PARIS
A qui appartient la statuette médiévale ? Le « pleurant » qui décorait le tombeau d'un duc de Bourgogne jusqu'à la Révolution se trouve dans la même famille depuis 1813 mais l'État en revendique la propriété. Il revient désormais au Conseil d'État de trancher.
La statue en albâtre de 42 centimètres, représentant un moine en pleurs et estimée à plus de 2 millions d'euros, était au centre d'une audience mercredi. Au-delà de ce « pleurant », se pose la question de la propriété des oeuvres d'églises ou de châteaux passées entre les mains de particuliers après la Révolution française. Plus de 80 « pleurants » ornaient les socles de deux tombeaux, celui de Philippe II le Hardi et celui de Jean sans Peur. Ces pièces passent pour des chefs-d'oeuvre du Moyen Age. Entre 1789 et 1793, certaines ont disparu, ont été volées puis sont passées de main en main. Quatre se trouvent au musée de Cleveland, aux États-Unis.
Le pleurant n°17 que se disputent une famille et l'État provient du tombeau de Philippe le Hardi, vandalisé durant la Révolution. Cette pièce aurait disparu en 1793. Pendant deux siècles, elle a été transmise de génération en génération. "Je l'ai toujours vue en Bourgogne chez mon grand-père, puis chez ma mère à Neuilly-sur-Seine", racontait en janvier à l'AFP Marie-Claude Henrotin-Le Floc'h, l'une des requérantes. Le pleurant a été prêté à plusieurs reprises à des musées et a toujours été répertorié. Mais la situation s'est compliquée quand la famille a voulu le vendre aux enchères.
"La vente a été confiée à la société Pierre Bergé et associés, qui a sollicité auprès du ministère de la Culture une autorisation d'exporter. Mais celui-ci a refusé cette autorisation, a demandé à la famille de retirer le bien de la vente et in fine a dit qu'il était son propriétaire et que la statue devait lui être restituée", explique Antoine Delvolvé, l'avocat des trois soeurs qui ont hérité de la statuette et de la société Pierre Bergé.
"Sans bourse délier"
Au coeur du débat au Conseil d'État : l'interprétation de deux articles d'un décret de 1790, l'un sur la vente des biens nationaux, l'autre sur la "prescription acquisitive" (acquisition de la propriété par l'effet du temps). Deux décisions de justice ont déjà été favorables au ministère de la Culture. Mercredi au Conseil d'État, le rapporteur public, dont l'avis est généralement suivi, s'est prononcé pour un rejet du pourvoi des requérants. Selon lui, la statuette "n'a jamais cessé d'appartenir au domaine public".
En revanche, pour Me Delvolvé, cette notion de domaine public n'est entrée dans le droit français qu'au début du XIXe siècle et l'objet était un "bien national" que le décret de 1790 permettait de céder, comme d'autres oeuvres, pour renflouer les caisses vides de l'État. Des pleurants ont été mis en vente en 2012 et 2016 chez Christie's, met en avant l'avocat. "Au cours de cette vente, l'État a exercé son droit de préemption et acquis deux pleurants pour plusieurs millions d'euros". "Ces pleurants sont soit du même tombeau, soit du tombeau voisin. Ils ont connu les mêmes péripéties juridiques et historiques, les mêmes ambitions destructrices des révolutionnaires. D'un point de vue juridique, il n'est pas compréhensible qu'il y ait deux manières de régler la question de la propriété de biens absolument identiques", plaide Me Delvolvé. Et d'asséner: "L'occasion est trop belle de faire rentrer dans la propriété de l'État un pleurant sans bourse délier".
Marie-Claude Le Floc'h a affirmé à l'AFP avoir envisagé de le céder à un musée avant de tenter de le vendre aux enchères, fin 2014. "Mais personne ne voulait l'acheter, ni le Louvre ni l'État", a-t-elle dit. Les héritières auraient de plus payé "839.000 euros de droits de succession". Le Conseil d'État devrait rendre sa décision dans le courant du mois de juin.
Cet article a été publié le 6 juin 2018 par l'AFP
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Publique ou privée ? La propriété d'une statuette médiévale débattue au Conseil d'Etat
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