PEKIN / CHINE
Le nouveau président chinois doit prendre ses fonctions en mars prochain. L’arrivée de Xi Jinping au pouvoir changera-t-elle la donne pour les défenseurs de la liberté de création ? Dans un pays où artistes et galeries sont placés sous l’œil de la censure et où l’argent est roi, rien n’est moins sûr…
Dans l’immense quartier des arts de « 798 », à Pékin, les pelleteuses sont à pied d’œuvre. Ce vaste ensemble d’usines désaffectées, longtemps squatté par des artistes sans le sou, est en pleine révolution. Le gouvernement a décidé de faire de cet endroit le nouveau cœur artistique de la Chine en y investissant 8 milliards de dollars. Les petites galeries vont bientôt déménager pour laisser place à un gigantesque théâtre en plein air, un hôtel de luxe et un parc d’attraction. Une sorte de « Disneyland de l’art chinois ».
Ironie de cette Chine devenue deuxième puissance économique du monde, jamais les arts n’ont été aussi subventionnés. Des musées et des opéras fleurissent aux quatre coins du pays, à l’image du gigantesque musée national situé place Tian’anmen ou de l’opéra national aux formes arrondies à une encablure de là. De Chengdu à Chongqing, des nouveaux musées rivalisent de taille et d’audace architecturale. À Shanghaï, le quartier de Xuhui est devenu la Mecque de l’art chinois. Le Musée d’art contemporain et le Musée Yuz y ont déjà trouvé refuge avant l’installation dans quelques mois du musée Minsheng.
Pourtant, on sait peu de chose sur les plans du nouveau président chinois, Xi Jinping. Les spéculations autour d’un relâchement progressif de la censure émergent, notamment depuis l’exposition de photographies d’anciens cadres déchus du Parti. Les portraits de Hu Yaobang et de Zhao Ziyang exposés au palais du Peuple, en plein Congrès du Parti en novembre dernier, ont été vus comme une petite révolution. Le retour de ces deux cadres du Parti, proches des étudiants de Tian’anmen en 1989, serait le symbole d’une certaine ouverture.
Mais Xi n’est pas Gorbatchev. L’écrivain et Prix Nobel de la paix Liu Xiaobo est toujours en prison. Son épouse, la photographe et poétesse Liu Xia, vit en résidence surveillée. L’artiste Ai Weiwei est placé sous haute surveillance et son passeport a été confisqué. Il n’a pas pu se rendre à Paris, à Londres et à New York où des expositions lui sont consacrées.
Censure stricte
En septembre 2012, lors de la SH Contemporary, la foire d’art contemporain de Shanghaï, les officiels ont attentivement passé en revue l’ensemble des œuvres exposées. Certaines pièces des frères Gao ont été retirées. « Nous connaissons une censure toujours très stricte », explique Alexis Kouzmine-Karavaieff, le directeur de la galerie IFA à Shanghaï. « La plupart de nos œuvres ne peuvent toujours pas être montrées en Chine, confirme Gao Qiang. Je ne pense pas que l’arrivée de Xi changera quelque chose. Les hommes peuvent bien changer, le régime reste le même. »
« Nous avons décidé de ne pas faire de politique », lance de son côté You Yang, directeur adjoint de l’Ucca, le Centre Ullens pour l’art contemporain, plus grand musée privé d’art contemporain à Pékin. « Nous sélectionnons nos artistes en fonction de la qualité de leurs œuvres, jamais de leurs engagements. Nous ne pouvons pas exposer des pièces d’Ai Weiwei ou des frères Gao. Chacune de nos expositions est minutieusement inspectée avant l’ouverture. » L’Ucca devait pourtant révolutionner le monde de l’art lors de son ouverture en 2007 en proposant au grand public des rétrospectives sur des œuvres aussi engagées que celles de Gu Wenda. Deux ans plus tard, le baron Ullens jette l’éponge et confie les clefs de sa fondation à une direction entièrement chinoise. Selon les rumeurs, on lui aurait refusé une rétrospective des œuvres d’Ai Weiwei. Depuis, You Yang fait profil bas et l’Ucca abrite un vaste supermarché où les petits dinosaures en plastique, symboles du musée, se vendent comme des petits pains.
« Le problème est que le rapport du pouvoir à l’art est ambigu, rappelle Ai Weiwei. Le gouvernement construit des musées comme il construit des ponts ou des lignes de chemin de fer. Pour promouvoir la grandeur du Parti. »
Des Mao pop
En 2013, le régime fait toujours la pluie et le beau temps. Que ce soit pour la peinture, la musique ou le cinéma, rien ne sort sans avoir reçu l’aval de cohortes d’inspecteurs et de fonctionnaires tatillons.
« C’est certain qu’il y a un problème », explique Fang Li, producteur du film Lost in Beijing [réal. Li Yu, 2007], qui a été interdit d’écran malgré une avalanche de bonnes critiques. « Les jeunes artistes ont leur façon de voir le monde et la société avec un point de vue de jeune. Mais le bureau de la censure est composé de personnes âgées et il y a un véritable fossé entre les générations. Ce n’est pas juste un problème de réglementation, mais un problème lié au poids des conservateurs dans le monde des arts. »
Résultat, il existe aujourd’hui trois types d’artistes en Chine : d’abord les frondeurs qui se battent pour la liberté de créer, comme Ai Weiwei, les frères Gao, Zhang Huan, Fang Lijun ou Feng Mengbo. Ensuite les « corrompus » comme Mi Qiu, aujourd’hui directeur artistique de la tour Dragon, futur plus haut gratte-ciel de Chine, dont la réputation est grande à l’étranger mais qui ne travaille plus que sur commandes de l’État. Enfin un troisième groupe navigue entre l’Orient et l’Occident. Souvent formés à l’étranger, ce sont des francs-tireurs associés à des curateurs comme Gao Shiming, directeur des nouveaux médias à l’Académie des arts de Chine (China Academy of Art, CAA). Il s’agit généralement d’artistes abstraits, une forme d’art peu comprise aujourd’hui en Chine et qui échappe encore à la censure.
« La plupart des artistes chinois sont juste opportunistes, s’insurge Xiao Ge, directrice adjointe de la China Contemporary Art Fondation. Aujourd’hui, peindre un portrait de Mao peut rapporter beaucoup d’argent et les jeunes ne sont pas sincères au niveau politique. Il n’y a pas de sens à leur création, si ce n’est celui gagner de l’argent. Certains deviennent très riches en travaillant pour le gouvernement, d’autres en peignant des Mao pop de toutes les couleurs ».
« Le gouvernement chinois a corrompu les artistes pour qu’ils ne parlent pas, ajoute Gao Zhen. Les maisons d’enchères sont à la botte du pouvoir. Nous sommes minoritaires, comme Ai Weiwei. On ne se laisse pas acheter par le gouvernement. Certains pensent que nous sommes des dissidents, plus que des artistes, mais notre identité ne peut séparer art et politique. »
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Une nouvelle ère pour l’art en Chine ?
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Abonnez-vous dès 1 €Ai Weiwei - He Xie (2010) - vue de l'installation au Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, à Washington, collection de l'artiste - © Photo : Cathy Carver
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°383 du 18 janvier 2013, avec le titre suivant : Une nouvelle ère pour l’art en Chine ?