paul Goude. Tout autre est le choix des défenseurs du patrimoine du XXe siècle, qui plaident en faveur de la préservation de l’édifice.
Paris. C’est une « folie » qu’il s’est offerte. Depuis son retour à Paris dans les années 1980, Jean-Paul Goude louche sur la villa Zilveli, voisine de sa maison-studio perchée sur la butte Bergeyre, dans le 19e arrondissement. Ce grand rectangle élégant se découpe sur le ciel parisien, posé sur deux pilotis qui l’ancrent dans le sol meuble de la butte, et ouvre deux picture windows spectaculaires sur Montmartre et la tour Eiffel. Après plusieurs tentatives infructueuses, l’illustrateur de mode acquiert la villa moderniste des années 1930 en juin 2019. Dans un premier temps, il s’agit de restaurer le rectangle de béton, dans un état sanitaire préoccupant et frappé d’un arrêté de péril par la Préfecture de police. Mais deux ans plus tard, Jean-Paul Goude déclare forfait : la maison se révèle être une ruine impossible à restaurer. Seule solution, explique-t-il alors, détruire puis reconstruire la maison.
De Paris à New York, le sort de cette demeure ne laisse pas les spécialistes du patrimoine architectural indifférents. Tim Benton, professeur à l’Open University (Royaume-Uni) et spécialiste du modernisme français, prend la plume pour défendre auprès de la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, la cause d’un « chef-d’œuvre du modernisme qui reste le seul exemple de modernisme radical dans Paris intra-muros, à l’exception de la maison La Roche de Le Corbusier et de la maison de Tristan Tzara par Adolf Loos ». La section britannique de Docomomo, l’association pour la préservation du patrimoine du XXe siècle, s’élève également contre la solution radicale prônée : « Il y a de nombreux exemples […] où des édifices apparemment délabrés de manière irréversible ont pu revenir avec succès à un état fonctionnel. » La Française Claudia Devaux, architecte du patrimoine spécialisée en restauration des édifices en béton, invoque aussi, pour donner un sursis à la villa Zilveli, les progrès techniques récents dans la préservation du patrimoine moderne.
Résidant dans le voisinage de la villa, Peter Wyeth, un cinéaste britannique, s’en fait l’avocat. Amateur d’architecture, il s’est même lancé dans une étude inédite sur l’architecte de la villa Zilveli, un certain Jean Welz (1900-1975). Aujourd’hui oublié, l’architecte viennois a émigré à la fin des années 1930 en Afrique du Sud où il a poursuivi une carrière de peintre. Mais auparavant, assure Peter Wyeth, c’était une figure importante du Mouvement moderne français, très intégrée aux réseaux de Le Corbusier et de Raymond Fischer. « Jean Welz ne copie rien, c’est un vrai artiste, très sérieux », s’enthousiasme le cinéaste. Ses recherches sur Welz l’amènent à considérer la villa Zilveli comme un vrai contre-pied aux idées de Le Corbusier et une continuation des principes d’Adolf Loos. La villa de la butte Bergeyre serait alors l’expression du « Raumplan » de Loos, un jeu subtil entre les différents niveaux où chaque pièce se trouve à une hauteur appropriée.
Thomas Billard, l’architecte de Jean-Paul Goude, ne partage qu’à moitié cette admiration : « L’architecture, c’est la structure, la fonction et l’esthétique, rappelle-t-il. Là il y a un très beau dessin, audacieux. Mais la structure, c’est terrible ! » Son agence travaille depuis 2017 sur la maison, lorsque l’illustrateur star essaie une première fois de l’acquérir, sans succès. Pour documenter l’édifice, l’architecte retrouve les documents et plans originaux de la villa. Il découvre alors que l’exécution à partir du dessin originel de Jean Welz laisse à désirer : « Sur les murs, il manque la moitié des fers par rapport aux plans d’exécution » ,indique-t-il. Construite à l’économie, la maison n’a pas été entretenue par les héritiers Zilveli, qui ont longtemps repoussé la vente de leur bien, aggravant ainsi son état sanitaire.« En 2016-2017, on pouvait restaurer la maison, se souvient l’architecte. Elle était abîmée, mais pas comme aujourd’hui où elle se disloque complètement. » Les bétons des deux minces pilotis (25 cm de large !) sont désormais éclatés de haut en bas, laissant à nu les fers rouillés. Dans le sol de la butte, constitué de remblais meubles, les fondations en semelle sur lesquelles reposent ces fragiles poteaux s’enfoncent, faisant dangereusement tanguer le plancher de la villa. Au premier arrêté de péril de 2006, s’en est ajouté un second en 2019.
« C’est une cabane ! »,résume Jean-Paul Goude, qui a dépensé plus de 2 millions d’euros pour acheter la villa. « Je veux faire avec cette villa ce que j’ai fait dans la réclame : la sublimer », explique-t-il.« On s’est dit : il y a une œuvre, un dessin, poursuit Thomas Billard, et, un peu comme font les Asiatiques, on la dissocie de l’ouvrage que l’on peut changer, refaire. Ce qui compte, c’est l’œuvre dessinée. » Le permis de construire déposé par Jean-Paul Goude reprend ainsi les volumes exacts et le dessin originel de la villa, à deux détails près. L’un, invisible : la nouvelle villa sera posée sur une « boîte à chaussures », une cave hermétique qui agrandit la villa d’une surface où les archives Goude seront stockées. L’autre, plus visible, consiste en l’abandon d’un balcon en bois spectaculaire, reposant sur un support de 6 cm de large, situé à l’extrémité de la villa. « Trop dangereux »pour l’architecte. Mais pour Peter Wyeth, c’est « l’élément du dessin le plus important : le prolongement de la promenade architecturale ».
Garder l’ouvrage ou seulement son dessin ? « Rien ne dit que ce n’est pas restaurable, affirme-t-on du côté de la Commission du Vieux Paris, c’est une question de moyens et de volonté. » Carol Herselle Krinsky, professeure d’histoire de l’architecture du XXe siècle à l’Université de New York, implore la ministre de la Culture d’accorder un délai d’un an« pour que des spécialistes reconnus et expérimentés dans la conservation de l’architecture moderniste conçoivent un remède au délabrement actuel ». De son côté, Thomas Billard affirme avoir déjà fait le nécessaire : « On reçoit plein de courriers nous demandant de consulter des ingénieurs. Mais on a déjà consulté plein d’ingénieurs ! » La seule solution serait la destruction ; ou plutôt la déconstruction, tranche par tranche, qui devra documenter le bâtiment, comme l’architecte s’y est engagé auprès des services patrimoniaux de la Ville de Paris.« Ça va durer deux mois, et ce sera fastidieux, explique-t-il. Cela permettra de comparer la maison aux plans d’exécution. »
Étant qualifiée, dans le plan local d’urbanisme de Paris, de simple « maison en béton armée représentative du Mouvement moderne », la villa ne fait l’objet d’aucune protection au titre des monuments historiques, bien que la question ait été soulevée dans les années 1990. Rien n’oblige alors Jean-Paul Goude à restituer le bâtiment à l’identique et à documenter le bâti originel de la villa, comme le rappelle Laurent Roturier, directeur régional des Affaires cuturelles d’Île-de-France : « D’un point de vue juridique, il s’agit d’un permis de construire classique. » La Drac a entendu les inquiétudes des défenseurs du patrimoine et devrait organiser en juillet une visite sur site, quelques jours avant le début de la « déconstruction », afin d’étudier la possibilité d’une protection d’urgence. « En prenant en compte le risque d’effondrement, y a-t-il plus de risque à conforter le site et faire une restitution, ou bien faut-il restaurer l’existant et le protéger ? C’est ce qui sera tranché lors de la visite. »
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Villa Zilveli : protéger ou reconstruire ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°571 du 9 juillet 2021, avec le titre suivant : Villa Zilveli : Protéger ou reconstruire ?