MONTRÉAL / CANADA
Le musée est dans les turbulences après le départ forcé de sa directrice Nathalie Bondil et la démission du président du conseil d’administration.
Montréal. Les remous qui agitent le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) depuis trois mois et qui font l’objet d’une grande attention des médias nord-américains ont traversé l’Atlantique en raison de la nationalité de sa directrice générale, la conservatrice française Nathalie Bondil qui a largement contribué à l’expansion et au rayonnement international du musée depuis son arrivée en 2007.
Tout est parti d’une lettre adressée le 9 octobre 2019 par le syndicat des employés du musée mettant en lumière un climat de travail dégradé dans le service de production des expositions. Nathalie Bondil est alertée, le 25 octobre 2019, des griefs de ses employés, qui ont « approché le CA [Conseil d’administration] directement en raison du défaut répété de l’administration […] de traiter les plaintes concernant le milieu du travail », selon une note d’information publiée par le conseil d’administration, le 28 août 2020.
Il est toujours difficile d’avoir une opinion précise et objective sur le climat social dans une entreprise et la part de responsabilité des uns et des autres. Une lettre ouverte signée par une centaine de salariés et ex-salariés du musée (qui compte 600 collaborateurs) publiée le 11 août 2020 dans La Presse se révèle à charge contre l’ancienne directrice : « Nos idées étaient pour la plupart rejetées ou encore reformulées par une directrice générale plus préoccupée par sa réputation personnelle que par celle du musée. » En revanche, les allégations de harcèlement psychologique visent surtout la chef de service de la production des expositions ; il est seulement reproché à la directrice d’avoir occulté le problème. Dans l’assignation judiciaire de Nathalie Bondil contre le conseil d’administration, que Le Journal des Arts a pu consulter, Nathalie Bondil s’en défend en expliquant qu’elle avait créé dès 2017 le service des ressources humaines précisément « pour identifier et traiter les problématiques du milieu du travail ».
Début décembre 2019, le conseil d’administration commande au Cabinet RH un audit (non publié) qui établit que « le problème du climat de travail au MBAM ne serait en rien superficiel : les perceptions et faits collectés faisaient état d’un problème significatif », selon le rapport Beaupré réalisé à la demande du ministère de la Culture en septembre 2020. Le diagnostic souligne que la directrice est souvent « surchargée de travail » et pointe sa tendance à la micro-gestion.
Quatre préconisations sont formulées : « faire un suivi avec la chef de service de production des expositions ; travailler avec une firme RH pour améliorer les processus internes ; faire un plan stratégique sur cinq ans et créer une direction de la conservation », afin d’alléger la charge de travail de Nathalie Bondil qui affirme être tout à fait disposée à mettre en œuvre ces recommandations.
C’est sur la création du nouveau poste que se cristallisent les tensions entre la directrice et le président du CA du musée. Mise au courant du contenu de ce rapport et de la volonté d’ouvrir une Direction de la conservation le 28 février 2020, Nathalie Bondil explique dans l’assignation, que dès cette date, Michel de la Chenelière ne cache pas sa volonté de voir ce poste attribué à Mary-Dailey Desmarais, une conservatrice de 39 ans entrée au musée en 2014, et que la directrice considère manquer d’expérience et d’ancienneté.
La fermeture administrative du musée en raison du Covid-19 et les conséquences que cela peut avoir sur les recettes et donc la sauvegarde de l’emploi, ne semblent rien changer à la procédure de recrutement menée tambour battant par Michel de la Chenelière, qui demande à sa directrice de réfléchir à la création du poste dès le 3 mars. Les échanges de mails communiqués dans l’assignation montrent que celle-ci estime ce recrutement précipité. Quatre candidats sur vingt-et-un sont finalement retenus pour des entretiens. Mais alors que Nathalie Bondil pointe les irrégularités de la procédure où les jeux seraient faits en faveur de Mary-Dailey Desmarais, Michel de la Chenelière l’accuse en retour d’avoir manipulé la grille d’évaluation « afin d’assurer que la candidate de son choix l’emporterait ».
La directrice propose alors une solution à deux postes : un poste de direction de la conservation, assorti d’un poste de conservatrice en chef adjointe, qui serait dévolu à Mary-Dailey Desmarais. Le CA refuse cette proposition ; Nathalie Bondil s’incline et Mary-Dailey Desmarais est promue à la direction de la conservation et des expositions en juin 2020.
La véritable pierre d’achoppement intervient quelques jours plus tard, alors que l’annonce de la nomination de la nouvelle directrice de la conservation doit être faite. Michel de la Chenelière insiste pour que Nathalie Bondil parle, dans son communiqué, d’un « processus de recrutement rigoureux », une formule que celle-ci refuse d’intégrer.
Dès lors s’opère un retournement brutal. Alors que, le 26 juin, le CA se disait prêt à renouveler le contrat de la directrice jusqu’au moins fin 2023, le 13 juillet, un mail du président lui indique mettre fin à son emploi le jour même. « Tel que cela vous a été mentionné à plusieurs reprises […], votre comportement a été inadéquat et répréhensible. Votre gestion des problématiques du climat de travail était clairement déficiente […], ce qui a résulté en une dégradation encore plus importante du climat de travail malsain. » Nathalie Bondil se défend, dans son assignation, de n’avoir jamais été confrontée à des allégations de « climat de travail malsain ».
Si elle ne peut légalement contester le non-renouvellement de son contrat, la désormais ancienne directrice a décidé de poursuivre le CA, réclamant 2 millions de dollars canadiens (1,3 million d’€) de préjudice moral et de dommages-intérêts punitifs, dénonçant la « campagne de “salissage” et de destruction de [sa] réputation ». L’annonce des poursuites entamées par Nathalie Bondil a succédé de quelques heures à la démission surprise de Michel de la Chenelière, le 18 septembre dernier.
L’affaire a fait grand bruit au Canada, à tel point que le ministère de la Culture et de la Communication du Québec, qui finance le musée à hauteur de 15 millions de dollars canadiens (9,6 millions d’€) par an, a décidé de s’en mêler en commandant un rapport indépendant diligenté par le professeur Daniel Beaupré.
Rendu public (mais largement caviardé) le 23 septembre, le rapport souligne plusieurs points problématiques qui devraient amener à une révision du mode de gouvernance de l’institution. Il soulève la nécessité de moderniser la loi sur le MBAM afin de clarifier le mode de gouvernance et les attributions de chacun pour éviter les ingérences. Il préconise, entre autres, la création d’un comité de gouvernance et d’éthique, de réduire le CA à douze membres au lieu de vingt-et-un, d’améliorer la gestion des ressources humaines et de se pencher sur la question des conflits d’intérêt des membres du CA, qui sont aussi de grands donateurs.
La ministre de la Culture canadienne, Nathalie Roy, a pris acte des préconisations émises : « Il est clair que des correctifs s’imposent afin d’améliorer la gouvernance du MBAM », lequel a tenu son assemblée annuelle le 29 septembre. Son nouveau président, Pierre Bourgie, a annoncé que le musée allait entreprendre des travaux en ce sens et qu’il cherchait désormais quelqu’un pour reprendre la tête de l’institution, « de manière à définitivement tourner la page sur les événements des derniers mois ». Pas sûr que cela efface toutes les traces de litiges d’autant plus douloureux qu’ils sont personnels.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°552 du 2 octobre 2020, avec le titre suivant : Le Musée des beaux-arts de Montréal en crise