Danseur, illustrateur, photographe, publicitaire, auteur du défilé du bicentenaire de la Révolution française, le «créateur d’images» voudrait aujourd’hui être reconnu comme un artiste contemporain.
Un studio loué dans un bâtiment sans âme perdu dans la banlieue nord de Paris. Des assistants qui s’affairent sur des sculptures. Partout des maquettes, des illustrations. À quelques jours de l’ouverture de son exposition au Musée des arts décoratifs (le 11 novembre), à Paris, Jean-Paul Goude est tendu. Une tension, dit-il, aussi importante que pour la préparation du légendaire défilé des Champs-Élysées pour le bicentenaire de la Révolution en 1989, encore dans toutes les têtes des plus de trente ans. Alors connu et reconnu dans le milieu professionnel des illustrateurs et publicitaires, Goude acquiert tout d’un coup une immense notoriété auprès du grand public. Un reportage d’époque, pour le journal télévisé d’Antenne 2, le montre à quelques heures du défilé, un look d’adolescent, la casquette vissée en arrière, faussement décontracté. Vingt-deux ans plus tard, il n’a pas changé. Les cheveux courts et légèrement grisonnants, une allure mince, presque juvénile, Goude fait mentir son âge (71 ans) et il le sait bien. Celui qui revendiquait un « physique inoffensif » et mettait des épaulettes pour élargir ses épaules et des talonnettes pour avoir une silhouette plus élancée soigne toujours autant son allure. Pour l’heure, le « lutin sautillant », comme l’appelle Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, est habillé comme un danseur entre les répétitions (qu’il a été), écharpe autour du cou, survêtement ample et baskets. Lors du vernissage, pantalon de golf à la Tintin et veste près du corps (la silhouette, toujours la silhouette), il se prêtera de bonne grâce aux convives qui veulent se faire prendre en photo à côté de lui.
Depuis cinquante ans qu’il traîne ses guêtres dans la communication, Goude a appris à cultiver son image. Séducteur, le tutoiement facile, il aime parler de lui et raconter les mêmes anecdotes avec toujours autant d’humour et d’entrain. « Je suis trop orgueilleux, je veux être aimé », admet-il. Un péché à chercher du côté d’une mère adorée et adorante. « J’étais très complice avec ma mère, une forme de camaraderie », reconnaît-il. Fils unique d’une mère danseuse d’origine irlandaise qui avait connu le succès à Broadway et d’un père ingénieur chez IBM, moins présent dans son discours, il a grandi à Saint-Mandé (Val-de-Marne) dans un milieu mi-bourgeois, mi-artiste. Orgueilleux, il tient à contrôler soigneusement ses propos rapportés. « Tu peux dire ce que tu veux, par exemple que je suis le roi des cons, mais je ne veux pas que l’on déforme mes propos. » Et comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, la geste goudienne comprend déjà plusieurs autobiographies, Jungle Fever (éd. Xavier Moreau Inc., 1982), une exposition au Musée Cantini à Marseille (1988), Tout Goude (éd. La Martinière, 2005), et maintenant cette rétrospective au Musées des arts décoratifs dont il assure lui-même la scénographie.
L’envol à New York
Il montre autant de talent pour façonner son image que pour remodeler ses muses ou corriger une allure. C’est à New York qu’il prend véritablement son envol. Après des études aux Arts déco de Paris, il pense avoir conquis la capitale en redécorant les murs du magasin Brummel du Printemps, mais il lui faudra se contenter de livrer des illustrations pour les magazines Salut les copains et Lui. Sa chance s’appelle Harold Hayes, le rédacteur en chef de la revue américaine Esquire, qui lui propose, en 1970, d’en devenir le directeur artistique. Esquire est un magazine masculin, mêlant politique, charme et mode. Il s’embarque dans l’aventure avec Jean Lagarrigue son copain des Arts déco. C’est pour Esquire qu’il invente la French Correction, qui est à la fois une démarche (relooker un individu) et une esthétique qui privilégie une silhouette élancée. Bien avant le logiciel Photoshop qui corrige en deux clics le galbe pas assez parfait d’une hanche de mannequin ou efface un grain de beauté, il travaille sur sa table de montage avec scotch et ciseau. Il allonge les jambes, raffermit un fessier, développe les épaules. Mais il travaille aussi sur le corps réel. Il est bien sûr son premier client, avant d’utiliser son scalpel sur Grace Jones. Il scénographie les shows musicaux de celle qui devient sa compagne et mère de Paulo, son premier enfant, et en profite pour transformer son image. La cohabitation avec la panthère noire est sportive. « Il n’est pas facile à vivre, dit de lui son ami Lagarrigue. Mais il tempère un ego surdéveloppé par beaucoup d’humour et de gentillesse. Dans la vie professionnelle, il s’impose une grande discipline de travail, il est très exigeant et peut être têtu, dans le bon sens du terme, très attentif aux détails. »
Précurseur, Goude l’est aussi en ce que ses images et sa vie reflètent la diversité du monde. Bien avant la Coupe du monde de football de 1998 et la France qui fête ses nouvelles trois couleurs « black, blanc, beur », il est le chantre des communautés ethniques ou sociologiques. Si le melting-pot new-yorkais lui offre sur un plateau un formidable terrain d’observation, il a le talent de les mettre en scène dans ses images pour Esquire : boxeurs portoricains, strip-teaseuses, gays, sex-shops, hispanos. Son carnet amoureux est un hymne aux beautés exotiques : Sylvia l’Africaine, Radiah une Afro-indienne cherokee, Grace Jones la Jamaïcaine, Farida la physionomiste d’origine algérienne des Bains-Douches, à Paris, et, depuis 1994, la Coréenne Karen, sa femme et mère de ses deux autres enfants. Chacune de ses femmes est aussi une muse qu’il relooke, croque et photographie. Goude aime à raconter que son attrait pour l’exotisme vient d’un univers qu’il s’est construit lors de ses nombreuses visites au zoo de Saint-Mandé, de la proximité du Musée des colonies et de ses lectures du Livre de la jungle (Rudyard Kipling).
Le style Goude
Dès lors il était inéluctable qu’une telle richesse visuelle intéresse les publicitaires toujours à la recherche de nouveaux univers. Il réalise, en 1983, son premier film pour le fabricant de jeans Lee Cooper. Tout le style Goude est là, l’humour, le rythme, les couleurs vives, l’érotisme, l’Afrique, l’exaltation des corps. Il enchaîne alors les films publicitaires dont plusieurs sont de purs chefs-d’œuvre, même s’ils n’ont pas toujours plu à leurs commanditaires : Orangina (1984), Club Med (1987), le parfum Égoïste (1990), Vanessa Paradis dans une cage, toujours pour Chanel (1993), et bien d’autres. Depuis 2001 il réalise chaque année les campagnes d’affichage dans le métro parisien pour les Galeries Lafayette, mettant en scène le mannequin Laetitia Casta, toujours contente d’être déguisée de mille façons. Tout autant que le bicentenaire, c’est le Goude publicitaire qui en a fait une star auprès du public.
Mais une étoile qui pâlit au fur et à mesure que la publicité, trop associée à une société consumériste, perd de sa séduction. Lui-même d’ailleurs voudrait s’en détacher. « J’en ai marre d’être pris pour un pubard, je suis allergique au glamour publicitaire », confie-t-il. Ce désamour tient en partie au fait que les propositions se font plus rares, mais aussi et surtout à son envie récente d’être reconnu comme un artiste à part entière. Longtemps, lui-même n’a pas voulu être considéré comme un artiste, se qualifiant d’ « artisan artiste » ou « d’artiste appliqué ». « Nous avons souvent eu cette discussion dans le passé, souligne Jean Lagarrigue. Je le poussais dans cette voie car c’est un immense dessinateur et un formidable peintre, mais il avait des réticences. » C’est sans doute son succès dans la publicité qui l’a empêché de sauter le pas, l’argent facile qui entretient un train de vie confortable, la reconnaissance de son milieu. Le marché de l’art contemporain est aussi moins accueillant pour les illustrateurs et photographes publicitaires qu’il ne l’est pour les photographes de mode, tels Helmut Newton ou Richard Avedon dont les tirages font des records en ventes publiques. Cette mise à l’écart réside vraisemblablement en ce que le langage publicitaire privilégie l’impact et l’efficacité auprès d’un large public, une forme de littéralité inconvenante en art contemporain. « Il y a pourtant une profondeur dans son travail, constate Gilles de Bure (collaborateur du JdA et qui le connaît depuis de longues années). Regardez Mao au bain [une huile sur photo de 1972, qui représente Mao dans l’eau avec un canard Disney], elle démontre une étonnante capacité d’anticipation. » Alors, il y a quelque temps, Goude décide d’aller à Canossa et rencontre le galeriste parisien Emmanuel Perrotin pour envisager une exposition. L’affaire ne se conclut pas pour des problèmes d’ego. Visiblement gêné par l’épisode, le galeriste laisse répondre par son assistante que Jean-Paul Goude n’est jamais revenu vers lui.
Illustrateur, publicitaire ou artiste ? Goude mise beaucoup sur son exposition du Musée des arts décoratifs pour donner un nouveau virage à sa carrière. Ce serait justice. Sa compréhension de l’époque, la force et l’identité de ses images, la pertinence de ses messages sont indéniablement la marque des grands créateurs.
1940 Naissance à Saint-Mandé (Val-de-Marne).
1964-1970 Illustrateur pour Salut les copains et Lui.
1970-1976 Directeur artistique d’Esquire.
1983 Premier film publicitaire pour Lee Cooper.
1989 Bicentenaire de la Révolution française.
2011 Exposition « Goudemalion. Jean-Paul Goude une rétrospective » au Musée des arts décoratifs, à Paris. Jusqu’au 18 mars 2012.
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Jean-Paul Goude
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°358 du 2 décembre 2011, avec le titre suivant : Jean-Paul Goude