« La Belle Ferronnière » de Léonard de Vinci fait partie des œuvres exceptionnellement réunies par la National Gallery de Londres pour évoquer les années passées à Milan, de 1482 à 1499. L’occasion pour les spécialistes de se pencher sur la délicate question des attributions.
LONDRES - Léonard. À la simple évocation de ce prénom, le monde de l’art – historiens, conservateurs, chercheurs, restaurateurs, marchands – est en émoi. Dire que l’exposition concoctée par la National Gallery de Londres était attendue est un euphémisme. Pour évoquer les dix-sept années que le génie de la Renaissance italiennes a passées à Milan, de 1482 à 1499, à la cour du duc Ludovic Sforza, le musée a obtenu des prêts exceptionnels, à l’instar de La Dame à l’hermine (vers 1488-1490) conservée à la Fondation Czartoryski à Cracovie (Pologne), ou de La Belle Ferronnière en provenance du Louvre. L’institution fait ainsi mentir la théorie selon laquelle ce type de monographie est désormais impossible en raison de la fragilité des œuvres et du coût faramineux des assurances.
Les deux tiers du corpus des dix-neuf peintures signées ou attribuées à Léonard de Vinci sont aujourd’hui visibles, aux côtés de dessins de l’artiste, dont certains inédits prêtés par la Royal Collection, et quelques œuvres de ses disciples tel Giovanni Antonio Boltraffio. La Pinacoteca Ambrosiana, à Milan, a accepté de laisser partir son Portrait d’un jeune homme, plus connu sous le titre Le Musicien (1486-1487), dont la position de trois quarts a bouleversé la jeune scène artistique lombarde. Particulièrement audacieux par son expressivité et ses nombreux détails anatomiques, le Saint Jérôme a fait le déplacement depuis le Vatican, à Rome. Inachevée, l’œuvre témoigne des nombreuses pistes explorées par Léonard pour parvenir à une composition harmonieuse, reflétée notamment dans La Vierge au Rocher, réalisée entre 1483 et 1486 et conservée au Louvre. Transposée sur toile au début du XIXe siècle, la couche picturale de cette œuvre réputée très fragile a été analysée par le Centre de restauration et de recherche des musées de France, avant que son prêt ne soit accordé. Elle est aujourd’hui présentée face à la version conservée à la National Gallery.
Fraîchement restaurée, réattribuée récemment par les experts du musée à la seule main de Léonard et non à l’artiste et son atelier, La Vierge au Rocher de Londres a été débutée avant 1499 et achevée entre 1506 et 1508. Le contraste des ombres y est plus marqué, la lumière, plus dramatique que dans la version du Louvre. L’institution française, qui, pour l’événement, s’est montrée particulièrement généreuse, recevra à son tour une œuvre phare de Léonard conservée à la National Gallery. Un carton préparatoire à la Sainte Anne sera prêté le temps d’une exposition, prévue au printemps 2012, à l’issue de la restauration du chef-d’œuvre exécuté en sfumato. Pour évoquer La Cène peinte sur un mur de Santa Maria delle Grazie, à Milan, vers 1495-1498, le musée présente une copie réalisée par son élève Giampietrino et les dessins préparatoires à la peinture, beaucoup plus intéressants.
Attributions
La manifestation londonienne ne manquera pas de passionner les spécialistes, conviés à s’exprimer lors d’un colloque organisé à la mi-janvier 2012. Les discussions autour de l’attribution de certaines peintures promettent d’être animées, particulièrement en ce qui concerne Le Christ Salvator Mundi. Si la présente exposition attribue à Léonard cette peinture dont la figure a été découverte dernièrement sous un repeint, elle continue de faire débat au sein de la communauté scientifique. Seules des analyses plus poussées – réflectographie infrarouge et radiographie – pourraient trancher ces questions en faisant apparaître le dessin sous-jacent et la technique si singulière de Léonard. Mais, pour l’heure, rien de tel n’a été entrepris. Par ailleurs, malgré la présence de certaines caractéristiques typiques de Léonard, certains historiens de l’art hésitent encore à lui attribuer La Madone Litta de l’Ermitage (Saint-Pétersbourg), penchant plutôt pour Boltraffio. Cette question est évoquée par le biais des deux dessins qui encadrent cette tempera sur bois : l’esquisse d’un visage de femme très proche de celui de la Vierge, dû à Léonard, et une étude pour le visage du Christ enfant signée, cette fois, de Boltraffio.
Beaucoup moins convaincante est la version de la Vierge au fuseau issue de la collection du duc de Buccleuch et conservée aux National Galleries of Scotland, à Édimbourg. Présentée par la National Gallery comme un authentique Léonard qui aurait été achevé au XVIe siècle pour le paysage et le contour des personnages, la peinture a tout l’air d’une copie d’atelier, comme le pensent encore nombre de spécialistes. Quant au dessin de La Belle Princesse, attribué à Léonard par l’historien de l’art Martin Kemp, son absence sonne comme un désaveu.
L’ensemble des œuvres réunies à Trafalgar Square ouvrent de nouvelles perspectives à l’abondante et passionnante recherche menée autour de Léonard.
Commissaire : Luke Syson, conservateur des peintures italiennes avant 1500 et directeur de la recherche à la National Gallery
Nombre d’œuvres de Léonard : 60 (tableaux et dessins)
Jusqu’au 5 février 2012, The National Gallery, Trafalgar Square, Londres, tél. 44 20 7747 2885, www.nationalgallery.co.uk, tlj 10h-18h. Catalogue, 320 p., env. 29 €.
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Léonard de Milan
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°357 du 18 novembre 2011, avec le titre suivant : Léonard de Milan