PARIS
Alors que le château de Versailles prépare encore son « Voyage d’hiver », de nombreux sites patrimoniaux accueillent des expositions ou des installations d’art contemporain. Si ces propositions sont devenues la norme, quelles sont les conditions de leur réussite ?
À Paris et en régions, les expositions associant le patrimoine à l’art contemporain n’ont cessé de se multiplier ces dernières années. Un simple coup d’œil sur l’actualité de l’été et de la rentrée suffit à mesurer l’ampleur du phénomène, tant prolifèrent les écrins patrimoniaux (églises, abbayes, châteaux, etc.) peuplés d’œuvres les plus actuelles. Réconciliatrice, cette volonté renoue avec l’originelle présence de l’art dans les monuments historiques, avant que le musée n’en signe la fin. Mais les conditions de réussite de ces expositions relèvent toutefois d’un fragile équilibre : comme une greffe, une fois l’œuvre installée, cela tient ou cela rejette. Il est de flamboyantes réussites et de cuisants échecs…
On ne compte ainsi plus les polémiques – MacCarthy place Vendôme et Koons à Versailles, récemment. L’intrusion violente du ready-made, du kitsch ou de la provocation au sein de décors – et de savoir-faire – classiques peut être perçue comme une faute de goût ou, pire, comme une agression de l’intégrité du lieu, tandis que l’art minimal ou conceptuel, sans clés de lecture, peut être incompris ou passer inaperçu, face à la puissance architecturale et symbolique du lieu.
Faire sens avec le lieu
Qu’il s’agisse de commandes et de pratiques in situ ou du rassemblement d’œuvres existantes, l’essentiel est de respecter la nature du lieu et de privilégier le dialogue. Pour Jean d’Haussonville, directeur général du domaine de Chambord, « la programmation doit servir le monument et non faire de celui-ci un simple alibi », l’enjeu étant « de s’adresser à tous, sans imposer ni provoquer, en respectant le regard de ceux qui viennent pour le château ». Car le public, majoritairement, demeure non initié aux enjeux de l’art contemporain et apporte avec lui un certain goût de l’histoire et un imaginaire. Comme le souligne Ludovic Pizano, conservateur en chef du patrimoine, « le public vient pour faire un voyage dans le temps, ramener du conflit contemporain et jouer l’agression permanente va à l’encontre de son choix de destination ». L’enjeu réel est donc de ne pas faire violence à ce désir et de conserver un lien avec ce passé sans pour autant figer le lieu.
Dans ce dialogue bien sûr, « l’épaisseur des œuvres », dans leur force plastique et leur résonance symbolique, reste primordiale. À Chambord, note Jean d’Haussonville, « nous ne récusons pas la notion de beauté, de sensibilité, de connaissance, cette épaisseur fait l’identité même du domaine et de la création en général ». De même, remarque Yannick Mercoyrol, directeur de la programmation culturelle à Chambord, « le choc presque surréaliste de Koons à Versailles nous a conduits à réinterroger ces questions. Exposer dans un monument historique une démarche pour laquelle le sens n’est pas un souci relève, pour moi, d’un contresens : galeries et musées sont sans doute plus appropriés pour ces jeux du marché ; Chambord n’est pas un cube blanc. » La programmation révèle un souci d’établir des correspondances entre les œuvres et l’histoire du lieu, les artistes invités étant très différents. Ainsi, la peinture figurative à la cire de Djamel Tatah a pu faire écho au silence métaphysique de l’architecture, là où l’œuvre abstraite et épurée de Kôichi Kurita, faite d’échantillons de terre prélevés aux abords de la Loire, vibrait dans la chapelle. Comme la peinture matiériste et violente de Rebeyrolle, dans ses liens avec la nature et par sa contestation du pouvoir, résonnait avec l’histoire et l’environnement du domaine.
Considérer le public
Présentant au château de Biron l’exposition « Vivantes natures », Olivier Kaeppelin considère qu’« utiliser un nom célèbre pour faire venir du monde, sans profonde réflexion sur le lieu, reste une distraction touristique sans intérêt ; de même qu’être trop ancré dans un art élitiste ne touchera pas le grand public. Il faut prendre en compte le lieu, le public, mais qu’il y ait aussi une volonté d’art, la possibilité de vivre une expérience qui permette d’appréhender le monde. » Dans cette exposition, le commissaire interroge le rapport permanent qu’entretient le château avec la nature. Sélectionnées dans le fonds de la collection Maeght, les œuvres questionnent ce rapport à la nature et le pouvoir de vie inhérent à la création. Parcours poétique dans lequel, mêlant les esthétiques (de Rebeyrolle à Velickovic, de Riopelle à Pincemin), la force des œuvres tient face à la puissance du lieu.
Au Musée de la chasse, à Paris, le conservateur Raphaël Abrille, préférant « éviter le choc psychique à des gens venus rencontrer un lieu ancien », choisit des artistes qui ont une « forme de savoir-faire ancestral » plutôt que ceux jouant de « l’économie des moyens industriels et mécaniques ». De même préfère-t-il aux stars contemporaines jouant sur le « narcissisme ou la provocation » des artistes qui ont une « vision du monde » et dont l’œuvre crée « ouverture, empathie ». Dans des partis pris d’accrochage renouvelés, les œuvres jouent toujours pertinemment avec ce lieu très chargé, telles celles de Marlène Mocquet créant des analogies avec les cadres et les motifs animaliers des peintures du musée ou celles de Julien Salaud dont les créations animalières en fil et clous faisaient écho aux tapisseries, comme actuellement au château de Cadillac. Des démarches qui, toujours, interrogent la nature et son rapport à l’homme.
Sans doute la diversité des propositions est-elle l’alternative la plus féconde et celle qui répond le mieux tant à une volonté d’art qu’aux attentes d’un public diversifié. La collection publique présentée au château d’Oiron, constituée d’œuvres contemporaines créées pour le lieu et originellement mises en scène par Jean-Hubert Martin, fait dialoguer les époques avec respect et audace. Si certaines pièces formalistes ou conceptuelles passent inaperçues dans la beauté du lieu, comme celles de Lawrence Weiner ou de Claude Rutault, l’ensemble est plutôt bien reçu, interrogeant et surprenant plutôt que provocant. S’il y a un désir d’amener le grand public vers des enjeux spécifiques, plus exigeants, les œuvres restent accessibles, en lien direct avec le lieu et ses habitants, comme Les Écoliers d’Oiron par Boltanski. L’ensemble interroge l’esprit du cabinet de curiosités et d’une approche sensible de la connaissance propre à la Renaissance, en jouant moins sur le conceptuel que sur l’éveil des sens, tel l’odorat avec les murs de cire de Wolfgang Laib.
À Versailles, une formule revue
De « L’art dans les chapelles » (Bretagne) à « In situ » (Occitanie), les parcours en régions jouent pareillement la carte des esthétiques plurielles. Éric Suchère, directeur artistique de « L’art dans les chapelles », rappelle que depuis plus de vingt ans les parcours proposés jouent sur la diversité des propositions (variété des médiums et des générations) et que les réactions épidermiques sont rares, seulement quand les œuvres sont trop conceptuelles ou provoquent par le trivial. Directrice artistique d’« In situ », Marie-Caroline Allaire-Matte propose une même pluralité de la programmation. À l’abbaye de Lagrasse, une œuvre in situ de Christian Jaccard (Énergie, rythme, traces de suies) est un dispositif économe dont la charge archaïque résonne avec force dans cet ancien dortoir de moines bénédictins.
Une intervention parfaitement accueillie par le public et la communauté des sœurs (*) avec lesquelles Marie-Caroline échange beaucoup. Pour elle, « cela fonctionne quand le silence dans la foule opère » face à la beauté de l’œuvre, comme ce fut le cas pour White Forest, visage sculpté par Jaume Plensa dont le caractère méditatif vibre dans la salle capitulaire de l’abbaye de Fontfroide.
À Versailles, enfin, les règles du jeu ont changé. Après s’être démarquée des propositions d’Aillagon par des esthétiques plus discrètes, la présidente du château Catherine Pégard, associée à Alfred Pacquement, commissaire des expositions d’art contemporain, fait à nouveau évoluer la formule. L’exposition « Voyage d’hiver » ouvrira à l’automne prochain. Avec un commissariat orchestré par le Palais de Tokyo, le parcours devrait être diversifié, non monographique mais collectif, mêlant générations, médiums et esthétiques, et donner à voir autrement les bosquets du jardin. Les œuvres y interrogeront les métamorphoses de la nature. Reste à voir si leur force matérialisera la poésie inhérente au programme, basculant, on l’espère, vers la surprise et la profondeur.
(*) À la demande du Conseil départemental de l'Aude, nous apportons la rectification suivante : la partie de l'abbaye de Lagrasse qui accueille des expositions et, notamment, l'œuvre de Christian Jaccard réalisée dans le cadre du festival In Situ, appartient au Conseil département de l'Aude. Il n'est pas habité par une communauté de sœurs.
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Patrimoine cherche art contemporain qui fait sens
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Bernard Pagès, Les trois épis, 2017. Chapelle Saint-Adrien, Saint-Barthélémy. L'art dans les chapelles 2017 © A. Mole
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°704 du 1 septembre 2017, avec le titre suivant : Patrimoine cherche art contemporain qui fait sens