PARIS
Pour raconter les fragrances, le Grand Musée du Parfum a créé un univers olfactif multi sensoriel et interactif dans l’hôtel particulier Roederer.
PARIS - Paris, capitale des parfums, accueille, après des ratés dans l’ouverture dus au passage repoussé de la commission de sécurité, un nouveau musée privé qui fleure bon le haut du pavé du Faubourg-Saint-Honoré. Entre cour et jardin, l’hôtel particulier Roederer, propriété du groupe CNP-Assurances, qui abrita la maison de haute couture Christian Lacroix, fait peau neuve en devenant une boîte aux senteurs d’un nouveau type.
Symbole d’un certain art de vivre à la française, l’univers de la parfumerie ne disposait pas d’écrin parisien valorisant un savoir-faire reconnu internationalement. Une lacune que Guillaume de Maussion, à l’origine du projet, entend combler avec la création du Grand Musée du Parfum, bien que le président-directeur de l’établissement ne soit pas du sérail. Éditeur de musique et d’opéra, l’homme d’affaires touche-à-tout a décidé d’ouvrir un lieu emblématique en s’appuyant sur l’expertise d’un conseil scientifique et culturel constitué de seize membres (chercheurs, parfumeurs, historiens…) pour valider les contenus artistiques et ainsi être adoubé par ses nouveaux pairs. À la différence du Musée Fragonard (à quelques centaines de mètres de là), cet espace d’exposition n’est associé à aucune marque en particulier.
Le projet est devenu réalité grâce à des investisseurs privés avec un financement de 7 millions d’euros. Cet « hymne au parfum » a été composé en à peine plus de deux ans, grâce au soutien matériel et à l’expertise de partenaires que sont l’IFF (International Flavors & Fragrances), géant mondial américain de la création de parfum et d’arômes alimentaires, la FEBEA (Fédération des entreprises de la beauté) et le SFP (Syndicat français de la parfumerie) qui rassemble soixante-cinq maisons de parfum présentes en France. L’établissement a eu également le soutien de la région Île-de-France avec une subvention de développement touristique, ainsi que le parrainage de la Mairie de Paris et indirectement l’aide du ministère de la Culture et de la Communication par l’intermédiaire du IFCIC (Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles), qui a facilité un important prêt bancaire. Il y a aussi le fonds de dotation (Les Amis du Grand Musée du Parfum) destiné à l’acquisition d’œuvres et à l’exécution des missions d’intérêt général pour faire découvrir le sens olfactif qui fait appel aux mécènes.
Un projet bâti sur l’imaginaire
Capable de réveiller une nostalgie de l’enfance, d’évoquer des plaisirs poudrés ou une sensualité inavouable, le parfum emmène au bout du rêve. Comment fixer cet intangible, ces odeurs de vie qui hantent le souvenir de chacun ? L’architecte Reza Azard de l’agence Projectiles a imaginé de manière non conventionnelle une muséographie originale. « Ce fut d’abord un projet fictif sans site, qui posait les concepts d’un musée d’un autre genre avec très peu de données et beaucoup d’envies, explique le créateur de la scénographie. Une succession d’imaginaires a construit un ensemble de parcours. Le bâtiment découvert par la suite correspondait à la rêverie préétablie. » Mais pour cela, il fallut faire preuve d’inventivité, car le gros œuvre de l’édifice, voué à devenir des bureaux et un restaurant – avant que le projet ne soit abandonné –, était déjà bien avancé. Seule la façade, classée et restaurée, a conservé son cachet d’origine. L’équipe apprit en temps réel les possibles et les contraintes. « Le site, convient Reza Azard, a aussi apporté son imaginaire. La dimension domestique d’un hôtel particulier engendre une certaine chaleur. Une grande demeure et sa suite de salons participent à l’éloignement d’un parcours muséal attendu. » Un contexte pris en compte par l’agence de l’architecte, qui a notamment réalisé le pavillon français à la Biennale d’architecture de Venise de 2014 sous le commissariat de Jean-Louis Cohen, ainsi que la muséographie de « Tatoueurs, Tatoués » (2014) au Musée du quai Branly-Jacques Chirac et l’aménagement de la Galerie de l’histoire du château de Versailles (2013).
Parcours olfactif
Dans un parcours interactif, chaque visiteur doté d’un « smartguide » a la possibilité de constituer un carnet de visite personnel avec ses préférences olfactives. De salle en salle, la déambulation ludique retrace l’histoire des parfums, le paysage sensoriel des odeurs et l’excellence de la parfumerie. Un cheminement construit sur une verticalité comparable à l’évolution végétale d’un arbre. Aux racines, l’historienne du parfum Élisabeth de Feydeau propose une traversée dans le temps – depuis l’Égypte pharaonique jusqu’au début du XXe siècle – et un parcours passant par la galerie des séducteurs, qui met en scène par un jeu d’écrans et d’effluves des couples célèbres ou légendaires, à un cabinet de curiosités… Puis, à l’étage, vient une collection d’odeurs du quotidien imaginée par le parfumeur Nicolas Beaulieu à renifler sans peur ni pudibonderie, un « jardin des senteurs » résolument créatif et contemporain, allant jusqu’à flirter avec des odeurs taboues réservées aux adultes. L’odorat des enfants sera, lui, plutôt chatouillé par des réminiscences de pâte à tartiner ou de bonbon coloré au goût de fraise. Une pérégrination conduite par le parfumeur, alchimiste des temps modernes, pour créer à partir de matières premières, d’essences naturelles ou synthétiques, une fragrance à partir de molécules.
Ce musée sans collection bénéficie de prêts d’une centaine d’objets (brûle-parfum, encensoirs, flacons iconiques…) venus de la collection Storp, du Musée international de la parfumerie à Grasse et de Carnavalet, le musée historique de la Ville de Paris qui a laissé en dépôt une partie du mobilier de la parfumerie Houbigant, célèbre maison parisienne fondée en 1775.
Une librairie et un concept store terminent ce voyage parfumé. Une exposition temporaire est prévue au courant de cette année. Le jardin d’une superficie de 1 200 m² devrait, dans les saisons qui viennent, abriter une serre chaude. « Il est par ailleurs envisagé d’ouvrir une deuxième version du musée en Chine, probablement à Pékin », confie Guillaume de Maussion qui attend à Paris entre 300 000 et 500 000 entrées par an.
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Un écrin pour l’histoire du parfum
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°470 du 6 janvier 2017, avec le titre suivant : Un écrin pour l’histoire du parfum