PARIS - L’œuvre de Le Corbusier a suscité tant d’exégèse que les fables courant à son sujet sont encore nombreuses.
Comme le pressentaient les historiens, les célèbres « villas blanches », soit une quinzaine de maisons bourgeoises construites dans les années 1920 – devenues de véritables icônes de l’histoire de l’architecture –, n’arboraient probablement pas ce blanc clinique promu hâtivement par ses élèves après la mort de l’architecte en 1965. En témoigne cette restauration presque archéologique menée sur l’une de ces maisons puristes, celle que Le Corbusier a élevée dans une impasse parisienne en 1923 pour le collectionneur suisse Raoul La Roche, aujourd’hui propriété de la Fondation Le Corbusier. Depuis les années 1970, aucune révision majeure n’avait été entreprise dans cette villa qui accueille pourtant quelque 25 000 visiteurs par an. Outre une restauration classique du clos et du couvert, les travaux, qui ont porté sur tous les espaces intérieurs, devaient aussi apporter une réponse à des problèmes fonctionnels (parcours, éclairages, sécurité…). « Nous avons souhaité donner à voir le lieu dans son intégrité et son authenticité », explique Michel Richard, le directeur de la Fondation. De nouvelles salles de cette « maison-galerie », construite pour exposer la collection de tableaux cubistes et puristes de La Roche, sont donc désormais accessibles au public, restituant au mieux l’idée de promenade architecturale chère à l’architecte. Ainsi de la chambre puriste, du logement du gardien mais aussi de la cuisine, éclairée par un jour zénithal, avec son monte-plats moderne desservant l’office à l’étage supérieur. Plusieurs éléments de mobilier ont par ailleurs été réintégrés afin d’évoquer l’atmosphère de la villa, sans la recréer totalement. La décoration mêlait alors objets industriels, tapis berbères, créations de l’agence de Le Corbusier et collections de La Roche, dans une atmosphère éclectique et une ambiance plus chaleureuse que les précédents aménagements ne le laissaient à penser.
Blanc ombré
Fort de l’expérience de la restauration d’une autre maison moderne, la villa E-1027 d’Eileen Gray à Roquebrune-Cap-Martin (Alpes-Maritimes) – qui était pour sa part très dégradée (1) –, Pierre-Antoine Gatier, architecte en chef des Monuments historiques de l’opération, a privilégié la conservation. Toutes les fines menuiseries extérieures en métal et bois datant de 1923 ont ainsi été conservées et remises en état. Maints édifices du Mouvement moderne ont pourtant été défigurés par des huisseries en PVC… Mais l’essentiel du travail a porté sur la restitution de la polychromie intérieure de l’édifice. Plusieurs indices laissaient en effet supposer l’utilisation d’une palette beaucoup plus vive que les quelques teintes pastel qui étaient encore visibles. À défaut de photographies en couleur, l’architecte a donc procédé à des sondages dans toutes les pièces – opérations laissés discrètement apparentes pour la compréhension du public –, lesquels ont ensuite été confrontés aux devis des peintres de l’époque. Au final, dix-sept teintes différentes ont ainsi été mises au jour. « Mais le grand acquis porte sur la question du blanc », souligne Pierre-Antoine Gatier. Les sondages ont en effet révélé l’utilisation d’un blanc ombré nettement plus nuancé que le blanc appliqué dans les années 1970. Un raccourci un peu hâtif avec le purisme, mouvement pictural créé alors par Le Corbusier et son acolyte Amédée Ozenfant, aurait ainsi pu être à l’origine de cette application postérieure d’un blanc pur. Idem sur les façades extérieures, sur lesquelles aurait été utilisé un enduit « ton pierre », ce que corroborent les devis des travaux de façade. De quoi semer le trouble sur la vision de ce pan le plus connu de l’œuvre de l’architecte. « Un même travail pourrait être mené sur les autres maisons de cette époque », avance Pierre-Antoine Gatier. Il pourrait être riche d’enseignements. Pour la Fondation Le Corbusier, ces travaux, chiffrés à 1 million d’euros, sont aussi l’occasion de montrer qu’elle promeut ici une restauration manifeste, appuyée sur une déontologie rigoureuse. Cela alors que le dossier d’inscription de l’œuvre de Le Corbusier au patrimoine mondial de l’Unesco a été différé du fait de sa complexité.
(1) lire le JdA no 3307, 10 juil. 2009, p. 20
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La villa polychrome
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Abonnez-vous dès 1 €Maison La Roche, 10, square du Docteur-Blanche 75016 Paris, lundi 13h30-18h, du mardi au jeudi 10h-12h30, 13h30-18h, vendredi 10h-12h30, 13h30-17h, samedi 10h-17h, www.fondationlecorbusier.fr
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°312 du 30 octobre 2009, avec le titre suivant : La villa polychrome