NANTES
Renommé Musée d’arts pour mieux souligner l’étendue de sa collection, le musée nantais rouvre après six ans de travaux. L’extension dans un nouveau bâtiment va permettre de montrer plus d’œuvres, notamment contemporaines.
Nantes. C’est un « étrange monument aveugle, sorte de piédestal découronné de son quadrige », se souvient Julien Gracq en 1985 dans La Forme d’une ville. L’écrivain connaissait bien le Musée des beaux-arts de Nantes, proche voisin du Lycée Clémenceau, où il vécut ses années d’internat entre 11 et 18 ans dans les années 1920.
Aujourd’hui, le Musée des beaux-arts devenu Musée d’arts rouvre après six ans de fermeture et les équipes en charge du projet ont réussi à faire mentir l’écrivain. De l’extérieur, les grilles qui entouraient la façade principale du musée ont été déposées, laissant place à une esplanade ouverte sur la rue. « Les élèves du lycée Clémenceau commencent à y trouver leur place », s’amuse dans un sourire Sophie Lévy, qui a relu Gracq en arrivant à la direction du musée nantais en juillet 2016.
Surtout, une extension moderne conçue par le cabinet d’architectes britannique Stanton Williams, surnommée le Cube, vient rompre l’effet imposant et bourgeois du bâtiment originel du musée, palais des beaux-arts exemplaire de l’architecture de la IIIe République. Édifiée sur une parcelle contiguë d’une habitation privée et devant faire le lien avec la Chapelle de l’Oratoire pour un parcours fluide et cohérent, le défi était grand.
En 2009, lorsque le projet est lancé, il s’agit de mettre à niveau le musée en termes d’infrastructures (salles pédagogiques, auditorium, boutique,) et de normes de sécurité. La dernière grande intervention date des années 1980, mais n’a quasiment touché que les espaces d’exposition et pas les coulisses du musée. Il faut surtout faire de la place pour les œuvres en réserves : alors que la moitié des collections se compose d’œuvres exécutées après 1900, l’accrochage ne reflète pas la richesse des XXe et XXIe siècles.
Avec la création du Cube, le musée dispose aujourd’hui de 2 000 m² supplémentaires et cette nouvelle aile abrite un auditorium de 160 places, quatre espaces pédagogiques, des vestiaires et des salles d’exposition d’art contemporain. Les travaux d’agrandissement et de rénovation ont réussi à dégager 30 % d’espaces d’expositions supplémentaires pour 900 œuvres présentées, contre 600 auparavant. Si le principal gagnant est l’art contemporain, les autres départements restés dans le bâtiment ancien ont également bénéficié de la refonte complète du parcours muséographique.
Sous la direction de Blandine Chavanne, directrice du Musée des beaux-arts de 2006 à 2016, les équipes de conservateurs ont travaillé ferme sur leurs collections, entre art ancien, XIXe siècle et art moderne pour concevoir un parcours chronologique à la fois pédagogique et sensible.
« La collection d’art ancien provient à 90 % des collections d’un diplomate nantais, François Cacault », explique Adeline Collange-Perugi, conservatrice art ancien au musée, « c’est une collection homogène qui n’a pas beaucoup changé depuis son achat en 1810 ». Si les chefs-d’œuvre du musée retrouvent leurs cimaises, comme le Saint Sébastien du Pérugin et les trois Georges de La Tour, de nouvelles salles témoignent d’un chantier des collections exemplaire et de l’autonomie laissée à la conservatrice, qui a conçu un parcours dynamique et alternant les ambiances.
Art ancien et contemporain décloisonnés
La salle des primitifs italiens commence le parcours, avec des œuvres restaurées et mises en valeur par des murs de couleur séquencés. Un couloir gagné sur d’anciennes surfaces technique a permis de créer un cabinet d’art flamand, entre paysages, portraits et natures mortes. Le cabinet déroule un discours d’histoire de l’art tout en créant une atmosphère intimiste très réussie. À hauteur d’homme, cette séquence invite au ralentissement et au calme.
Surgissant dans le parcours, une salle transversale dont l’accrochage issu des collections du musée est temporaire, propose des rencontres esthétiques entre art ancien, moderne et contemporain, sorte de choix du conservateur, appelé à être renouvelé en 2018. Adeline Collange-Perugi inaugure le concept avec la thématique « Femme, icônes et subversion des modèles ». Des « clins d’œil esthétiques qui interrogent sur les codes de la féminité et leurs réappropriations » par les artistes selon la conservatrice. Se confrontent ainsi une madone primitive et la version travestie d’Orlan, La Belle mauve de Martial Raysse et une dame de cour de la Renaissance. La salle ne manquera pas de susciter réactions et interrogations (parti pris voulu par les équipes) et témoigne également de l’émulation entre les différents conservateurs du musée.
Des pièces exceptionnelles dans un parcours rythmé
À l’étage, les salles du XIXe et de l’art moderne se déploient chronologiquement autour du patio. Grâce à une politique d’acquisition d’artistes vivants tout au long du XIXe et du XXe siècle, le musée abrite aujourd’hui des pièces d’exception, et la muséographie imaginée pour la rénovation rompt le caractère imposant des grandes galeries conçues à l’origine pour les œuvres de salon. Des blocs muséographiques accueillent petits formats et sculptures et multiplient les regards et les contrepoints. Dans la grande galerie d’histoire, une statue équestre monumentale de la IIIe République et les grandes machines de Paul Delaroche et d’Auguste-Hyacinthe Debay dialoguent étonnamment bien avec le Grand tableau antifasciste de Jean-Jacques Lebel, irruption du XXe siècle dans la grande peinture d’histoire. Bien évidemment, Madame de Senonnes peinte par Ingres trouve dans le parcours une place de choix. Très intéressante, une salle consacrée aux liens unissant Monet et Rodin est enrichie d’un prêt du Musée d’Orsay. Le Portrait de Georges Clémenceau de Manet fait le lien avec Nantes, où l’homme d’État fît ses études.
Dans les salles d’art moderne, l’accrochage multiplie les points de vue et les rencontres, comme dans la salle intitulée « L’œil à l’état sauvage » qui rassemble des œuvres relevant du surréalisme, du néoprimitivisme, de l’art brut, dans un joyeux désordre qui décloisonne le regard. La richesse des collections nantaises permet une séquence de onze œuvres de Kandisky datant de son époque Bauhaus. Grâce à quelques prêts du Centre Pompidou, l’accrochage est encore enrichi : « je voulais tirer des fils que l’histoire de l’art ne tire pas souvent », explique Claire Lebaussé, conservatrice en charge de l’art moderne. Parmi quelques fauves « gentils », Le nu jaune de Sonia Delaunay, petit joyau des collections, voisine avec une étonnante Nature morte au homard de Natalia Gontcharova, venue de Paris.
Pour Sophie Lévy, nommée directrice depuis l’été 2016 après la démission surprise de Blandine Chavanne, il s’agit maintenant de définir la programmation culturelle et scientifique. À l’ouverture, une installation de Susanna Fritscher, Rien que de l’air, de la lumière et du temps (Nur mit Licht, mit Luft und mit Zeit), investit le patio central. Commandée spécialement pour l’occasion, l’œuvre magnifie l’espace central et monumental du musée, créant le vertige et l’étonnement en cloisonnant l’espace de milliers de fils de silicone. Mais le patio restera le lieu des expositions temporaires à venir, alors qu’ici « le lieu lutte avec les scénographies temporaires » pour l’actuelle directrice. Venue du LaM (Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut) de Villeneuve-d’Asq, Sophie Lévy a dû comprendre et apprivoiser le projet dans sa dernière ligne droite, en ajoutant de petites inflexions. Elle a réussi à convaincre le chef étoilé Éric Guérin de concevoir une carte abordable pour le restaurant du musée et a ouvert une sortie supplémentaire dans le parcours par la chapelle de l’Oratoire. « Les musées de province ne peuvent plus se considérer comme de petits Louvre, cela ne marche plus, il faut trouver les spécificités de chaque musée et les mettre en avant », explique-t-elle, avec une programmation promettant de grandes expositions internationales tous les trois à quatre ans. En décembre, le peintre du XVIIe siècle Nicolas Régnier aura sa première grande rétrospective mondiale à Nantes.
Le projet de réouverture du Musée d’arts de Nantes n’a pas échappé aux aléas des grands projets architecturaux, mais a été maintenu avec constance sous les mandats de trois maires depuis les années 2000. Initié par Jean-Marc Ayrault en 2009, le chantier du musée devait durer deux ans, avec une fermeture prévue de 2011 à 2013. Le coût estimé du chantier était alors de 35 millions d’euros. Mais des désordres en sous-sol, la présence de veines d’eau et des appels d’offres infructueux retardent l’exécution des travaux et forcent les architectes à revoir leur copie. La facture enfle et le calendrier se rallonge. En 2012, le nouveau maire Patrick Rimbert fait voter un budget prévisionnel de 83 millions d’euros et vise une ouverture en 2018. Le maire tient bon face à une opposition municipale grandissante en raison d’une gestion qu’elle juge « calamiteuse ». Élue en 2014, Johanna Rolland réitère son soutien au projet, avec un budget finalement estimé à 88,5 millions d’euros.
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Nantes découvre son nouveau Musée
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Abonnez-vous dès 1 €Le bâtiment du XIXe siècle rénové du musée d'arts de Nantes © Photo Hufton Crow
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°482 du 23 juin 2017, avec le titre suivant : Nantes découvre son nouveau Musée