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Une « Belle Princesse » qui fait débat

Il était une fois une princesse sur vélin…

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 29 novembre 2011 - 676 mots

« La Belle Princesse » est-elle de la main de Léonard de Vinci ? Ce dessin sur vélin, attribué par l’historien Martin Kemp et le laboratoire Lumière Technology au génie italien, est contesté par nombre de spécialistes. Éléments de réponse avec l’historien de l’art et spécialiste de l’artiste, Jacques Franck, qui se prononce également sur le « Salvator Mundi » et « La Vierge aux fuseaux », deux peintures exposées actuellement à Londres comme d’authentiques Léonard.

PARIS - Il y a deux ans, s’appuyant sur les analyses menées par le laboratoire parisien Lumière Technology, Martin Kemp, historien de l’art spécialiste de Léonard de Vinci, fait sensation : un dessin aux trois craies sur vélin figurant une jeune femme de profil serait le treizième portrait du génie italien. Avec Pascal Cotte, directeur de Lumière Technology, il publie en 2010 un ouvrage au titre éloquent, Histoire d’un nouveau chef-d’œuvre de Léonard de Vinci : La Belle Princesse (éd. Hodder & Stoughton, Londres), laissant ainsi peu de place au doute. Pourtant, nombre de spécialistes demeurent sceptiques. Mais qu’importe, la machine médiatique est lancée.

Tout commence en 1998 lorsqu’une collectionneuse du nom de Jeanne Marching confie à Christie’s, à New York, ce qui est alors considéré comme un dessin allemand du XIXe siècle. Il est vendu pour un peu plus de 21 000 dollars à une marchande d’art new-yorkaise, Kate Ganz, qui le revend neuf ans plus tard, au même prix, au collectionneur canadien Peter Silverman. Persuadé qu’il s’agit d’un Léonard, il s’adresse en 2007 à Lumière Technology dont la caméra multispectrale permet une numérisation en très haute définition. Leur examen scientifique met en exergue une empreinte digitale correspondant à des empreintes similaires relevées sur des tableaux de Léonard et note que la ligne du dessin est celle d’un gaucher, tandis que l’analyse au carbone 14 situe le support (et non le dessin) aux alentours du XVIe siècle.

Comme le rappelaient dernièrement dans nos colonnes Philippe Walter et Anne Boquillon, respectivement physico-chimiste et ingénieur-chercheur au Centre de restauration et de recherche des musées de France (C2RMF), ce type de résultat doit être utilisé avec précaution et non considéré comme une fin en soi. Si le dessin a pu passer par l’atelier de Léonard, il ne signifie pas qu’il en est l’auteur.

Loin de faire l’unanimité
Par ailleurs, Martin Kemp avait identifié la jeune femme portraiturée comme étant Bianca Sforza, fille illégitime du duc Ludovico Sforza pour qui Léonard de Vinci avait travaillé. Lorsque Pascal Cotte et Martin Kemp orientent leurs recherches autour des trois trous minuscules découverts sur le vélin, l’historien d’art américain David Wright les met sur la piste des Sforziades, ces livres sur parchemin consacrés à la famille milanaise des Sforza. La Belle Princesse serait issue d’un des quatre exemplaires existants, conservé à la Bibliothèque nationale de Varsovie, et aurait été réalisée pour le mariage de Bianca, en 1496. Il ne leur en faut pas plus pour affirmer l’authenticité du dessin qui, s’il s’avérait être un Léonard, pourrait valoir 100 millions d’euros – Jeanne Marching a d’ailleurs attaqué Christie’s en justice pour négligence.

De quoi perdre le sens commun et en oublier l’indispensable prudence qui doit prévaloir à ce type de démarche. Car, loin de faire l’unanimité, certains musées ont refusé d’exposer le dessin. Dernièrement, il a été rejeté par les organisateurs de l’exposition londonienne en ce moment consacrée à Léonard de Vinci. D’autres spécialistes soulignent certains défauts qui ne peuvent être imputés au maître italien. C’est le cas de l’historien et chercheur Jacques Franck, attaché au Centre Armand Hammer d’études vinciennes à l’université de Californie à Los Angeles dont la méthode d’approche n’est pas habituelle, puisque, outre sa formation d’historien de l’art, il est peintre et a étudié la technique de Léonard en le copiant – ses découvertes ont été en majorité confirmées scientifiquement.  La Belle Princesse n’est pas un cas unique. D’autres œuvres attribuées récemment à Léonard de Vinci font encore débat. Ainsi du Salvator Mundi et, plus encore, de La Vierge aux fuseaux, pourtant exposés à Londres comme des authentiques. Comme s’il était impossible, pour certains, de définitivement renoncer aux fantasmes d’un Léonard inédit.

Légende photo

La bella principessa (La belle princesse) par Léonard de Vinci, vers 1496, craie, encre et lavis sur vélin, 22 x 33 cm, collection privée - source : Wikimedia

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°358 du 2 décembre 2011, avec le titre suivant : Une « Belle Princesse » qui fait débat

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